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Jacques Petit (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070302758
384 pages
Gallimard (15/09/2003)
  Existe en édition audio
3.81/5   1103 notes
Résumé :
Qui est donc Alberte, cette jeune femme étrange, en apparence si réservée et pourtant capable de séduire le beau soldat qu'hébergent ses parents ? Plus encore, de braver tous les interdits pour satisfaire ses désirs ? Quel terrible crime cache le bonheur éclatant du comte et de la comtesse de Savigny ? Dans ces récits, le mal rôde, le diable est partout... Prenez garde, il pourrait bien vous subjuguer !
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Critiques, Analyses et Avis (86) Voir plus Ajouter une critique
3,81

sur 1103 notes
N'avez-vous jamais ressenti la tentation intempestive, lors d'un déjeuner en famille, un de ces dimanches de printemps, attablé entre votre vieille tante dévote et face à votre cousine compassée, de tenir un propos malaisant et d'une obscénité telle qu'il ferait suffoquer votre vieille tante et défaillir votre pauvre cousine ?

Eh bien ! Sous couvert de prêcher le mal pour en dégoûter les bons dévots, Barbey d'Aurevilly nous lègue six nouvelles énigmatiques et licencieuses à souhait, pour le seul « plaisir aristocratique de déplaire » comme l'eût dit Baudelaire.

Entendons-nous bien. Il ne s'agit pas d'un roman cru ou érotique à la Pierre Louÿs, Apollinaire ou D.H. Lawrence. Mais si l'on se glisse un instant sous la soutane d'un sympathisant jésuite de la fin du XIXème siècle on peut imaginer la subtile indécence de ces nouvelles.

D'ailleurs, cet ouvrage, archétype du dandysme littéraire, ne manque ni d'espièglerie, ni d'effronterie, tant et si bien que le Parquet de Paris songea à intenter une action pour atteinte à la morale publique.

C'est que derrière le plaisir coupable de mettre en scène ces femmes à la morale jugée dissolue, le lecteur découvre un écrivain minutieux à la plume sophistiquée. Outre l'éminente qualité littéraire, le lecteur est saisi par la sensualité qui, puisant sa source dans l'encrier, afflue le long de la plume et se distille sur les feuillets pour enfin innerver toute la langue « aurevillienne ».

En fait d'architecture, ces nouvelles sont d'anatomie comparable (à l'exception de « la vengeance d'une femme ») : le narrateur rencontre un personnage masculin, Don Juan (lui-même), un athée repenti ou un militaire en fin de carrière, qui lui confesse un évènement dont il fut acteur ou témoin et impliquant une femme. La « diabolique » est dépeinte de l'extérieur et à aucun moment le lecteur n'accède à ses pensées, ses ressorts, ses mobiles. C'est un personnage distancié dont la silhouette, cachée derrière un rideau cramoisi, reste ambiguë.

Le charme réside également, genre littéraire oblige, en une chute plus sibylline que le récit lui-même.

Ce n'est pas à dire que le récit ne présente pas d'intérêt car, si certains critiques ici jugent le style trop verbeux et l'action peu haletante, cette indéniable et volubile nonchalance est finalement repêchée par la malice du verbe et l'esthétisme de la forme.

Il nous faut à présent dire un mot de la dernière nouvelle, coup de coeur personnel, « la vengeance d'une femme », dont la structure est quelque peu différente. Première différence notable, les prolégomènes dandys des premières pages passent à la trappe au profit salutaire d'une narration à la mécanique plus accrocheuse. Seconde singularité, le lecteur accède enfin au discours direct d'une « diabolique » car il ne s'agit plus de propos rapportés mais d'un personnage principal féminin qui s'exprime pour son compte.

Il ne tient qu'à vous désormais d'entreprendre le périple jusqu'à la Normandie natale de Barbey, sur les traces de ces Diaboliques dont certains villageois, autour d'une partie de whist, susurrent encore les méfaits.
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Il y a dans « Les diaboliques » matière à susciter une haine quasi générale. On tient là une oeuvre libertine dans toute sa splendeur : morgue aristocratique et misogynie triomphante. La Femme (avec un grand F) est meuble, cible ou trophée sur une étagère, au choix. Celle-ci ne s'en offusque pas particulièrement : certes elle est en dessous de l'Homme aristocratique. Mais en dessous d'elle, il y a l'homme (avec un petit h) du peuple ; elle est assurée de sa supériorité sur lui, et le range parmi les utilitaires. On se plaint moins de son infériorité quand on est soi-même le supérieur de quelqu'un. Dans ce monde où le principe d'égalité entre les hommes n'est rien de plus qu'une chimère ridicule, on tue le temps comme on peut. Et quant on a épuisé les ressources de la chasse et du jeu, on écoute les souvenirs des vieux séducteurs impénitents.

