Il y a dans «
Les diaboliques » matière à susciter une haine quasi générale. On tient là une oeuvre libertine dans toute sa splendeur : morgue aristocratique et misogynie triomphante. La Femme (avec un grand F) est meuble, cible ou trophée sur une étagère, au choix. Celle-ci ne s'en offusque pas particulièrement : certes elle est en dessous de l'Homme aristocratique. Mais en dessous d'elle, il y a l'homme (avec un petit h) du peuple ; elle est assurée de sa supériorité sur lui, et le range parmi les utilitaires. On se plaint moins de son infériorité quand on est soi-même le supérieur de quelqu'un. Dans ce monde où le principe d'égalité entre les hommes n'est rien de plus qu'une chimère ridicule, on tue le temps comme on peut. Et quant on a épuisé les ressources de la chasse et du jeu, on écoute les souvenirs des vieux séducteurs impénitents.
Normalement à ce stade, 10% de ceux qui ne l'ont pas encore lu salivent, 10% restent perplexe, et les 80% restant l'ont rayé de leur liste au feutre rouge. Et ils ont tort.
Ils ont tort, car
Barbey d'Aurevilly atteint une qualité d'écriture qui n'est pas vraiment égalable. Ils ont tort, car cette beauté mâtinée d'élégance décadente amplifie et pousse aux extrêmes les sentiments qui font l'objet de ces six nouvelles, surtout quand il s'agit de vengeance ou de haine. Ils ont tort, car c'est un monde agonisant qu'il décrit. Une à une, nouvel
le après nouvelle, toutes ces beautés aristocratiques se fanent et s'éteignent. Et derrière elles, robuste, surgit la silhouette sculpturale d'une maître d'armes plébéienne, au poignet et au tempérament de fer ; un monde nouveau qui s'annonce...
Oui, '
Les Diaboliques' sont le dernier feu et la dernière flamme de l'aristocratie mourante, qui pendant mil
le ans régna sur l'Europe. Quant elle vit sa fin proche, elle eut pour elle le même regard de mépris qu'el
le avait eu pendant des siècles pour les hommes et les femmes du peuple. Et c'est ce moment qu'a capté
Barbey d'Aurevilly.
Quand bien même les particules et les regards de haut vous hérissent le poil, ne vous privez pas de cet instant.