1815. Contrairement à notre Histoire, Napoléon n'a pas échoué en Russie. Il n'a certes pas vaincu le tsar, mais il est dorénavant à la tête d'un Empire s'étendant des iles britanniques aux frontières de son ennemi de l'est. Pourquoi ? le responsable de ces immenses victoires est Élégast. Il n'est pas un tacticien hors pair (Napoléon se suffit à lui-même), mais un mage exceptionnel, seul capable, semble-t-il, de maîtriser l'Ars Obscura, source incroyable de magie.
Sorcier d'Empire est le premier volume d'une tétralogie en cours de publication. Tétralogie que je compte bien suivre, vu le plaisir que j'ai pris à lire ce tome. Posons le cadre. L'empereur a donc pu l'emporter face à ses nombreux ennemis européens, non grâce à son seul génie tactique, mais, surtout, grâce aux pouvoirs phénoménaux d'un homme. Mais Élégast est-il seulement humain ce mage qui a pris une telle importance dans le gouvernement de la France et son Empire ? Lui qui semble seul à être capable de manier les forces de l'Ars Obscura. Car les autres habitants de ces contrées sont capables de quelques trucs, de concocter et d'utiliser des potions aux pouvoirs impressionnants. Cependant, rien de comparable. Or, la population en aurait bien besoin, de ses capacités. Car depuis plusieurs années, de mystérieuses bulles noires apparaissent ici ou là, sur le territoire. En sortent les résurgions, des monstres atroces et difformes dont la principale caractéristique est la cruauté et la sauvagerie. Ils n'ont, semble-t-il, qu'un but : tuer. Et d'abominable façon. « Ludwig aperçut son premier résurgion ; une vile créature semblable à un charançon de quatre pieds de long, à la tête hérissée de nombreuses piques empoisonnées et pourvue de plusieurs pinces acérées, dont il apprendrait le nom plus tard : un phoboïde. » Et ils peuvent s'extirper de leur enveloppe noire à n'importe quel endroit : en rase campagne comme en pleine ville, sur une place comme dans une maison. Aussi, ils s'en prennent à n'importe qui : femmes, hommes, enfants. Tout le monde est une proie potentielle. Et si vous réchappez à leurs griffes et leurs crocs, mais que vous avez le malheur d'être touchés par ces créatures, votre peau est marquée d'une sombre tâche. Et votre entourage vous regarde de travers en vous traitant de vile-peau. Comme Ludwig, l'un des héros de cette aventure.
Mais il n'est pas le seul, cet homme étrange, chasseur de résurgions, dont on ignore à peu près tout au début du roman. Et dont on découvrira peu à peu les origines et les pouvoirs. Il va rencontrer sur son chemin une jeune femme qui refuse l'idée de magie. Pour elle, toute imprégnée de l'esprit des encyclopédistes et qui rêve de publier un article dans ce prestigieux monument du savoir qu'est l'Encyclopédie, tout est phénomène explicable par la raison. Courageuse posture, d'autant qu'elle est femme dans une nation d'hommes surs de leur force et de leur pouvoir. Mais son tempérament et son savoir lui permettent de se tirer de la plupart des mauvais pas. Pourtant, elle aussi est hantée par son passé.
Tout comme Élégast, le mage de Napoléon, qui cherche, à travers son aide apportée à l'empereur, à atteindre un but inavouable. Mais à quel prix ? Et parmi tous ces hommes d'armes qui entourent le pouvoir, certains finissent par chuchoter de plus en plus fort. Est-il bien normal de laisser autant de pouvoir à un vulgaire sorcier. Qui n'a aucune connaissance militaire. Et qui fait peur, il faut bien l'avouer. Grouille donc toute une troupe de personnages plus ou moins ambitieux, plus ou moins persuadés que le sort du pays est entre leurs mains. Et tout ce beau monde s'associe, réfléchit à voix haute ou basse, complote. Sans compter les femmes et hommes venus de l'étranger. « En France, les espions poussent plus vite que les mauvaises herbes. » Car l'hexagone est devenu le centre de tous les complots, de tous les plans, de toutes les convoitises. Russes, Anglais (surtout eux, dont le pays a été conquis par l'empereur) et d'autres encore tentent de s'unir pour renverser le tyran. Mais sans oublier leurs propres intérêts. Un gigantesque panier de crabes merveilleusement mis en scène par
François Baranger.
Car, vous l'aurez compris, la trame est riche et compte de nombreux protagonistes. Il serait donc facile de se perdre dans les lieux, les individus, les quêtes. On ne peut donc que se féliciter que l'homme aux commandes,
François Baranger, maitrise la narration avec brio. Cela ne m'étonne pas de l'auteur de Dominium Mundi. Les grandes fresques ne lui font pas peur. Et on le voit bien dans le premier tome de cette tétralogie où les éléments se mettent en place. C'est d'ailleurs ce dernier point qui fait que je ne vous parle de ce roman sorti en mars qu'aujourd'hui. J'en avais commencé la lecture peu après sa parution, mais le démarrage a été un peu lent à mon goût et j'ai eu un peu de mal à entrer dans l'histoire. Mais quand je l'ai repris quelques semaines plus tard, rien de commun. Les premières pages de mise en place étaient passées et l'action a filé à bride abattue. Pour mon plus grand plaisir, puisque je n'ai pas lâché le roman avant de l'avoir terminé.
L'éditeur promet une parution rapprochée des quatre tomes. D'ailleurs, le suivant, Second sorcier, est prévu pour septembre 2023. Et c'est une très agréable façon de faire. Je l'ai appréciée pour le Second Oekumène de
John Crossford (
Bertrand Passegué). Cela permet de lire d'autres histoires entre-temps sans perdre le fil du récit. Et tant mieux, car Ars Obscura s'annonce comme une saga riche et entraînante, pleine de surprises et de coups fourrés. Tout ce que j'aime !
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