Pour les lecteurs amoureux de Barbey d'Aurevilly (c'est ainsi qu'ils se désignent en général, c'est dire s'il est attachant), son héros principal, c'est lui-même, et son oeuvre la plus extraordinaire, c'est sa vie.
Les Lettres à Trébutien et Memoranda (Editions Bartillat pour les deux recueils), auxquels on peut ajouter Omnia, nous le restituent presque au jour le jour dans son humanité, ses difficultés, ses angoisses, ses contradictions, ses aspirations et ses déceptions, ses passions, nous enchantent par leur écriture toujours admirablement travaillée et les traits d'esprit qui la traversent, et nous font suivre les avancées de ses travaux.
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Je vous demande pardon de mes éternelles demandes, mais n'avez-vous pas pris charge d'âme en m'aimant ?
Vous êtes pour moi un oreiller de satin rose orné de dentelles sur lequel j'endors tous mes scrupules, mais sur lequel (je vous le jure) mon amitié ne dormira jamais.
Je vous écris comme on se précipite du haut d'une tour (…) à la volée sans relire (…) avec la rapidité de la foudre (…)
Et maintenant, cher ami, toujours en raison des effronteries de l'amitié, je m'en vais vous demander de me faire une commission. Vous m'avez dit, je crois, l'an dernier, qu'une limousine coûtait de 12 à 13 francs à Caen. Voulez-vous m'en acheter une ? Je la voudrais blanche à larges bandes rousses, ou bleues, ou brunes (mais j'aimerais mieux rousses). Je vous enverrai le prix coûtant soit par un mandat sur la poste, soit par la voie que vous choisirez. Vous auriez soin de prendre cette limousine la plus longue et le plus large possible.
Vous allez vous récrier, mais il me semble que ce caprice n'est pas de mauvais goût. Je m'imagine qu'en doublant de soie ou de velours ce vêtement d'apparence grossière et de couleur tranchée, on aurait ce que les petites filles appellent une jolie sortie de bal. En voiture on s'arrange mal d'un manteau espagnol de douze mètres comme le mien, et c'est un dessus pour voiture que je veux. Voilà, mon très cher, l'explication de ce que vous pourriez croire une bizarrerie par trop forte. Les femmes les plus élégantes portent des laitières cette année. Je ne vois pas, moi, pourquoi je n'aurais pas un manteau de Roulier.
La poésie pour moi n'existe qu'au fin-fond de la réalité et la réalité parle patois. Les langues sont le clavier des Artistes, ils les animent, ils les idéalisent ; ils en doublent, triplent, multiplient le jeu, les fonctions, la portée et, qui le croirait ? le sens et même le son. Il ne s'agit que d'être intelligible. Quand vous l'êtes, parlez comme vous voudrez, mais parlez bien. Est-ce que les paysans dans Molière n'ont pas autant de style que les autres personnages et ils parlent tous les patois, jusqu'au suisse...Mais quand je vous accorderais, Trébutien, que ce sont des vices, des maladies de langage, des membres déjetés d'une langue qui devrait être saine, des espèces d'écrouelles, les Grands Artistes sont des Rois et les Rois touchent les écrouelles et les guérissent en les touchant !
Paris, mardi, le 27 mars 1855,
vers 11 heures du matin.
Mon cher Trébutien,
Nos paquets ont fait, pour le coup, ce que parfois on fait nos lettres, ils se sont croisés. Le mien partait le jour même que le vôtre m'est arrivé. Vous ne m'avez pas accusé réception immediatly, ni moi non plus. Mais j'ai pensé au principe posé par vous : que l'un pouvait négliger l'autre, mais qu'il ne fallait pas nous négliger, à la fois tous les deux, et voilà pourquoi je vous galope cette lettre, ce matin.
Sur ce, mon cher Trébutien, je ferme ma lettre en vous souhaitant le bonjour pour m'occuper d'une Muchacha qui fait les plus grandes folies à mon coude pendant que je vous écris ces gravités. C'est ma maîtresse... d'espagnol. Elle est de Málaga, brune, dorée, parfumée comme le vin de son pays. Mais elle est un peu moins douce et jouerait volontiers du cuchillo (couteau). Je me croirai incomplet tout le temps que je n'aurai pas reçu de cuchillo de cette toute petite main-là.
Des lettres inédites de la célèbre écrivaine, révélant des échanges inconnus avec de grandes personnalités du XIXe siècle. Un livre exceptionnel !
Lettres réunies et présentées par Thierry Bodin.
Ces 406 nouvelles lettres retrouvées couvrent presque toute la vie de
George Sand, depuis ses quinze ans jusqu'à ses derniers jours. La plupart,
du court billet à la longue missive, sont entièrement inédites et viennent
s'ajouter au corpus de sa volumineuse correspondance. D'autres, dont on
ne connaissait que des extraits, sont ici publiées intégralement pour la
première fois.
Plus de 260 correspondants — dont une cinquantaine de nouveaux — sont
représentés, des moins connus aux plus illustres, comme Barbey d'Aurevilly,
Hector Berlioz, Henri Heine, Nadar, Armand Barbès, Eugène Sue, Victor
Hugo, Louis Blanc, Eugène Fromentin, Jules Favre, Pauline Viardot, la
Taglioni, ainsi que les plus divers : parents, familiers, éditeurs, journalistes
et patrons de presse, acteurs et directeurs de théâtre, écrivains, artistes,
hommes politiques, domestiques, fonctionnaires, commerçants, hommes
d'affaires...
On retrouve dans ces pages toute l'humanité et l'insatiable curiosité de
l'écrivain, que l'on suit jusqu'à ses toutes dernières lettres, en mai 1876,
quelques jours avant sa mort.
Les auteurs :
George Sand (1804-1876) est une romancière, dramaturge et critique littéraire française. Auteure de plus de 70 romans, on lui doit également quelque 25 000 lettres échangées avec toutes les célébrités artistiques de son temps.
Thierry Bodin est libraire-expert en lettres et manuscrits autographes. Ses
travaux sont consacrés au romantisme français, en particulier Honoré de Balzac, Alfred de Vigny et George Sand.
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