Normalement à ce stade, 10% de ceux qui ne l'ont pas encore lu salivent, 10% restent perplexe, et les 80% restant l'ont rayé de leur liste au feutre rouge. Et ils ont tort.

Ils ont tort, car Barbey d'Aurevilly atteint une qualité d'écriture qui n'est pas vraiment égalable. Ils ont tort, car cette beauté mâtinée d'élégance décadente amplifie et pousse aux extrêmes les sentiments qui font l'objet de ces six nouvelles, surtout quand il s'agit de vengeance ou de haine. Ils ont tort, car c'est un monde agonisant qu'il décrit. Une à une, nouvelle après nouvelle, toutes ces beautés aristocratiques se fanent et s'éteignent. Et derrière elles, robuste, surgit la silhouette sculpturale d'une maître d'armes plébéienne, au poignet et au tempérament de fer ; un monde nouveau qui s'annonce...

Oui, 'Les Diaboliques' sont le dernier feu et la dernière flamme de l'aristocratie mourante, qui pendant mille ans régna sur l'Europe. Quant elle vit sa fin proche, elle eut pour elle le même regard de mépris qu'elle avait eu pendant des siècles pour les hommes et les femmes du peuple. Et c'est ce moment qu'a capté Barbey d'Aurevilly.

Quand bien même les particules et les regards de haut vous hérissent le poil, ne vous privez pas de cet instant.
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A travers ces six récits effroyables, Barbey d'Aurevilly raconte la passion amoureuse, dévorante, diabolique, au delà de toute morale. du bonheur que n'assombrit pas le crime à la vengeance d'une femme amoureuse, de la jalousie d'une mère à l'amour d'une fille pour l'amant de sa mère, de l'athée endurci qui va confier au prêtre une bien douloureuse relique à la jeune fille possédée par un amour mortel… toutes ces histoires tiennent du Diable.

Si la sensualité est sans limites, si le crime est dicté par les plus noirs ou les plus célestes desseins, rien ne l'arrête quand la pureté se mêle aux plus sombres désirs, jusqu'à jeter une fière duchesse espagnole dans la déchéance de la prostitution. Et dans ces calmes petites villes de Normandie où le temps semble parfois arrêté, un pot de fleurs peut dissimuler de bien lourds secrets, un rideau cramoisi de bien lugubres souvenirs, comme si la vie avait tenté de s'y épanouir pour être étouffée sous le poids du quotidien. Car la mort guette, une mort parfois tragique parfois héroïque, celle des splendeurs passées, des époques perdues.

Barbey nous transporte sur des chemins sombres, dans ces nuits obscures de l'âme humaine où parfois le ciel se déchire sur une lueur rouge comme une trace de sang dans laquelle il va tremper sa plume de conteur...diabolique ! Et on s'en délecte.
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Jules Barbey d'Aurevilly était un homme de paradoxes et de contradictions. A la fois catholique affirmé et dandy jouisseur, ses récits sont teintés d'une certaine ambivalence, partagés entre un certain moralisme religieux et une fascination pour le mal. C'est cette ambiguïté et cet attrait pour « le sublime de l'enfer » qui font le charme de ses récits en les empêchant de sombrer totalement dans le rigorisme moralisateur. Cette personnalité complexe n'est pas la seule qualité de l'auteur. Il faut reconnaitre que la langue est séduisante, Barbey d'Aurevilly écrit beau. Mais une belle plume ne suffit pas toujours. Je n'ai pas été entièrement séduite par ce recueil de nouvelles. « Les diaboliques » offre à la fois le pire et le meilleur.

