Ce roman faisait partie de ceux qui attendent dans ma bibli que j'aie le temps de leur consacrer toute l'attention qu'ils méritent, et il ne m'a pas déçue. Il parle d'un accident de bus dans une petite communauté (Sam Dent) au nord de l'état de New York. L'auteur nous montre comment, autour d'un événement, la communauté va être amenée à se transfigurer ainsi que comment la vie des habitants pris individuellement va se transformer également. Il met en valeur l'interaction des personnages, comment les vies peuvent basculer en une seule petite seconde ou par l'enchainement de petites réactions qui semblent anodines. Que s'est-il passé sur cette route qui a tué les enfants du village, qui a à présent perdu un peu de son âme ? La conductrice est-elle en tort ?
Pour le découvrir,
Russell Banks nous fait raconter l'histoire par quatre protagonistes clé : Ceux-ci vont tour à tour nous exposer leur version des faits, mais aussi leur vie personnelle et le train-train de la communauté avant, pendant, et après l'accident. le changement dans leur vie est donc au centre de chacun des quatre récits, et l'on perçoit clairement ce basculement, cette rupture que l'on sent arriver et qui bouleverse leurs vies. Et prenant garde à ne pas nous raconter quatre fois la même histoire, chaque narrateur prendra l'histoire là où l'autre l'a laissée, et
Russel Banks excelle absolument dans cet exercice difficile.
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J'ai vraiment été favorablement impressionnée par ce roman, par son histoire, par les vies et personnalités de ses narrateurs, par la manière dont la communauté prend corps en tant qu'entité sous les propos de chaque individualité qui s'exprime. Nous écouterons tour à tour les voix de la conductrice du bus, qui démarre le récit en nous plaçant dans le contexte de ses matinées routinières, où elle est chargée de conduire les enfants habituels à l'école lors du ramassage scolaire sur les routes de campagne : elle nous présente les lieux, protagonistes et circonstances de l'accident ; Puis le père de certains enfants présents dans le bus prend ensuite la parole puisqu'il a vu l'accident et tente de le noyer dans l'alcool ; Enfin, l'une des adolescentes rescapée mais devenue handicapée (Nicole) donnera son point de vue sur les suites à donner… le dernier mot sera redonné à Dolorès qui devra de toute façon vivre avec cet accident sur la conscience, et subir ce que les habitants décideront de penser d'elle.
Ce village est un mais il est multiple. La tragédie le fait éclater en autant de familles touchées par le malheur que d'enfants ont été tués. Et, suspendu, attendant de voir de quel côté la balance de la justice sociale penchera, il y a ce moment : Celui qui suit immédiatement l'accident, ce moment clé durant lequel la tragédie peut rapprocher les habitants en les solidarisant et favorisant l'entraide, ou bien alors, selon les émotions auxquelles vont céder les gens, diviser la communauté : entre les coupables et les victimes, les épargnés et ceux qui ont subi le drame, ceux qui veulent la vengeance et ceux qui veulent juste faire leur deuil.
C'est en ce moment sociologiquement important que l'auteur exploite cette faille temporelle d'indécision en insérant dans son histoire le personnage de l'avocat. le quatrième narrateur qui, malgré sa venue de la grande ville, ou justement grâce à sa non appartenance à cette communauté touchée par le malheur, apporte un éclairage nouveau au drame, lève le voile sur certains personnages et, surtout, sur certains faits. Car si certains le voient comme le vautour venu profiter du malheur des victimes pour se faire de l'argent en procès, il prend son rôle bien plus au sérieux : Il veut faire la lumière sur les causes réelles de l'accident afin, non seulement d'apporter des réponses aux parents qui cherchent à faire leur deuil, mais aussi trouver les vrais responsables pour que l'accident ne se reproduise plus. Alors il cherche les faits matériels et témoignages. Mais à quelle conclusion aboutira-t-il ? Dolorès est-elle en faute ? Ou l'Etat et la voirie défectueuse ? Plus généralement, son enquête fera-t-elle plus de bien ou de mal à cette communauté extrêmement fragilisée, que la seule idée d'un procès divise ?
« Pour nous tous – Nicole, les enfants qui avaient survécu à l'accident, et ceux qui n'avaient pas survécu – c'était comme si nous étions désormais les citoyens d'une tout autre ville, comme si nous étions une communauté de solitaires vivant
de beaux lendemains, et quelle que soit la façon dont les gens de Sam Dent nous traiteraient, qu'ils nous commémorent ou qu'ils nous méprisent, qu'ils se réjouissent de notre destruction ou applaudissent à notre victoire sur l'adversité, ce qu'ils feraient répondraient à leurs besoins, pas aux nôtres. Ce qui, puisqu'il ne pouvait en être autrement, était exactement ce qui devait être. »
Les rapports entre les gens, les secrets, rancunes, rumeurs, et mensonges sont au rendez-vous au moins autant que l'argent dans les décisions de chaque personne (sur le thème de l'autocar comme lieu de rencontre qui fédère ou divise, vous pouvez lire également «
Les naufragés de l'autocar » de
John Steinbeck). Mais malgré son thème difficile, et comme l'indique son titre, "
De beaux lendemains" n'est pas un roman déprimant : C'est au contraire un très beau roman, sensible et étonnamment captivant sur un thème malheureusement de circonstances.
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