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Philippe Berthier (Éditeur scientifique)
EAN : 9782080707406
473 pages
Flammarion (25/03/1993)
4.1/5   92 notes
Résumé :
M. Barbey d'Aurevilly est une des plus fortes vocations littéraires que je sache ; et sa maîtresse faculté, sa plus belle force, son plus grand souffle, à lui, c'est l'expression, c'est-à-dire le don de l'irrésistible éloquence. L'enthousiasme flambe continuellement dans ce livre et promène sur toutes les pages sa terrible langue de feu, ondoyante et multiple... "
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Critiques, Analyses et Avis (16) Voir plus Ajouter une critique
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On dit toujours" Jamais deux sans trois" ..j'ai donc enquillé avec une délectation anticipée, mon 3ème Barbey des vacances... mauvaise pioche! c'était pas le bon numéro!

Je me suis rasée comme jamais, je me suis noyée dans les bondieuseries, je me suis égarée dans les (saints) lieux communs ..

Un vrai chemin de croix pour athée relativement tolérante... prête à toutes les pénitences, les excommunications et les génuflexions pour communier un tant soit peu avec un de ses auteurs favoris!

J'ai pourtant été jusqu'au bout de ce pensum, avec une ténacité dont je ne me croyais pas capable...mais beaucoup de soupirs exaspérés et de diversions...

Voyons l'histoire: Sombreval, un prêtre marié, bientôt veuf et père d'une pâle et chaste enfant, achève de se damner en essayant , par des recherches scientifiques -oh le vilain mot!- menées avec acharnement devant ses cornues d'alchimiste et ses fourneaux infernaux , de la sauver d'une étrange maladie nerveuse- un peu de somnambulisme, pas mal d'épilepsie, une pincée de catalepsie, et pour finir un bon tétanos des familles-

Alors que la cause de ce mal terrible est, vous l'avez deviné, ...sa propre apostasie! La pure enfant, prénommée Calixte, porte en effet au front les stigmates du péché de son père: une croix rouge et boursouflée que l'on cache pudiquement sous un bandeau écarlate...

Elle se meurt pour qu'il revienne à Dieu. Il s'enferre pour la sauver.

Un troisième larron, Néel de Néhou- pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?- un jeune noble, une sorte de chevalier normand un peu slave-il faut avoir du sang slave pour se jeter corps et âme dans un pareil marigot- se dévoue à la belle par amour, mais elle n'aime que Dieu...et son papa qui en est le double inverse!

Un même sort funeste pèse sur tous les trois.

Nous sommes en terre de Cotentin, où les Rompus reviennent à la brune, où les marais ont d'étranges fantômes, et le vent de sinistres complaintes.. le Cotentin, presque une île...

Et c'est là que le charme agit, malgré la niaiserie sulpicienne du propos,malgré la simplification caricaturale de ce trio héroïque: sans la magie des paysages cotentinais, sur lesquels passent les saisons -été étouffant, automne alangui, hiver brumeux et perfide-, sans le magnifique personnage de la grande Malgaigne, normande Clôtho, fileuse de sorts et de morts violentes, sans la présence, çà et là, de ces aphorismes triomphalement réactionnaires qui font frissonner d'horreur et d'aise la vieille perverse gauchiste que je suis, je crois que je n'aurais pas supporté ce Barbey de trop !
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Dans les années troublées qui ont suivi la Révolution française, Jean Sombreval, ordonné prêtre, quitte son village normand pour aller perdre son âme à Paris. Et il la perd doublement. Non seulement il renonce à sa foi pour se consacrer à la Science, mais il commet le péché suprême en se mariant. Au-delà même du péché de chair, c'est Dieu lui-même qu'il assassine.
Sur le point d'accoucher, sa malheureuse épouse apprend l'horrible vérité et meurt en mettant au monde une enfant marquée par cette effroyable naissance. Calixte, une jeune fille sainte mais perpétuellement souffrante, atteinte d'une maladie des nerfs que Sombreval met toute son énergie et sa science à vouloir guérir. Mais seule la grâce divine le pourrait…

