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Critique de CDemassieux


L'Ensorcelée c'est d'abord un titre trompeur qui focalise l'attention sur un personnage, certes majeur : Jeanne de Feuardent – quelle trouvaille onomastique lorsqu'on connaît son destin ! –, épouse le Hardouey. Or, le roman de Barbey d'Aurevilly s'attache autant, sinon plus dans un cas, à d'autres personnages, comme il appréhende plusieurs thèmes : l'Histoire, le fantastique, la foi, et même un peu celui des moeurs régionales, accentuant ce dernier en inondant son récit de patois normand. A moins que cet ensorcèlement ne relève que d'une passion déçue ?! Je ne saurais répondre…
L'histoire centrale nous est donc rapportée par le narrateur, d'après les dires d'un herbager du cru, puis ceux d'une aristocrate centenaire. Il la retranscrira, y mêlant ses impressions propres, pour en tirer finalement une tragédie locale aux accents universels. Sur la quatrième de couverture de l'édition Folio, une phrase en exergue résume bien l'intention de l'auteur : « J'ai tâché de faire du Shakespeare dans un fossé du Cotentin. »
Ça se passe dans une Normandie superstitieuse et reculée : La Manche – région natale de l'auteur –, et particulièrement autour d'une lande propice à tous les développements fantastiques : la lande de Lessay.
Au fait, L'Ensorcelée est-il un roman fantastique ? Oui, si l'on se réfère à quelques passages. Non, si l'on considère ce texte comme une tragédie, où planent les cadavres encore tièdes de la chouannerie – chère à l'auteur – et d'une société disparue, celle-ci incarnée par une antique courtisane, une vieille comtesse et surtout cet abbé de la Croix-Jugan, dont le destin écorché – le mot a son importance ! – atteste son attachement fanatique à l'Ancien Régime. Un abbé qui hante le récit comme un spectre.
Nous sommes donc à la fin du Consulat et au début de l'Empire, sur une terre éprouvée par ces combats entre Blancs royalistes et Bleus révolutionnaires. Les rancoeurs sont encore vives et la vengeance demeure au creux du ventre.
Jeanne, femme entre deux mondes (à la fois roturière et aristocrate par le sang), l'ensorcelée du livre, résume ce déchirement d'une nation que l'épisode napoléonien, cherchant à pacifier le pays, ne parviendra pas à étouffer complètement. de là certaines scènes d'une atrocité inouïe. Je pense au lynchage d'une femme dans un cimetière, traînée ensuite comme une bête. La même femme qui racontera auparavant son humiliation de jadis : tondue en place publique. Une tradition qui perdurera, si vous voyez ce que je veux dire !
Mais au-delà de la sorcellerie des pâtres, de l'apparition d'un revenant dans une église, un an après sa mort, L'Ensorcelée est une oeuvre profondément mystique, avec en filigrane la question de la rédemption. C'est aussi un crescendo dans le chaos des émotions et des croyances.
Lorsque Baudelaire parlait de « chef d'oeuvre » à propos de ce livre, il ne se trompait pas.
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