AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de LaSalamandreNumerique


L'usage des armes est un livre très singulier. La proposition initiale semble pourtant assez simple : suivre la vie d'un guerrier-mercenaire, Cheradenine Zawalke, qui est employé par une vaste civilisation intergalactique appelée la Culture. En échange d'une rémunération mais aussi d'une vie prolongée, de rajeunissements et autres « petits bénéfices », Zawalke se met au service de cette société et l'aide dans ses démêlés avec ses voisins. Nous suivrons donc divers conflits, en observant les aspects politiques mais aussi militaires, très bien décrits d'ailleurs. En apparence c'est simple et de facture assez classique… sauf que non, pour différentes raisons.
*
La Culture, pour commencer est une société de l'abondance, très avancée technologiquement et très ancienne. L'homme y côtoie pacifiquement diverses intelligences, dont des machines devenues intellectuellement égales voire supérieures à lui. Cette société est, en son sein, pacifique, multiforme, anarchiste, éthique et parfois cynique. La tolérance y est la règle. Or la Culture est en contact avec d'autres civilisations ayant des comportements en apparence plus agressifs et elle vise à défendre sa sécurité et son mode de vie. Elle a donc un service appelé « Contact » qui, en son sein, intègre « Circonstances spéciales » (tout un programme !) qui est l'employeur de Zawalke. Nous sommes donc à la fois en périphérie de la Culture et au coeur de ses contradictions puisque ce que nous pourrions appeler dans le monde réel des « barbouzes » emploient, pour faire prévaloir les intérêts de la Culture, à peu près tous les moyens possibles : violences, manipulations, réification d'autrui. L'objectif final est de transformer ces autres sociétés pour qu'elles ne nuisent pas à la Culture, à minima, mais, plus généralement, pour les intégrer à terme après les avoir transformées de fond en comble. D'une certaine façon c'est un génocide culturel et une assimilation au sens sociologique que nous constatons, dans la lignée de ce que l'Empire britannique pouvait faire en tant que colonisateur supposé bienveillant et animé des « meilleures intentions », comme d'une supériorité technologique mais qui se voulait aussi morale.
Banks nous propose donc une réflexion assez poussée, même si largement implicite, sur les limites du pouvoir, sur l'écart entre la fin et les moyens, sur les vies individuelles broyées au nom de la raison d'État, sur les risques de l'interventionnisme, sur l'éthique. Sans que le livre soit triste à proprement parler les conclusions sont assez pessimistes. Sur ce plan, après l'Irak ou l'Afghanistan, entre autre, comment considérer qu'il a tort ?
*
La réflexion porte aussi sur l'individu lui-même, à commencer par le « héros ». En apparence il lutte pour une cause juste à savoir ici éviter qu'une faction radicalisée d'une société tierce pratique des terraformations en supprimant toute forme de vie qui la dérange… mais il n'a pas grande illusion sur la supériorité morale de la Culture et n'a pas tort vu les conséquences de ses actes. La réflexion porte donc sur le sens moral de ses actions mais aussi sur ce que peut être la vie d'un mercenaire, qui au final emploie souvent des moyens violents et donne la mort, manipule autrui, que ce soit des groupes d'individus ou ses amis, pour défendre des buts qu'il maîtrise assez peu voire dont il ignore les finalités. Banks nous invite aussi à réfléchir sur le sens que chacun peut donner à son existence, à la part que peuvent représenter les remords, le poids du passé et de ses diverses blessures au fil d'une existence, ici par ailleurs prolongée. Il y a une part de Zawalke en chacun de nous et une lecture attentive ne peut que nous pousser à une introspection pouvant s'avérer inconfortable parfois.
*
Enfin la forme de ce roman de longueur moyenne (450 pages) est très inhabituelle. En effet Banks nous « propose » de suivre deux trames narratives. Certains chapitres, numérotés 1,2,3… , suivent un récit allant du passé au futur alors que d'autres, numérotés VIII, VII, VI… remontent de plus en plus loin vers le passé de Zawalke. Ces deux fils entrecroisés permettent une mise en abyme habile et se complètent judicieusement. Ils contribuent grandement à mieux comprendre la complexité du « mercenaire » comme de ses proches. le livre peut être relu en inversant complétement le sens de lecture (partir de la fin), ou en reclassant tous les chapitres dans un ordre chronologique strict, dans les deux cas il garde toute sa cohérence, ce qui est une assez jolie performance, un bel exercice de virtuosité. Dans le même esprit Banks réserve une surprise finale à son lecteur qui fait qu'il peut, une fois le livre terminé, le relire complétement, avec un point de vue assez radicalement différent. Ce n'est pas si courant et donne à méditer, ce qui est le but réel sans doute, plus qu'un effet de surprise qui serait sinon un peu facile.
**
Alors, est-ce un chef d'oeuvre absolu selon moi ? Je dirais que non, sans être strictement affirmatif pour autant. Ce livre est sans conteste très intéressant et stimulant mais sa lecture n'en est pas moins parfois déroutante voire un peu fastidieuse. Je trouve que cela tient à la multiplicité des buts poursuivis et des registres simultanés. Banks semble parfois aussi vouloir prouver son talent et a un humour qui n'évite pas certaines facilités. Si l'objectif premier est de proposer un ouvrage de réflexions profondes le genre s'y prête mal, de même que le fait de vouloir l'associer à une sorte de space opéra. le produit final est notablement plus lourd mais aussi plus superficiel qu'un essai et, dans ce cadre, les combats peuvent sembler incongrus. Inversement un space opéra classique vise une grande simplicité afin de séduire un lectorat avide de scènes de combats et d'héroïsmes, d'amours tumultueuses… Ici il sera dérouté par une forme bien plus complexe et ce qu'il vivra comme d'inutiles longueurs. Si ce livre recherche la performance littéraire il échoue partiellement. C'est certes un montage intéressant mais autant lire Perec, par exemple. Enfin, comme dans L'homme des jeux, il me semble difficile de s'identifier pleinement aux personnages, de vibrer pour eux. Cette distanciation a son intérêt mais peut compliquer l'entrée dans le roman tant le lecteur est habitué à cette facilité pour ressentir des émotions fortes.
**
Je conseille cette lecture à qui aime la science-fiction, à qui aussi est prêt à s'investir dans une lecture bien moins facile qu'habituellement pour ce type d'ouvrages. Il me semble par ailleurs que qui aime une lecture dite d'idées sera plus à l'aise que qui recherche des personnages attachants. Au final il est plus facile selon moi d'apprécier ce livre et d'y trouver des stimulations que de l'aimer. Pour autant il mérite d'être lu et compris et apporte une voie et une voix originale à un genre qui peinait à se renouveler après son âge d'or.
Commenter  J’apprécie          200



Ont apprécié cette critique (20)voir plus




{* *}