De retour dans son pays natal, il va s'installer en solitaire avec sa fille dans une propriété abandonnée car maudite depuis des années. Malgré le charme angélique de la jeune fille, les pires médisances vont vite courir sur le prêtre marié et sa fille…considérés par les villageois comme des créatures diaboliques.
Seul un jeune homme, Néel, fils du vicomte de Néhou, va braver l'opprobre général et se languir d'amour pour la belle Calixte qui s'est donnée à Dieu pour racheter la conduite de son père. Situation sans issue d'autant que la santé fragile de la jeune fille épuise son système nerveux dans des crises de plus en plus violentes.

La Malgaigne, vieille femme un peu sorcière des temps jadis leur a prédit à tous une destinée tragique. Et Barbey nous emmène jusqu'au bout de sa malédiction, l'enfant sacrifiée au péché du père qui s'abimera à son tour dans une mort violente et l'amant désespéré partira offrir sa jeune vie sur les champs de bataille napoléoniens.
Ce très beau roman est assez central dans l'oeuvre de Barbey d'Aurevilly car il éclaire sa vision du monde et de la vie humaine. Si sa description de la passion paternelle est très moderne, il reste attaché à une conception traditionnelle et religieuse de la place de l'homme dans l'univers, menacé par le châtiment divin s'il prétend s'en éloigner. Mais par la magie de sa puissance d'écriture et sa description des caractères humains, on reste sous le charme.
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Préface, Chronologie, Notes & Variantes, Bibliographie : Jacques Petit

ISBN : Non Indiqué

Dès les premières pages, on se dit : "C'est du mélo classique et architypé ..." et celui qui ne connaît pas Barbey risque de refermer le tout sans autre forme de procès. Ce serait une erreur car, nous l'avons déjà mentionné ici et là, l'écrivain normand possède, tout comme Balzac mais en plus lyrique, l'art de se saisir d'une situation fondamentalement, intimement mélodramatique pour en faire, malgré les clichés imposés par l'usage, un vrai - et un bon - roman (ou en quelque chose qui y ressemble bougrement). study

Question clichés, on peut dire qu'"Un Prêtre Marié" démarre sur des chapeaux de roues : un prêtre, Sombreval, qui, au coeur de la Révolution française, perd une foi à vrai dire pas très vive et qui se marie ; l'enfant (une fille, pauvre petite créature) qui naît très légitimement aux yeux des hommes mais sur laquelle pèse la malédiction divine - la preuve : elle perd sa mère ; le prêtre défroqué qui, sa fille adulte et pour on ne sait trop quelle raison hormis, peut-être, le désir d'en imposer à ceux qui l'ont connu jadis, vient s'isoler dans un antique château, sur les lieux mêmes de sa jeunesse et le fils (très fier) d'un châtelain (un peu moins fier parce que plus âgé) qui, badaboum ! au premier regard, tombe amoureux éperdu de "la fille du prêtre" puisque tel est le surnom que les villageois donneront très vite à la malheureuse Calixte.

Et ça, ce n'est que pour le début. Barbey continue : il roule, il déroule, il empile, il entasse, il accumule ! Pour un peu, on croirait qu'il le fait exprès.

Bien que sachant impossible sa passion pour Calixte, le jeune aristocrate - Néel de Néhou, encore un nom qui fleure bon son mélo - ne cesse de leur rendre visite, à elle et à son père. Au passage et comme de bien entendu, il délaisse la jeune fille (de très bonne famille) que lui destinaient et son père, et les convenances, à savoir Melle Bernardine de Lieusaint - ça aussi, c'est un beau nom, ça ... Ce en quoi il a bien tort car, de toutes façons, comme il l'apprend par la suite, Calixte, pour expier les fautes de son père s'est faite carmélite sans rien lui en dire et, partant, toute vie "dans le siècle" lui est interdite. Il ne faudrait pas oublier les fréquentes crises de somnambulisme qui, depuis sa plus tendre enfance, accablent la malheureuse jeune fille et contre lesquelles son père, passionné de chimie et de logique, a essayé, mais en vain, tous les remèdes possibles et imaginables. Elles font beaucoup, soulignons-le, pour l'ambiance du récit. (Plus tard, Barbey ira jusqu'au bout du sujet avec son "Histoire Sans Nom.")

