Il m'était facile d'écrire une critique sur un sujet plus consensuel que "
La Corrida", mais on trouve déjà assez d'eau tiède et de conformisme chez Babelio, donc point n'est besoin d'en rajouter.
Dans "
La Corrida", de l'excellente collection "Que sais-je ?", en 126 pages denses, savantes, pédagogiques, littéraires, historiques et politiques les auteurs (
Eric Baratay et
Elisabeth Hardouin-Fugier) font le tour de la question tauromachique.
Remontant jusqu'à l'Antiquité, quoique les auteurs admettent que la filiation des jeux minoens (acrobaties avec le taureau) et d'autres jeux taurins antiques avec
la corrida n'est pas établie, ce "Que sais-je ?" rappelle que des jeux taurins existaient dans l'Espagne médiévale, à travers quelques documents émergent une course de taureaux à Varea pour le couronnement d'Alphonse VII de Castille (1135), ou une amorce de codification des jeux taurins avec le "Codigo de las Sieste Partidas" (1263) d'Alphonse X le Sage.
La corrida est donc antérieure aux XVIIe et XVIIIe siècles dont on croyait qu'elle était issue.
Les auteurs rappellent néanmoins que les XVIe-XVIIe-XVIIIe et surtout XIXe siècles ont été cruciaux dans l'élaboration du spectacle tauromachique tel que nous le connaissons. L'Espagne, terre d'incubation et d'apothéose de
la corrida, est aussi terre de contrastes puisque, dès 1796, le penseur et écrivain espagnol Leon de Arroyal écrivait dans son ouvrage "Pan y toros" que la "corrida est l'opium d'un peuple assoupi, distribué par une noblesse défaillante qui peut ainsi continuer de gouverner. Elle symbolise une "Espagne décrépite et superstitieuse devenue la risée des étrangers." Arroyal ayant écrit sur cet "opium du peuple" bien avant que ne naisse Marx... il était contre
la corrida pour des raisons quasi marxistes, longtemps avant le marxisme.
Ce "Que sais-je ?" sur
la corrida présente un chapitre très intéressant sur l'introduction de la tauromachie en France, avec flux et reflux, au gré de la mondanité (mariage de
Napoléon III avec Eugénie de Montijo), du bon vouloir (ou de la corruption) des sénateurs du sud-ouest (ceux du nord défendant les combats de coqs), des évêques interdisant (avec plus ou moins de succès) aux fidèles d'assister à ce type de spectacle, et de l'évolution de la sensibilité (la SPA, par exemple).
Mais on apprend qu'il y eu des corridas à... Roubaix en 1899, Reims en 1900, Quimper et Royan en 1934, à Limoges en 1935, là où on n'en imagine plus.
Un chapitre pointu est consacré à "l'intellectualisation du combat". Des intellectuels de la fin du XIXe siècle et du XXe siècles ont beaucoup et bien oeuvré pour faire partager leur goût pour
la corrida, "école de bravoure et d'énergie" pour Blasco Ibañez, célèbre auteur des "Arènes sanglantes" et, à sa suite,
Hemingway et sa "
Mort dans l'après-midi",
Federico Garcia Lorca,
Montherlant et ses "Bestiaires", qui, en 1926, est à l'origine d'une certaine esthétique érotique et homo-érotique de
la corrida. Mais aussi, et cela est moins connu,
Simone de Beauvoir, à mille lieues des néo-féministes, s'extasie sur
la corrida suite à des voyages en Espagne au début des années 1930, car elle aime "la mise en valeur d'un corps rabaissé par la morale bourgeoise idéalisante".
Un chapitre complet est consacré à l'aficion et à son opposé la détestation de
la corrida, Ying et Yang de tant d'activités ou combats humains. La tauromachie est un très gros business qui génère des sommes faramineuses mais, ici comme ailleurs, la crise est passée par là et le secteur est en régression. Voilà qui mettra du baume au coeur des personnes qui souhaitent son interdiction totale.
Sic transit gloria mundi.
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