La 1ère nouvelle, « le rideau cramoisi » fait indéniablement partie des réussites du recueil. Cette histoire est un petit bijou. L'intrigue, très bien menée, fait la part belle au mystère et à la sensualité. L'auteur joue sur une ambiance quasi gothique, à la lisière du surnaturel, où se mêlent joliment Eros et Thanatos. Classique, me direz-vous. Certes, mais quand c'est bien fait on ne boude pas son plaisir.

Sur le 2ème récit, intitulé « le plus bel amour de Don Juan », j'aurais bien du mal à émettre un jugement. En fait, j'ai complètement oublié cette nouvelle. Ce n'est qu'en tombant sur le sommaire à la fin de l'ouvrage que l'existence même de ce récit m'a été rappelée. Un texte totalement oublié quelques jours après sa lecture, ça n'est pas bon signe.

« le bonheur dans le crime » est l'autre perle des « diaboliques ». Cette nouvelle au titre digne du Marquis de Sade est savoureuse. La finesse des portraits psychologiques vient mettre en valeur une histoire bien menée. le récit est parcouru d'une jolie sensualité troublante dans l'évocation des amours des personnages. Enfin, la conclusion est assez osée. La morale n'est pas sauve, les amants criminels vivent heureux. Cette audace fait toute la saveur de cette nouvelle.

« le dessous de cartes d'une partie de whist » me laisse une impression plus mitigée. Si le fond de l'intrigue est intéressant et si les portraits psychologiques sont encore une fois assez subtils, cette nouvelle m'a parue très longue. L'auteur délaye, étire, allonge son récit d'une façon qui m'a semblé souvent artificielle. J'ai parfois eu l'impression que Barbey d'Aurevilly se regarde écrire et surtout je me suis ennuyée.

« A un diner d'athées » est la nouvelle qui me pose le plus de problèmes. Tout d'abord sur la forme. le récit est assommant durant les 50 premières pages. Dommage pour une nouvelle d'une soixantaine de pages. Il s'agit d'un dîner où se réunissent divers personnages, réputés pour leur conviction athéiste. L'un d'eux va raconter aux autres convives une anecdote horrible. Pendant 50 pages, l'auteur va dresser le portrait psychologique de ce narrateur. D'une part, il le fait d'une façon prodigieusement ennuyeuse (quel besoin de s'appesantir sur la généalogie et la carrière militaire de ce personnage?!) et d'autre part cela n'a pas grand intérêt puisque ce personnage n'est là que pour raconter. C'était long, mais long… Ajoutez à cela le regard accusateur et sans nuance que l'auteur porte sur les athées (en gros, c'est la lie de l'humanité, des gens sans aucun sens moral, qui se plaisent à se vautrer dans l'abject) agrémenté çà et là de quelques sorties antisémites et vous obtenez un texte insupportable. Ou plutôt qui le serait s'il ne se concluait pas par un dénouement hallucinant, une scène d'une violence inouïe qui réveille le lecteur en lui foutant une grande claque dans la gueule. Ce passage, s'il ne fait pas de ce « à un dîner d'athées » une bonne nouvelle, il fait regretter que Barbey d'Aurevilly ne se soit pas contenté de raconter simplement son histoire sans alourdir son récit de ses conceptions réductrices. Derrière l'auteur qui se regarde écrire, on sent qu'il y aurait pu avoir un grand écrivain d'horreur gothique s'il n'avait pas caché un talent de conteur derrière une écriture parfois prétentieuse.

Talent de conteur qu'on retrouve dans la dernière nouvelle « la vengeance d'une femme ». Dans ce très bon récit, rondement mené, l'auteur fait encore une fois preuve d'un talent certain pour décrire le sordide. Talent dans la description de ces horreurs mais aussi imagination et audace, qui culminent dans une scène atroce où Bien sûr on pourrait regretter la touche de misogynie qu'on sent poindre parfois, ici comme dans tous les récits du recueil d'ailleurs (la femme est par nature vénéneuse), mais il faut replacer l'oeuvre dans son époque, c'était là une conception largement répandue.

J'ai eu beaucoup de mal à venir à bout de ces textes. Une écriture dense, de nombreuses références culturelles et historiques rendent la lecture ardue. Je n'ai donc pas eu le courage de me plonger ensuite dans le dossier analytique qui venait compléter mon édition.

