SEPTEMBRE
Était-ce un reste de rêve confus?
Ce matin je me suis levé comme écrasé de souvenirs
Des tours d'acier des centres commerciaux
pleins de la mélancolie moderne des banlieues
Créteil Soleil La Belle Épine Les Quatre Temps
et leurs verrières barrées de pluie
La correspondante espagnole haute deux fois comme moi jetant un regard plein de soleil sur le déluge
et mes parents jeunes alors nous emmenant au cinéma
Je suis l'aîné de ce qu'ils furent et dans seize ans j'aurai
passé l'âge auquel tous deux disparurent
cela n'a pas de sens
on m'avait voué à mourir jeune et je finirais plus vieux qu'eux
dix ans depuis dix ans
de cendres à descendre
et c'est la vie sans eux qui m'aura fait vieillir
Les souvenirs sont des morceaux cela tremble et s'entrechoque
Ma mère en robe noire sous notre cerisier
Mon père traversant la salle des thèses raide et intimidé
une bouteille d'Évian à la main pour me verser un verre d'eau
ou bien leurs nuques depuis la banquette arrière de la voiture pour lui châtain pour elle variant selon les saisons
et la douceur de glisser ensemble dans la nuit du périphérique
Comme une Troie défaite dont on a rasé les remparts
Il ne reste de nous qu'une avenue glissant sans fin vers un ciel gris
Et de la main je maintiens maladroitement sur ma face
Un masque d'adulte qui glisse
Depuis dix ans quelles nouvelles
Vos petits-fils ont grandi
De ce que vous portiez l'effondrement s'est poursuivi
L'époque est morose et tragique
Comme insensé ce matin le long sanglot sur la fenêtre :
D'un automne l'autre
Je recouds des pluies.
2012
Recette pour fondre en larmes :
À chaque bonheur imminent
Succès ou fête ou premiers pas
Sorties d'école soleils naissants
Ou choses vues ou paysages
Penser aux morts qui n'auront pas
Pu partager le bref spectacle
J'y joue beaucoup cette année-là
Coronaballade
Je n'ai jamais tant vu d'azur
Qu'en ces semaines prisonnières
Tandis qu'en mes jours ordinaires
Paris le découpe en lanières
Aux ciseaux gris de ses toitures
S'invente en avril un été
Quand l'interminable dimanche
Offre à nos regards confinés
Un bras de soleil dans les branches
De mon petit jardin carré
Hormis le ciel toute aventure
Ne nous vient plus que des écrans
S'y succèdent des figurants
Qui pontifient et doctement
Versent leur horrible parlure
( début )
A travers l'Aube
Du vert à foison, du presque jaune au presque noir, et au
milieu
une longue ligne d'eau trouble, toute droite le long des rails
C'est la pays de mon passé qu'un petit train traverse lentement
Bar-sur-Aube Troyes Nogent-sur-Seine
J'ai l"impression de parcourir mon enfance mais en désordre
L'eau pleine de craie, infusée de tilleuls,
me demeure familière. Pourquoi, dès lors,
cette envie de pleurer?
Coronajardin
Près des briques du mur que le matin rend roses
Les fauteuils ont gardé leur place de la veille
Sur une table basse traîne un journal froissé
Avril a jeté quelques coccinelles
Et un nid de merles entre les bambous
Le banc vert bouteille comme en bas de page
Forme signature au fond du jardin
Ici ont grandi le chat les garçons
Les rires des uns les chasses de l'autre
Glissent dans la haie sous forme de fruits
Des baies rougies de souvenirs
( début)
Avec douze écrivains de l'Anthologie
Avec Anne le Pape (violon) & Johanne Mathaly (violoncelle)
Avec Anna Ayanoglou, Jean d'Amérique, Camille Bloomfield & Maïss Alrim Karfou, Cyril Dion, Pierre Guénard, Lisette Lombé, Antoine Mouton, Arthur Navellou, Suzanne Rault-Balet, Jacques Rebotier, Stéphanie Vovor, Laurence Vielle.
Cette anthologie du Printemps des Poètes 2023 proposent 111 poètes contemporains et des textes pour la plupart inédits. La plus jeune a 20 ans à peine, le plus âgé était centenaire. Tous partagent notre quotidien autour de la thématique corrosive des frontières. Leurs écrits sont d'une diversité et d'une richesse stimulantes. Ils offrent un large panorama de la poésie de notre époque. Avec notamment des textes de Dominique Ané, Olivier Barbarant, Rim Battal, Tahar Ben Jelloun, Zéno Bianu, William Cliff, Cécile Coulon, Charlélie Couture, Jean D'amérique, Michel Deguy, Pauline Delabroy-Allard, Guy Goffette, Michelle Grangaud, Simon Johannin, Charles Juliet, Abdellatif Laâbi, Hervé le Tellier, Jean Portante, Jacques Roubaud, Eugène Savitzkaya, Laura Vazquez, Jean-Pierre Verheggen, Antoine Wauters…
Mesure du temps
La fenêtre qui donne sur les quais
n'arrête pas le cours de l'eau
pas plus que la lumière n'arrête
la main qui ferme les rideaux
Tout juste si parfois du mur
un peu de plâtre se détache
un pétale touche le guéridon
Il arrive aussi qu'un homme
laisse tomber son corps
sans réveiller personne
Guy Goffette – Ces mots traversent les frontières, 111 poètes d'aujourd'hui
Lumière par Iris Feix, son par Lenny Szpira
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