Mais attention ! Si Sombreval ne croit qu'en la Déesse Raison, Barbey, lui, n'oublie pas qu'il y a plaisir à manier le mystère et à suggérer l'incompréhensible et l'inexplicable. Outre ses descriptions, sublimes et hantées, de la campagne normande, il fournit au lecteur le personnage de la Malgaigne, mi-fileuse, mi-devineresse, qui a connu Sombreval au temps où il avait pris les ordres et qui, elle le proclame elle-même maintes fois avec une tranquille résignation, sait que "le prêtre marié" ne peut échapper à son destin. Grande et sèche, bienveillante et même miséricordieuse quoique sans illusions sur ce qui est écrit, la Malgaigne, qui court la campagne avec son bâton, à la recherche des plantes nécessaires à la confection de certains "charmes", fait irrésistiblement penser à une incarnation de la Fatalité - les Anciens n'appelaient-ils pas le Destin "Fatum" ? Une incarnation magistrale, il faut bien le reconnaître, une sorte de Clotte à la puissance mille - ceux qui ont lu "L'Ensorcelée" comprendront tout de suite.

C'est ainsi, par de petites touches qui font insensiblement monter la tension ou, au contraire, par l'apparition d'un seul bloc d'un personnage aussi réussi, aussi "vrai" que la Malgaigne - laquelle aurait pu rester ce qu'elle était au départ : la sorcière plus ou moins repentie qui rôde dans l'ombre du roman pseudo-gothique et romantique afin d'y ménager des zones d'ombre bienvenues - que Barbey prend son mélo initial à bras-le-corps pour le transformer, sans difficultés majeures apparentes, en ...

... en quoi, exactement ?

C'est là que l'on s'arrête et que l'on s'interroge. Chez Barbey, outre le mélo et le lyrisme, vous devez le plus souvent compter avec une base historique (le prototype de Sombreval a bel et bien existé mais eut, semble-t-il, une vie post-révolutionnaire beaucoup moins tourmentée), un réalisme détaillé (qui atteint à son sommet dans "Le Chevalier des Touches") et puis, et surtout, avec ce quelque chose d'absolument indéfinissable, qui n'appartient qu'à son génie mélancolique et sombre, écartelé à jamais entre la flamboyance, pleine de panache, de la Damnation et la gloire, radieuse mais fadement sereine, de la Sainteté. le faible prononcé de l'écrivain pour la première - qu'il en ait eu conscience ou non - est justement ce qui, à quelques notables exceptions près - "L'Amour Impossible" et "Ce Qui Ne Meurt Pas" - contribue à métamorphoser son oeuvre en quelque chose d'unique, sur quoi on a le plus grand mal à apposer une étiquette. du mélo pur, Barbey rabote avec détermination les arêtes exaspérées. Les conventions gnangnan propres au genre, il les tord dans tous les sens jusqu'à ne garder d'elles que leur inexorabilité. Les types outrés, trop beaux ou trop méchants pour être vrais, femmes ou hommes, qui s'y promènent, il les retourne comme il le ferait de vieux manteaux et les retaille, les recoupe, les façonne sur un patron nouveau, fait d'orgueil luciférien pour certains, de mysticisme éclatant pour d'autres et, dans quelques cas, disons pour les personnages ayant la charge de permettre au Destin de s'exprimer, d'énigme pure, de ténèbres aussi épaisses qu'indéfinissables où se mêlent, en une étreinte inextricable, le Bien et le Mal.

