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Critique de Fabinou7


N'avez-vous jamais ressenti la tentation intempestive, lors d'un déjeuner en famille, un de ces dimanches de printemps, attablé entre votre vieille tante dévote et face à votre cousine compassée, de tenir un propos malaisant et d'une obscénité telle qu'il ferait suffoquer votre vieille tante et défaillir votre pauvre cousine ?

Eh bien ! Sous couvert de prêcher le mal pour en dégoûter les bons dévots, Barbey d'Aurevilly nous lègue six nouvelles énigmatiques et licencieuses à souhait, pour le seul « plaisir aristocratique de déplaire » comme l'eût dit Baudelaire.

Entendons-nous bien. Il ne s'agit pas d'un roman cru ou érotique à la Pierre Louÿs, Apollinaire ou D.H. Lawrence. Mais si l'on se glisse un instant sous la soutane d'un sympathisant jésuite de la fin du XIXème siècle on peut imaginer la subtile indécence de ces nouvelles.

D'ailleurs, cet ouvrage, archétype du dandysme littéraire, ne manque ni d'espièglerie, ni d'effronterie, tant et si bien que le Parquet de Paris songea à intenter une action pour atteinte à la morale publique.

C'est que derrière le plaisir coupable de mettre en scène ces femmes à la morale jugée dissolue, le lecteur découvre un écrivain minutieux à la plume sophistiquée. Outre l'éminente qualité littéraire, le lecteur est saisi par la sensualité qui, puisant sa source dans l'encrier, afflue le long de la plume et se distille sur les feuillets pour enfin innerver toute la langue « aurevillienne ».

En fait d'architecture, ces nouvelles sont d'anatomie comparable (à l'exception de « la vengeance d'une femme ») : le narrateur rencontre un personnage masculin, Don Juan (lui-même), un athée repenti ou un militaire en fin de carrière, qui lui confesse un évènement dont il fut acteur ou témoin et impliquant une femme. La « diabolique » est dépeinte de l'extérieur et à aucun moment le lecteur n'accède à ses pensées, ses ressorts, ses mobiles. C'est un personnage distancié dont la silhouette, cachée derrière un rideau cramoisi, reste ambiguë.

Le charme réside également, genre littéraire oblige, en une chute plus sibylline que le récit lui-même.

Ce n'est pas à dire que le récit ne présente pas d'intérêt car, si certains critiques ici jugent le style trop verbeux et l'action peu haletante, cette indéniable et volubile nonchalance est finalement repêchée par la malice du verbe et l'esthétisme de la forme.

Il nous faut à présent dire un mot de la dernière nouvelle, coup de coeur personnel, « la vengeance d'une femme », dont la structure est quelque peu différente. Première différence notable, les prolégomènes dandys des premières pages passent à la trappe au profit salutaire d'une narration à la mécanique plus accrocheuse. Seconde singularité, le lecteur accède enfin au discours direct d'une « diabolique » car il ne s'agit plus de propos rapportés mais d'un personnage principal féminin qui s'exprime pour son compte.

Il ne tient qu'à vous désormais d'entreprendre le périple jusqu'à la Normandie natale de Barbey, sur les traces de ces Diaboliques dont certains villageois, autour d'une partie de whist, susurrent encore les méfaits.
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