Une lecture en demi-teinte donc mais que je suis tout de même contente d'avoir faite. Tout d'abord pour ma culture générale, Barbey d'Aurevilly est un auteur qui a influencé nombre d'écrivains, je suis donc contente de l'avoir lu. Ensuite parce que certaines nouvelles étaient très réussies. Je pense que je lirai un jour « une vieille maîtresse », une autre de ses oeuvres cultes, mais ce sera certainement dans plusieurs années.
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Je lis pour découvrir des ambiances, des cercles que je ne connaîtrai jamais. La littérature est un véhicule tout terrain / tout airain qui parcourt les prairies vallonnées des histoires infinies. Elle nous permet d'observer à distance, à l'abri derrière les fils de phrases barbelés, une faune plus ou moins sauvage, antique ou contemporaine, réelle ou fictive.

Les diaboliques de Jules Barbey d'Aurevilly est un recueil de 6 nouvelles dont la forme oratoire restituent des conversations. Il y est fait état d'êtres singuliers, hommes, femmes ou couples qui ont croisé la vie d'un narrateur et que ce dernier essaie de décrire à son auditoire dans toutes leurs singularités.

Que cela soit à un compagnon de voyage dans un carrosse cahotant ou devant une assistance d'hommes faits, anciens militaires, prêtres defroqués et notables de chef-lieux, autour d'une longue tablée ; les méandres sont celles de ces discussions que l'on suit au fil de leurs rebondissements et méplats.

Le premier titre pressenti pour ces nouvelles qu'il commença à faire paraître dans le journal "La Mode" en 1850 était d'ailleurs Ricochets de conversations.


Le style est enlevé, plein de cette salive qui graisse une langue bien pendue.
Cette dernière sent bien son XIXème siècle et laisse transparaître les effluves de la décomposition. L'odeur âcre mais entêtante d'un monde qui meurt mais veut rester debout. Une aristocratie provinciale balayée par la Révolution et qui n'arrive plus à regarder L Histoire qui se repaît de sa lente agonie. Quelque chose de foutu et de désespéré qui m'a flatté l'oeil.

D'aurevilly voit ce microcosme d'un oeil attendri. Il loue ces nobles qui font honneur à leur rang en endurant le destin qui les frappe de manière stoïque et grandiose. Car ici peu ou pas de roturiers. Partout des titres de noblesses qui traînent derrière eux - comme des cadavres gonflés de cavaliers empêtrés dans leurs étriers - les restes de ces noms de familles dont la renommée s'est perdue dans la poussière des temps.

D'Aurevilly sort de ce creuset dont il s'est extrait dans sa jeunesse parisienne, banni volontaire parti pour la bamboche (à gauche la débauche) et ses frasques. Il y reviendra quelques années plus tard, ruiné et repenti dans un mouvement rétrograde typique de beaucoup de biographies. Chrétien fervent qui voit à nouveau la Vierge, lui qui n'en croisait plus guère. (à droite la vie droite...mmh mmh)

Les récits sont inégaux, allant de "bien" à "captivant". En conteur rusé, Barbey nous assomme dès le seuil avec le rideau cramoisi au rebondissement inattendu et dont je me souviendrai longtemps. Son symbolisme iconique moiré d'érotisme morbide est un fer rougi sur le front du lecteur indolent.

Il nous finit par une botte de sa composition, fidèle à son titre honorifique de Connétable des lettres : la vengeance d'une femme. Ne vous laissez pas avoir par son titre à l'air de téléfilm de M6 du dimanche 15h. Son côté scandaleux fonctionne encore sur le lecteur du XXIème siècle que je suis et qui en a pourtant vu et lu des vertes et des pas bien mûres.

Seul le dernier amour de Don Juan fut une dépressurisation. Un ennui modéré qui m'a d'autant plus fait apprécié la suite et le précédent. Là encore, une tactique ? Un instinct d'auteur qui place là, à dessein, son enfant qu'il sait le plus moche pour nous faire nous extasier sur le reste de sa progéniture ?

Allons bon !!!

"Les dessous de cartes d'une partie de Whist" mais surtout le superbe "Le bonheur dans le crime" et "À un dîner d'athées" sont bien là pour raviver le feu du récit.