En un mot comme en cent, l'univers de Barbey d'Aurevilly est glauque, glauque, glauque. Il peut passer en un seul instant du chatoiement le plus moiré à l'obscurité la plus freudienne. le définir à la fois comme terriblement vieillot, à l'image d'une France et d'une société depuis longtemps disparues, et tout aussi résolument moderne, d'une modernité agressive et sanglante, qui en redemande dans le fantasme et l'interdit, paraît chose impossible et même des plus stupides : c'est pourtant ce qu'il est. Et c'est peut-être ce qui explique pourquoi la critique de son temps l'a si mal compris et si peu considéré. Barbey dérangeait à plus d'un titre mais sa plus grande réussite, c'est de continuer, en plein XXIème siècle, à déranger le lecteur, à titiller ses plus mauvais instincts et sa soif de mystère, à le contraindre à se poser et à se reposer tant de questions et par dessus tout celles-ci : "Qu'est-ce que le Bien ? Qu'est-ce que le Mal ? Et pourquoi ?"

"Un Prêtre Marié" ne vous apportera pas la réponse, bien sûr. Mais si vous voulez tenter sa lecture, ne vous gênez surtout pas. ;o)


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" L'essence de l'amour n'est-elle pas de souffrir pour l'objet aimé, plus qu'il ne peut souffrir et même quand il ne souffre pas ?…".

Ces quelques mots de l'auteur, majestueux par leur vérité, suffisent pour résumer en un éclair l'essence même de ce grand roman catholique. Car, si la religion et la figure du prêtre demeurent le thème central de ce récit, il est aussi, et surtout, question de ces épanchements du coeur qui nous poussent à la folie, à la déraison, à la souffrance même, pourvu que par elle nous puissions aimer et sauver l'être chéri.

Voici donc l'histoire de Jean Gourgues, dit Sombreval, prêtre défroqué et veuf, désormais athée et père d'une sublime Calixte. La jeune fille, dont le physique et la pâleur ne sont pas sans rappeler la Lasthénie déjà rencontrée dans Une histoire sans nom, se destine à une vie de Sainte martyre, rendue malade par le péché de son père, et prête à le racheter par le don de sa propre vie. Menant une vie solitaire rythmée par la prière et les nombreuses crises dont elle est victime, elle fait pourtant la rencontre du jeune Néel, qui en tombe éperdument amoureux.

Comment trouver les mots justes pour décrire une telle oeuvre ? L'écriture est d'une justesse remarquable, précieuse et terriblement sombre à la fois, frôlant le fantastique dans les remarquables descriptions du domaine, de l'étang entouré de saules et plongé dans un brouillard éternel, des apparitions de pauvres fantômes errants et damnés… Tout envoûte, jusque dans le personnage de Calixte que l'on croirait faite de marbre blanc, reflétant presque les portes du ciel, si sainte que Néel ira jusqu'à l'imaginer flottant sur la mer et couronnée, comme la Vierge, de brillantes étoiles !

Telle est l'histoire de trois amours fous qui jamais ne s'apaisent : celui de Sombreval pour sa fille, de Calixte pour son père et son Dieu, et de Néel pour sa bien-aimée. Trois amours enchaînés à l'existence d'un Créateur renié, drame où se mêlent repentir, pénitence, impiété, mensonges, prières, absolution, rêve, folie et violence.

Un chef d'oeuvre où chacun, en voulant sauver celui qu'il aime le plus, finira par se perdre lui-même, par perdre l'autre. "Ces plaisirs violents ont des fins violentes", comme le disait Shakespeare.

Et quelle puissance !





