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Critique de berni_29


« Je viens de relire ce livre qui m'a paru encore plus chef-d'oeuvre que la première fois. » - Charles Baudelaire.
Qu'importe si cette histoire est abracadabrantesque, cousue de fil blanc, de fil noir...
Plus que l'histoire elle-même, c'est la manière de la narration qui donne ici la force au texte. Car L'Ensorcelée est construit sous forme de récits enchâssés les uns aux autres et c'est ce qui m'a, me semble-t-il, tenu en haleine jusqu'au bout de l'histoire.
J'ai été séduit ici par l'art de Jules Barbey d'Aurevilly de nous conter une histoire, de la poser dans " son jus " ...
Venez, approchez, je vous emmène en Normandie dans la lande sauvage et secrète de la presqu'île du Cotentin, tout près de Lessay. Nous ne sommes pas très loin des paysages maritimes de la Bretagne et d'une idée du mystère qui habite certaines terres... C'est peut-être par une nuit comme celle-ci, ballotée par les vents, fouettée par les pluies venues de nulle part, qu'il faut aborder cette histoire. Nous sommes au milieu du XIXème siècle. Deux voyageurs font connaissance par hasard dans un cabaret, au Taureau rouge, « un cabaret d'assez mauvaise mine ». L'un, le narrateur, qui se rend à Coutances s'est égaré, l'autre qui s'appelle Maître Louis Tainnebouy connaît bien les lieux et se rend à une foire le lendemain. Pour raccourcir le trajet, ce dernier propose que tous deux traversent à cheval cette lande austère et désolée...
Lorsque la jument de l'un deux se met à boîter, ils décident de faire halte au milieu de cette nuit dont le silence est brusquement rompu par les neuf coups d'une cloche qui résonnent au loin. Maître Tainnebouy est alors troublé. Il croit reconnaître la cloche de Blanchelande. C'est comme si la lande s'ouvrait brusquement, entraînant nos deux voyageurs dans un passé presque révolu. Nous voilà d'emblée plongés en L'an VI de la République française. Maître Tainnebouy va alors se faire conteur d'une histoire totalement insolite, celle de cet étrange abbé de la Croix Jugan, ancien chouan dont s'était éprise d'une fatale passion Jeanne-Madeleine le Hardouay, née de Feuardent, déchue par son mariage au rang de roturière. Mais qui était cet ecclésiastique ? Mais qui était Jeanne le Hardouay ?
C'est un ancien chouan, un prêtre à la gueule cassée par des ennemis qui ont cru le tuer au moment de la chouannerie, on a déchiré son visage, il n'en a plus, il n'aurait pas dû survivre, il a survécu, il est devenu un être défiguré, orgueilleux et impassible, entièrement voué au service de deux causes, Dieu et la monarchie. Comment a-t-il pu inspirer alors un tel amour auprès de Jeanne le Hardouay ? C'est l'histoire d'un amour profondément tragique que nous narre ici Barbey d'Aurevilly.
Jeanne-Madeleine le Hardouay, née de Feuardant est une héroïne bien malgré elle. J'ai aimé cette femme....
Voici un récit qui convoque des personnages pittoresques, qui ressemblent trait pour trait au paysage du lieu. Des femmes, des hommes, des pierres, des croix, des églises, de la terre aussi, des bêtes à peine moins hostiles que les habitants de ce pays vis-à-vis de leur destin... Des pâtres qui traînent par-là, mécréants et qui vont jouer un rôle décisif dans le récit.
Comment ne pas songer alors à ces contes d'antan de la Bretagne profonde, comme ceux que me racontait ma grand-mère, m'évoquant par exemple le souvenir d'un exorcisme dont elle avait été témoin enfant dans son village natal ?
Comme ceux issus de la Légende de la mort, d'un certain Anatole le Braz... Comment ne pas songer un seul instant à ce récit de naufrageurs, à cette jeune femme noyée, échouée sur le rivage, qui portait une bague au doigt qu'un des pilleurs d'épaves trancha... Bien sûr, l'histoire ne s'arrêta pas là. Mais je m'égare...
C'est une histoire façonnée de ténèbres et de croyances, le théâtre d'enjeux qui semblent nous dépasser a priori.
L'écriture de Barbey d'Aurevilly est sans doute moins lisible aujourd'hui. Elle mérite d'être visitée pour sa langue d'une maîtrise impressionnante. C'est un plaisir de lire un texte classique aussi beau.
Mais que nous dit ce roman presque deux cents ans plus tard ? Que certaines croyances ont la vie dure... On ne croit plus au diable aujourd'hui, à la malédiction tracée de certaines destinées... Mais on croit à d'autres choses tout aussi irrationnelles, invraisemblables. On s'en étonne chaque jour.
Ici est peut-être dénoncée une manière de sceller déjà par avance le sort à quelqu'un qui ne vous ressemble pas.
La littérature classique a souvent cette magie de nous replonger dans nos existences actuelles.
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