Il y a des fulgurances. Des traits brillants qui fendent l'air jusqu'aujourd'hui. On sent le Barbey salonnard - pour ne pas dire salopard - qui devait jouter dans ces lieux et créer la sensation de son verbe haut et grandiloquent. Il y a dû avoir des blessé(e)s. Des egos décapités gisant sur les tapis persans de ces cercles ouatés de mondanités mesquines et concentriques.

On sent la lame acérée. Celle d'un critique abhorré de ses ennemis littéraires qu'il éreintait dans les journaux et qui fut sa principale activité à son grand dam. Zola, Hugo, ont pris le tarif. Ils ne se sont pas fait prier, ces mécréants, pour lui rendre la monnaie des pièces qu'il leur taillait.

Allez pour la plaisir et parce que j'adore ces duels (eh non Booba, tu n'as rien inventé), un petit panier garni qui vous donnera, je l'espère, envie de découvrir le tireur d'élite caché derrière ces balles pas perdues du tout :

Sur L'Assommoir de Zola, en effet il a sorti le maillet : "M. Émile Zola, l'auteur de L'Assommoir, cet Hercule souillé qui remue le fumier d'Augias et qui y ajoute !… M. Émile Zola croit qu'on peut être un grand artiste en fange comme on est un grand artiste en marbre. Sa spécialité, à lui, c'est la fange. Il croit qu'il peut y avoir très bien un Michel-Ange de la crotte…" (ce n'est qu'un extrait, un échantillon) Je vous laisse trouver la réponse de Zola, tout en précision et en conclusion rationnelle. Ce n'est pas moins violent mais à fleuret moucheté.

Sur l'homme qui rit d'Hugo : "Victor Hugo s'est mis à pointiller les choses les plus vastes : la mer, les espaces, le Léviathan, les montagnes, comme le pendu de son livre, dont il fait voir, par un enragement de description mêlé à une étourderie supérieure, jusqu'aux poils de barbe, du haut de sa potence et dans la plus épouvantable nuit. Entassement puéril des plus petites chiures de mouches"

Mais revenons à nos sublimes et dangereux animaux de papier.


Ces diaboliques sont souvent des femmes. On ne niera pas une misogynie assumée de l'auteur. Pourtant, ce sont ces personnages féminins qui marquent mon esprit. Leur démesure, leur mystère, leur passion. Ce sont elles qui flottent encore entre mes yeux. Barbey leur a donné une savane où leurs pelages peuvent luire sous la lune pleine de leurs tragédies. J'avoue que les personnages masculins sont moins intéressants, quand ils ne sont pas carrément vides comme un frigo au retour des vacances. Comme quoi, on peut être une cruche avec une paire de...euh une belle paire d'anses.


Et merci Barbey pour ce choix de noms effervescents qui ont ajouté à mon plaisir. Que je les aime ces noms que les auteurs trouvent à propos et qui en disent tant dans leurs sonorités sur l'homme ou la femme qui les portent en sautoir !!

Jugez donc : le vicomte de Brassard, le comte Jules-Amédée-Hector de Ravila de Ravilès (encore un Jules-Amèdée, décidément...le prénom à la mode du 19ème. Barbey se faufile dans ses habits à n'en pas douter), le docteur Torty, Delphine de Cantor, le comte Serlon de Savigny, Sophie de Revistal, Marmor de Karkoël (rhaaa ce nom...), Hermine Tremblay de Stasseville, le chevalier de Mesnilgrand, Travers de Mautravers, l'abbé Reniant (le bien nommé), commandant Sélune dit "le Balafré", le major Idow, La Rosalba, dite "La Pudica", Robert de Tressignies, Don Esteban marquis de Vasconcelos, Don Christoval d'Arcos, duc de Sierra Leone y otros ducados et Sanzia Florinda Concepcion de Turre Cremata, duchesse d'Arcos de Sierra Leone. Pour finir, ma préférée la vénéneuse et envoûtante Haute-Claire Stassin.

J'ai vraiment goûté cette impression impudique d'observer à la jumelle de superbes fauves. de loin et dans le calme clair de ma lecture.

Ces nouvelles sont matinées de quelques notes de fantastique (le rideau cramoisi) voire d'un romantisme gothique où le glauque et la mort ne sont pas absents. J'ai souvent pensé à un Edgar Poe dans les ambiances et dans l'effraction brutale de l'horreur dans le calme plat du réel.