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Un prêtre marié /Jules Barbey d'Aurevilly (1808-1889)
Ce roman paru en 1865 commence par une assez longue introduction qui répond à la technique habituelle de construction de l'auteur, à savoir celle du récit enchâssé où le narrateur initial cède la parole à une personnage qui devient à son tour le narrateur.
L'histoire débute dans les années troublées qui ont suivi la Révolution. Jean Gourgue dit Sombreval, d'origine paysanne normande , après des études sérieuses au séminaire de Coutances est ordonné prêtre au grand désespoir, dans un premier temps, de son père qui voyait de fait sa race abolie.
Sombreval est un travailleur acharné et n'inspire aucune sympathie. Il vit dans une petite maison avec son père. Il quitte un jour du début de l'année 1789 son village normand pour une mission secrète à Paris ordonnée par l'évêque. Il ne reviendra jamais de la capitale, « ce gouffre de corruption, ce cratère qui allait vomir la Révolution française ».
C'est là qu'il va perdre son âme, sa foi et ses buts suite à la rencontre d'un chimiste qui lui communique sa passion. Il va ainsi consacrer sa vie à la science, séduire la fille de son collègue et commettre le péché suprême en se mariant avec elle et consommer ainsi son apostasie dans le « bourbier des bras d'une femme ». Au-delà du péché de chair, c'est Dieu lui-même qu'il assassine. Son père qui avait accepté sa prêtrise mourut de cette déchéance et de la mise au ban de l'opinion du pays de ce fils apostat.
La jeune fille, belle et orpheline de mère ignorait qu'il fût prêtre. Pieuse et tendre, elle aimait Sombreval. C'est enceinte qu'elle apprend que Jean est prêtre. le choc est tel qu'elle ne se relève pas de ses couches. L'enfant née, une fille très fragile, est prénommée Calixte. Signe particulier, elle a une petite tache sur le front en forme de croix. Jean aime sa fille, il est attentionné et veille à son bonheur, mais n'a jamais évoqué avec elle l'idée de Dieu. C'est l'abbé Hugon, son parrain, qui va plonger l'adolescente, pure et poétique mais souffreteuse dans la divine ébriété. Lui qui a assisté sa mère dans ses derniers instants est son confesseur, mais plus encore, le souvenir de sa mère.
Revenu dans sa campagne natale au fin fond de la Normandie, Jean s'installe avec Calixte dans le vieux château de Quesnay qu'il a acquis récemment, une demeure abandonnée et maudite depuis des années. Jean a pour Calixte des attentions, des surveillances et des adorations sans bornes. Mais peu à peu une ambiance lourde s'installe dans le pays : malgré le charme angélique de la jeune fille, les pires médisances courent dans le village sur le prêtre marié et sa fille, considérés par les villageois comme des créatures diaboliques. Les mauvaises langues vont jusqu'à suspecter le château d'abriter le sacrilège et l'inceste. Sombreval met toute son énergie et sa science pour soigner la maladie nerveuse de Calixte « d'une beauté nitescente mais toujours d'une pâleur albâtréenne et sépulcrale, réfugiée dans sa chambre, une vraie cellule de religieuse dans sa virginale austérité. »
« On aurait dit l'Ange de la souffrance marchant sur la terre du Seigneur, mais y marchant dans sa fulgurante et virginale beauté d'ange, que les plus cruelles douleurs ressenties ne pouvaient profaner…Calixte souffrait dans son corps par la maladie et dans son esprit par son père, mais elle n'en était que plus belle. »
Dans le voisinage, seul un flave et mince jeune homme aristocrate, Néel, fils du vicomte de Néhou va braver l'opprobre général se languissant d'amour pour la belle Calixte qui depuis sa rencontre avec l'abbé Hugon s'est donnée à Dieu pour racheter la conduite de son père. La vénération de Néel pour Calixte ne trouve qu'une réponse d'amie ou de soeur : elle a choisi d'être carmélite et entend le rester. Elle ne devrait pénétrer dans le cloître qu'après la mort de Sombreval. Alors Néel va se jeter dans une passion impossible, tout risquer et même sa vie. Et Sombreval tout faire pour que sa fille n'ait pas à subir l'infamie populaire et les noires prophéties de la Malgaigne, l'omniprésente sibylle de malheur. Même l'impensable : offrir son âme à l'enfer.
Barbey d'Aurevilly dans ce grand roman fait montre d'une force et d'une puissance d'évocation remarquable. Un souffle envoûtant traverse toute l'histoire qui tient le lecteur en haleine grâce à une langue d'une grande justesse, d'une grande richesse, sombre, éloquente et imagée. Parfois précieuse. Imprégné de foi catholique et marqué par la question du mal et du péché, d'Aurevilly mélange des éléments du romantisme tardif et du fantastique surnaturaliste notamment quand il évoque les superstitions normandes. Malgré un certain nombre de clichés mélodramatiques architypés, cette oeuvre reste pleinement évocatrice d'un univers glauque qui a longtemps dérangé la critique à défaut du lecteur, l'histoire de trois amours fous, celui de Sombreval pour sa fille, de Calixte pour son père et son Dieu, et de Néel pour Calixte. Un drame où se mêlent le rêve, la folie, la prière, le repentir, la pénitence, l'impiété, l'absolution et le mensonge, et le tout dans une violence latente.

