Dans le volume IV de l'
anthologie "Littérature roumaine" d'
Andreia Roman et
Cécile Folschweiller figure Maria Banuș, dans le paragraphe consacré aux thuriféraires du régime (avec Beniuc, Veronica Porumbacu et Breslașu, je remarque qu'autant les femmes sont globalement peu représentées dans les histoires littéraires roumaines ou d'ailleurs, autant dans les catégories compromettantes [deux sur quatre !] on trouve à en caser sans problème). Elle est qualifiée de déjà contestée ou tombée dans l'oubli dans les années 1960. La conclusion du paragraphe relève qu'il n'a pas été "nécessaire d'attendre la chute du communisme et le démembrement de l'Union soviétique pour saisir le ridicule de ces productions" avec un point d'exclamation !
Cette affirmation n'est pas fondamentalement fausse, cependant, dès la couverture, les choses se compliquent : ce livre a été édité en France en 1987 sous l'égide de l'UNESCO. Pour du contesté ou du tombé dans l'oubli dès les années 60… En 1994, les
poèmes de Maria Banuș ont même été traduits en anglais avec une préface de Nicolae Manolescu, un des critiques les plus célèbres de Roumanie dont je lis en ce moment même « des souvenirs d'un lecteur au long cours ». de plus, le fils de Maria Banuș, Tudor, auquel un poème est dédié, est illustrateur, en France, à Nogent, et a notamment travaillé avec
Mircea Cartarescu, encensé un peu plus loin dans la même "Littérature roumaine". Ici,
Horloge à Jaquemart malgré quelques coquilles, en français les
poèmes sont plutôt mieux traduits et il y en a plus. Il y a même une « Table des traducteurs » (p. 247 à 254) qui nous renseigne notamment sur le fait que
Maria Banus a traduit elle-même plusieurs de ses
poèmes.
Sur la question du ridicule des poètes adeptes du "proletkoult", la chose me paraît également un peu plus complexe : a-t-on retiré
Aragon,
Anna Akhmatova,
Wolf Biermann ou même
Bertolt Brecht des manuels scolaires ? Pourtant… Ou faut-il partir du principe que les auteurs roumains sont d'office plus mauvais qu'ailleurs ? de même, le ridicule est loin d'être une chose évidente : même les
poèmes de Mihai Beniuc, qui fut bien plus encore un poète en vue sous le communisme, restent trouvables en français et lisibles, Adrian Păunescu est toujours publié en Roumanie.
Quant au présent recueil, c'est une sorte d'
anthologie, qui reprend y compris des
poèmes des débuts : 1938, tout de même. J'ai tendance à penser que les
poèmes les plus compromettants ont été retirés, la poétesse évoque tout de même assez clairement son passé dans "Emploi", poème de 1981 : "Apprenti chez l'oiseau/me suis voulu/au service du serpent/suis entré". La préface d'
Alain Bosquet (un des traducteurs également) insiste sur le caractère féminin de sa poésie et son évocation de la passion. Pour être sincère, au-delà du caractère un peu sexiste de ce genre de considérations, certes on trouve de la passion, mais aussi des considérations intellectuelles, politiques ou l'évocation, assez fréquente, de la nature, voire, en mode postmoderne, de la littérature et de l'art (en vrac, Matei Caragiale,
Homère,
Shakespeare,
Else Lasker Schüler, de Chirico, Rembrandt). Certains
poèmes se sont aussi démarqués du régime : "Les moulins grinçaient pour moudre du journal/pour empêcher de voir comment les gens mouraient" (1967), ou, décrivant les apparatchiks en forme d'hommage à
François Villon : "Ruses, demi-mesures/Pour nous en absoudre, personne" (1965). Dans l'ensemble la forme est plutôt symboliste, parfois un peu hermétique, mais moins que beaucoup d'autres poètes même antérieurs (
Paul Valéry,
Marina Tsvétaieva, entre autres).
En somme, je n'irai pas jusqu'à crier au génie injustement oublié, loin de là, mais dans l'ensemble, l'oeuvre se défend. Sauf erreur de ma part, il n'y a aucune indication sur l'auteur de l'image de couverture que je trouve très réussie. S'il (ou elle) se reconnaît, qu'il soit assuré de mon entière admiration, qui se veut petite annonce de recrutement par la même occasion.