Il a frôlé le procès pour outrages aux bonnes moeurs le filou. Incompréhensible, ce chrétien affirmé qui plonge son lecteur dans la fange, la mort, l'adultère, la prostitution, le vice le plus complet ?

La réponse d'Aurevilly est dans cet envers de médaille. L'Enfer, le sublime dans le mal c'est le Paradis en creux. Pour être épouvanté, il faut bien avoir une idée de Dieu ? Il n'y a blasphème que si il il y a croyance. Les Diaboliques sont donc un avertissement aux bons catholiques.

Bien joué l'artiste.

Je vais donc continuer à lire ce Barbey qu'Hugo appelait excellemment "Bardé d'or vieilli". A tort selon moi même si la formule est géniale. Je languis de lire ses critiques qui doivent être un champ de tir à la mesure de son extravagance.

Le personnage est détonnant. "Contrasté" dit-on dans les milieux universitaires pour ne pas dire "carrément chiant" pour ses ennemis littéraires. le contraire d'un homme à système qui n'a suivi que son goût et ses détestations. Paradoxal et donc de ce fait intéressant.

Barbé doré, vil lit.
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À un dîner d'athées :
— Il n’y a donc ici, mon pauvre Rançonnet, reprit Mesnil, — disons le mot… qu’une cochonnerie. Mais ce que je trouve beau, moi, et très beau, ce que je me permets d’admirer, Messieurs, quoique je ne croie pas non plus à grand-chose, c’est cette fille Tesson, comme vous l’appelez, monsieur Reniant, qui porte ce qu’elle croit son Dieu sur son cœur ; qui, de ses deux seins de vierge fait un tabernacle à ce Dieu de toute pureté ; et qui respire, et qui vit, et qui traverse tranquillement toutes les vulgarités, et tous les dangers de la vie avec cette poitrine intrépide et brûlante, surchargée d’un Dieu, tabernacle et autel à la fois, et autel qui, à chaque minute, pouvait être arrosé de son propre sang !… Toi, Rançonnet, toi, Mautravers, toi, Sélune, et moi aussi, nous avons tous eu l’Empereur sur la poitrine, puisque nous avions sa Légion d’Honneur, et cela nous a parfois donné plus de courage au feu de l’y avoir. Mais elle, ce n’est pas l’image de son Dieu qu’elle a sur la sienne ; c’en est, pour elle, la réalité. C’est le Dieu substantiel, qui se touche, qui se donne, qui se mange, et qu’elle porte, au prix de sa vie, à ceux qui ont faim de ce Dieu-là ! Eh bien, ma parole d’honneur ! je trouve cela tout simplement sublime… Je pense de cette fille comme en pensaient les prêtres, qui lui donnaient leur Dieu à porter. Je voudrais savoir ce qu’elle est devenue. Elle est peut-être morte ; peut-être vit-elle, misérable, dans quelque coin de campagne ; mais je sais bien que, fussé-je maréchal de France, si je la rencontrais, cherchât-elle son pain, les pieds nus dans la fange, je descendrais de cheval et lui ôterais respectueusement mon chapeau, à cette noble fille, comme si c’était vraiment Dieu qu’elle eût encore sur le cœur ! Henri IV, un jour, ne s’est pas agenouillé dans la boue, devant le Saint-Sacrement qu’on portait à un pauvre, avec plus d’émotion que moi je ne m’agenouillerais devant cette fille-là.
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"Il était environ cinq heures du soir. Le soleil éclairait de ses feux alentis une route poudreuse, bordée de peupliers et de prairies, sur laquelle nous nous élançâmes au galop de quatre vigoureux chevaux dont nous voyions les croupes musclées se soulever lourdement à chaque coup de fouet du postillon, — du postillon, image de la vie, qui fait toujours trop claquer son fouet au départ !"
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Jamais, à aucune heure de la journée, les églises de province ne sont plus hantées par ceux qui les fréquentent qu’à cette heure vespérale où les travaux cessent, où la lumière agonise, et où l’âme chrétienne se prépare à la nuit, - à la nuit qui ressemble à la mort et durant laquelle la mort peut venir. A cette heure-là, on sent vraiment très bien que la religion chrétienne est la fille des catacombes et qu’elle a toujours quelque chose en elle des mélancolies de son berceau. C’est à ce moment, en effet, que ceux qui croient encore à la prière aiment à venir s’agenouiller et s’accouder, le front dans leurs mains, en ces nuits mystérieuses des nefs vides, qui répondent certainement au plus profond besoin de l’âme humaine, car si pour nous autres mondains et passionnés, le tête-à-tête en cachette avec la femme aimée nous paraît plus intime et plus troublant dans les ténèbres, pourquoi n’en serait-il pas de même pour les âmes religieuses avec Dieu, quand il fait noir devant ses tabernacles, et qu’elles lui parlent, de bouche à oreille, dans l’obscurité ?
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« LE BONHEUR DANS LE CRIME