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[...] ... Or, quinze jours après cette visite nocturne de Sombreval à son château du Quesnay, on vit arriver au château des caisses de toute forme et de toute grandeur, lesquelles - dirent les rouliers qui les apportèrent - ne devaient précéder que de fort peu les nouveaux maîtres. On déposa ces caisses au hasard dans les appartements du château, mais quelques unes étaient si grandes qu'elles ne purent passer par les portes et qu'on les laissa dans la cour, couvertes de leurs toiles cirées et dans la paille éparse de leur emballage.

Pour des paysans dont l'imagination fermentait et travaillait sur le compte de cet abbé Sombreval, entr'aperçu un soir, comme un revenant, après tant d'années, et qui venait tranquillement se mesurer avec le mépris d'un pays exaspéré, ces caisses aux formes étranges, placées dans la cour du Quesnay, étaient un perpétuel élément de dierie [= on jasait beaucoup à leur sujet]. Les garçons de la ferme les regardaient, les tournaient sur leurs diverses faces, s'asseyaient dessus, en les frappant du talon de leurs gros sabots, et se demandaient ce que de pareilles boîtes pouvaient contenir. "C'est le mobilier de l'enfer," disaient-ils, ne pouvant rien accueillir de la vie ordinaire sur cet homme qu'ils ont toujours cru capable de tout, ainsi que la suite de cette histoire va nous le faire voir.

