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Critique de Woland


Avec "Ce qui ne meurt pas", roman lui aussi de sa jeunesse mais qu'il retravailla dans son âge mûr, "L'Amour Impossible" est, en tous cas à mon sens, le moins bon des textes romanesques de Barbey. L'écrivain avait sous-titré son oeuvre "Chronique Parisienne" et, en définitive, c'est bien là que gît le problème.

"L'Amour Impossible" met en scène un dandy de vingt-sept ans, l'éternel dandy dont on sait combien il est cher au coeur de l'auteur, répondant ici au joli nom de marquis de Maulévrier (je vous épargne le prénom ) et par ailleurs amant irrésistible, aux pieds duquel s'abandonnent les plus belles femmes du monde. Pour l'instant, Maulévrier est celui de la ravissante Mme d'Anglure, laquelle, à l'heure où commence notre récit, s'est retirée à la campagne pour une raison qui, je vous l'avoue, m'échappe complètement. de toutes façons, ce n'est que provisoire : les deux amants doivent se retrouver très vite et leur romance prospérer. Seulement, Maulévrier, qui s'ennuie vite semble-t-il - l'ennui, attitude et même posture on ne peut plus caractéristique du dandy - s'impose peu à peu auprès de la marquise de Gesvres, amie de Mme d'Anglure et femme, cela s'entend, d'une grande beauté, dont le mari occupe un poste dans la diplomatie. Pour l'heure, M. de Gesvres est retenu à Pétersbourg et, soyons francs, sa conjointe n'en a pas grand chose à faire. Il faut bien dire que cette femme, toujours très belle malgré l'âge qui avance - elle a cinq ans de plus que Maulévrier - est réputée n'avoir jamais connu ni la passion du coeur, ni les plaisirs des sens. Une vraie gageure, on s'en doute, pour un dandy comme Maulévrier.

Une liaison débute, très particulière et très verbeuse - et croyez-moi, question verbosité, je suis une authentique spécialiste ! Hélas ! en dépit des prétentions de Maulévrier, elle est vouée à l'échec le plus lamentable car il est bien vrai que Mme de Gesvres ne ressent rien. Tout au plus un frémissement, par-ci, par-là mais toujours au-dessus de la ceinture même si jamais dans la région du coeur. Au-dessous de la ceinture, c'est pour ainsi dire le néant absolu et le beau dandy a beau s'entêter, rien n'y fait. Maulévrier s'obstine pourtant et, sans aucun égard pour une malheureuse qui, elle, l'aime éperdument et le désire tout autant, laisse tomber Mme d'Anglure ainsi qu'il le ferait d'une paire de gants défraîchie. La pauvre finira par en mourir de chagrin sans que son ancienne amie ni son ancien amant ne parvienne l'un ou l'autre à comprendre comment l'Amour, en certaines circonstances et chez certaines natures prédisposées, ça peut mener au tombeau.

Avec une amoralité aussi infâme que délicieuse, Mme d'Anglure est-elle à peine refroidie que le lecteur incrédule voit Mme de Gesvres et M. de Maulévrier s'en aller pour ainsi dire main dans la main ... acheter des gants, je crois, ou alors des rubans. Il n'y a plus rien de physique entre eux, encore moins d'amour mais disons qu'une sorte de sympathie s'est instaurée entre ces deux créatures à sang froid : elles se sont reconnues de la même espèce et cela leur suffit pour goûter à ce qu'il faut bien appeler le bonheur, un bonheur particulier et égoïste certes mais le bonheur tout de même.

L'analyse des relations entre les héros est très fine, pour ainsi dire brodée au petit point : on songe parfois à Proust au sommet de son art. Mais l'ensemble reste horriblement "parisien" et artificiel. Malgré tous les efforts de leur créateur, aucun membre du trio ne parvient à "décoller", à révéler une personnalité réelle et surtout crédible, à se détacher en pleine lumière. Au mieux, Gesvres et Maulévrier forment un couple de narcissiques monstrueux mais totalement dénués d'intérêt parce qu'ils le sont sans aucune méchanceté tandis que la pauvre d'Anglure fait plus figure d'une incroyable nunuche que d'une victime romantique. Telles quelles, ce sont de merveilleuses marionnettes, qui débitent le discours imposé par un Barbey perdu et comme obsédé par sa "chronique parisienne" mais qui, ce faisant, ne donnent pas un seul instant l'impression de songer vraiment à la signification de ce qu'elles racontent.

Pour les amateurs de Barbey, cet étrange triangle amoureux préfigure en fait celui qui hantera très vite le reste de l'oeuvre : deux femmes tourbillonnant autour d'un homme qui les aime et les repousse tour à tour. Simplement, l'écrivain n'en est qu'au tracé des silhouettes. Sa vision, lui qui l'aura si souvent tourmentée, écorchée, somptueuse, est ici aussi plate que la morne plaine de Waterloo chantée par Hugo - auteur dont Barbey incendiera un jour, et non sans raison, les pesants, indigestes et trop angéliques "Misérables". Et pour une fois, aucun soupçon de fantastique, rien de cette atmosphère inimitable qui signe tant de textes de Barbey, du plus modeste au plus achevé.

Mais un très bel exercice de style, c'est certain. A ne réserver cependant qu'aux inconditionnels. ;o)
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