Dans ce temps délicieux, quand on raconte une histoire vraie, c’est à croire que le Diable a dicté... J’étais un des matins de l’automne dernier à me promener au Jardin des plantes, en compagnie du docteur Torty, certainement une de mes plus vieilles connaissances. Lorsque je n’étais qu’un enfant, le docteur Torty exerçait la médecine dans la ville de V... ; mais après environ trente ans de cet agréable exercice, et ses malades étant morts, ses fermiers comme il les appelait, lesquels lui avaient rapporté plus que bien des fermiers ne rapportent à leurs maîtres, sur les meilleures terres de Normandie, - il n’en avait pas repris d’autres ; et déjà sur l’âge et fou d’indépendance, comme un animal qui a toujours marché sur son bridon et qui finit par le casser, il était venu s’engloutir dans Paris, là même, dans le voisinage du Jardin des plantes, rue Cuvier, je crois, - ne faisant plus la médecine que pour son plaisir personnel, qui, d’ailleurs, était grand à en faire, car il était médecin dans le sang et jusqu’aux ongles, et fort médecin, et grand observateur, en plus de bien d’autres cas que de cas simplement physiologiques et pathologiques... »
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Elle ne voyait, elle, dans la rigidité de cette lèvre étroite et meurtrière, que le fil d’acier sur lequel dansait incessamment la flèche barbelée de l’épigramme. Des yeux pers (car la comtesse portait de sinople, étincelé d’or, dans son regard comme dans ses armes) couronnaient, comme deux étoiles fixes, ce visage sans le réchauffer. Ces deux émeraudes, striées de jaune, enchâssées sous les sourcils blonds et fades de ce front busqué, étaient aussi froides que si on les avait retirées du ventre et du frai du poisson de Polycrate.
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Des lettres inédites de la célèbre écrivaine, révélant des échanges inconnus avec de grandes personnalités du XIXe siècle. Un livre exceptionnel ! Lettres réunies et présentées par Thierry Bodin.
Ces 406 nouvelles lettres retrouvées couvrent presque toute la vie de George Sand, depuis ses quinze ans jusqu'à ses derniers jours. La plupart, du court billet à la longue missive, sont entièrement inédites et viennent s'ajouter au corpus de sa volumineuse correspondance. D'autres, dont on ne connaissait que des extraits, sont ici publiées intégralement pour la première fois. Plus de 260 correspondants — dont une cinquantaine de nouveaux — sont représentés, des moins connus aux plus illustres, comme Barbey d'Aurevilly, Hector Berlioz, Henri Heine, Nadar, Armand Barbès, Eugène Sue, Victor Hugo, Louis Blanc, Eugène Fromentin, Jules Favre, Pauline Viardot, la Taglioni, ainsi que les plus divers : parents, familiers, éditeurs, journalistes et patrons de presse, acteurs et directeurs de théâtre, écrivains, artistes, hommes politiques, domestiques, fonctionnaires, commerçants, hommes d'affaires... On retrouve dans ces pages toute l'humanité et l'insatiable curiosité de l'écrivain, que l'on suit jusqu'à ses toutes dernières lettres, en mai 1876, quelques jours avant sa mort. Les auteurs : George Sand (1804-1876) est une romancière, dramaturge et critique littéraire française. Auteure de plus de 70 romans, on lui doit également quelque 25 000 lettres échangées avec toutes les célébrités artistiques de son temps. Thierry Bodin est libraire-expert en lettres et manuscrits autographes. Ses travaux sont consacrés au romantisme français, en particulier Honoré de Balzac, Alfred de Vigny et George Sand.
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