C'était le 13 du mois et un vendredi - car ils ont retenu les moindres circonstances de l'arrivée définitive de Sombreval au Quesnay, et de son séjour dans le château qu'il ne devait plus quitter - oui, c'était le 13 du mois de juin 18.. qu'il arriva avec sa fille - la fille au prêtre ! comme ils n'ont jamais cessé de l'appeler pendant tout le temps qu'ils l'y virent, et comme ils l'appellent certainement encore, si quelques uns d'entre eux en parlent là-bas comme nous ici sur le balcon de ce quai, maintenant silencieux. ... [...]
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En effet, pour ce coin de pays d’où la religion n’était pas déracinée encore (songez que je vous parle d’il y a plus de quarante ans !), cet inconnu, qui n’en était plus un pour maître Tizonnet, était plus criminel et plus odieux que l’assassin – que le bandit – qui a tué un homme. Lui, il avait TUÉ DIEU, autant que l’homme, cette méchante petite bête de deux jours, peut tuer L’Éternel – en le reniant ! C’était un ancien prêtre – un prêtre marié !
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L’amour naît d’une seule chose, mais il se compose de toutes. Il ressemble à ces cheveux si fins qui, lorsqu’on les prend un à un, sont impalpables et incolores, et, lorsqu’on les réunit, font une chevelure brillante, compacte et si solide, que c’était par là qu’autrefois on liait les captives au char des vainqueurs.
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À cette époque-là, les chemins changeaient peu. À cela près de quelques ornières que le poids des charrettes gravait, comme une ride de plus, sur une vieille surface, ou encore de quelque effondrement de terrain, ici ou là ; de quelque mare survenue entre deux pentes et dans laquelle l’ocre et la glaise se dissolvaient tristement en silence, les chemins restaient de longues années ce qu’autrefois on les avait vus.
À travers les incertaines et fraîches brumes de ce jour baissant, Jean Sombreval reconnaissait jusqu’aux cailloux contre lesquels il avait buté dans sa jeunesse, mais il ne s’arrêtait pas à les contempler, en rêvant. Il marchait vite : le fermier du Quesnay pouvait être couché — car c’était la saison de l’année où, dans les fermes, on se couchait avec le jour. — Et puis, il y avait peut-être une raison pour qu’il fût bien aise d’avoir dépassé un certain point de la route qu’il connaissait bien…
Ce point, il allait y toucher tout à l’heure. C’était un petit tertre de gazon, placé au centre de trois chemins qui s’entre-croisaient, et sur lequel s’élevait jadis une croix en carreau, — sorte de pierre blanche et tendre, particulière au pays. Quand il était jeune et fervent, il avait prié devant cette croix. Il s’était beaucoup agenouillé au pied, dans ce temps où son âme était blanche comme elle.
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C'était une gouache un peu passée. Sur un fond gris poussière, une tête de très jeune fille, en robe d'un gris bleuâtre, largement sillonné de céruse, à la manière des gouaches. Voilà tout… mais c'était une magie ! La tête de la jeune fille, qui sortait de tous ces tons gris, comme une étoile sort d'une vapeur, était un de ces visages qui nous brisent le coeur de ne pouvoir sortir de leur cadre ! Elle était belle et elle avait l'air malheureux, mais c'était d'une beauté et d'un tel malheur, qu'on se disait : "C'est impossible ! ce n'est pas la vie ! cette tête-là n'a jamais vécu ailleurs que dans ce médaillon. C'est la pensée d'un génie, cruel et charmant, mais ce n'est qu'une pensée !"
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Des lettres inédites de la célèbre écrivaine, révélant des échanges inconnus avec de grandes personnalités du XIXe siècle. Un livre exceptionnel ! Lettres réunies et présentées par Thierry Bodin.
Ces 406 nouvelles lettres retrouvées couvrent presque toute la vie de George Sand, depuis ses quinze ans jusqu'à ses derniers jours. La plupart, du court billet à la longue missive, sont entièrement inédites et viennent s'ajouter au corpus de sa volumineuse correspondance. D'autres, dont on ne connaissait que des extraits, sont ici publiées intégralement pour la première fois. Plus de 260 correspondants — dont une cinquantaine de nouveaux — sont représentés, des moins connus aux plus illustres, comme Barbey d'Aurevilly, Hector Berlioz, Henri Heine, Nadar, Armand Barbès, Eugène Sue, Victor Hugo, Louis Blanc, Eugène Fromentin, Jules Favre, Pauline Viardot, la Taglioni, ainsi que les plus divers : parents, familiers, éditeurs, journalistes et patrons de presse, acteurs et directeurs de théâtre, écrivains, artistes, hommes politiques, domestiques, fonctionnaires, commerçants, hommes d'affaires... On retrouve dans ces pages toute l'humanité et l'insatiable curiosité de l'écrivain, que l'on suit jusqu'à ses toutes dernières lettres, en mai 1876, quelques jours avant sa mort. Les auteurs : George Sand (1804-1876) est une romancière, dramaturge et critique littéraire française. Auteure de plus de 70 romans, on lui doit également quelque 25 000 lettres échangées avec toutes les célébrités artistiques de son temps. Thierry Bodin est libraire-expert en lettres et manuscrits autographes. Ses travaux sont consacrés au romantisme français, en particulier Honoré de Balzac, Alfred de Vigny et George Sand.
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