AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782253047414
475 pages
Le Livre de Poche (01/01/1988)
4.05/5   601 notes
Résumé :
Pour les hommes du 231e régiment d'infanterie, les différences d'âge et de condition sociale n'importent plus. Tous sont venus s'enterrer dans les tranchées boueuses de Crouy, sous la pluie et le feu de la mitraille allemande. Leur seule certitude face aux armées ennemies : "I'faut t'nir". Barbusse fut l'un des leurs.

Tiré de ses carnets de guerre, ce roman, prix Goncourt 1916, révéla à ceux de l'arrière le quotidien des poilus : leur courage, leur c... >Voir plus
Que lire après Le Feu - Carnets de guerreVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (76) Voir plus Ajouter une critique
4,05

sur 601 notes
5
36 avis
4
23 avis
3
8 avis
2
2 avis
1
0 avis
J'ai débuté la lecture de ce roman directement après avoir refermé À l'ouest rien de nouveau qui m'avait littéralement époustouflée. Je m'attendais à revivre quelque peu ce qu'Erich Maria Remarque avait fait naître, mais du côté français, cette fois.

J'ai été à la fois comblée et déçue. Comblée car oui, Henri Barbusse fut un témoin lucide de la Grande Guerre : pas qu'un témoin, mieux qu'un témoin, un acteur. Il sait parfaitement ce qu'est le front, l'arrière, tout. Il sait tout ça et il veut en témoigner. Entendons-nous bien, l'opinion que je vais émettre ne concerne absolument pas la valeur ou l'utilité du témoignage, qui tous deux, selon moi, sont indiscutables et indispensables.

Ce que je questionne, c'est la pertinence du format choisi. En effet, il n'est jamais très clair dans le Feu si l'on a affaire à un roman ou à un reportage journalistique ; on navigue constamment dans ce no-man's land inconfortable et pas trop bien maîtrisé d'après moi.

Il y a un côté Zola chez Barbusse, un côté exhaustif, un côté « je vais tout vous montrer et vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas. » En 1916, en plein conflit, ça se comprend, c'est défendable et même plus que souhaitable, mais c'est du ressort du journaliste, pas du romancier.

Ce qu'il nous explique très bien, c'est qu'à l'époque des faits, les journalistes étaient largement investis dans une mission de propagande et donc, seul le roman pouvait avoir les coudées franches pour accomplir le véritable travail d'information du public.

Soit. Je suis pleinement consciente des contraintes qui pesaient sur le romancier. Ajoutons-y la contrainte ô combien lourde et pressante du temps, l'impératif du témoignage RAPIDE. Je sais tout ça, le comprends et l'excuse amplement.

Toutefois, pour les lecteurs du XXIème siècle et de tous les siècles à venir, seul demeure le roman car le contexte et son urgence ont disparu. Et là, je ne puis m'empêcher de tiquer sur des problèmes inhérents à la construction romanesque et qui amoindrissent et la satisfaction du lecteur, et le pouvoir de conviction de l'oeuvre.

C'est l'écueil dans lequel ne tombe pas Erich Maria Remarque : il a bâti un vrai roman, avec tous les codes et les impératifs propres au roman, d'où son incroyable pouvoir de conviction. Henri Barbusse, lui, dit tout, absolument tout, si bien qu'il dilue son histoire.

Remarque se focalise sur un nombre volontairement limité de personnages, qui tous quittent la scène les uns après les autres pour cause de décès ou de blessure affligeante ; toujours dans un but romanesque précis qui fait mouche à chaque fois. En gros, Remarque a opéré un tri, fait une synthèse de son expérience du conflit là où Barbusse nous fait un reportage à chaud, sans trop avoir hiérarchisé ses informations.

Autre différence notable, Remarque utilise un narrateur qui a une identité, qui parle avec des mots simples de soldat, qui souffre et qui ressent la guerre. Barbusse, lui, se cache derrière une espèce d'ectoplasme qui est lui sans jamais être clairement assumé comme étant bien lui, qui porte un regard distancié sur ce qu'il vit et qui, du coup, nous distancie également. Si bien que j'ai ressenti, moi lectrice du XXIème s., beaucoup moins d'intensité chez Barbusse que chez Remarque, alors même que la violence et l'horreur décrites sont rigoureusement les mêmes.

Quand Remarque fait mourir un soldat, il a pris le soin au préalable de nous le faire connaître, de nous y attacher, de nous faire compatir à l'atrocité quotidienne qu'il subit. Barbusse, lui, nous décrit vraiment beaucoup de personnages, souvent à peine esquissés, une bande de rouspéteurs pour lesquels on ne ressent pas forcément grand-chose, en tout cas, vis-à-vis desquels on n'est pas très attaché.

Étonnamment, le seul moment où Barbusse parvient à nous prendre aux tripes, à nous faire crever de chagrin, c'est lorsqu'il aborde le cas de la jeune femme, Eudoxie, pour laquelle Lamuse en pince, et que ce même Lamuse découvre quelques semaines plus tard, à moitié décomposée en creusant une tranchée. Ici, Barbusse obéit aux codes romanesques et c'est exceptionnellement bon, puissant comme jamais. La scène du soldat noyé parce qu'il n'arrive pas à sortir d'un trou d'obus à cause de la boue, vers la fin du roman est presque aussi intense et pour les mêmes raisons : on a eu le temps de s'attacher au personnage.

En revanche, quand il fait son Zola bas de gamme, à décrire avec un souci du terme poétique les bombardements, les bourbiers, les blessures, je trouve que le décalage entre l'horreur vécue et les termes pour l'exprimer est préjudiciable.

Le décalage, encore lui, est si grand entre ce pseudo lyrisme et l'authenticité des dialogues de poilus qui eux sentent le vécu à plein nez et qui jouent justes quasiment tout le temps est, d'après moi, mal senti. J'écris que les dialogues jouent juste quasiment tout le temps car il est manifeste que dans le dernier chapitre, intitulé L'Aube, les dialogues ne masquent que très grossièrement et très imparfaitement l'expression des convictions de l'auteur et cela sonne faux, malheureusement.

Balzac reprochait exactement cela à Hugo (à propos de ces dialogues) dans sa critique restée fameuse sur la Chartreuse de Parme de Stendhal (oui, je sais, c'est un peu compliqué, la critique concernait Stendhal mais il parle aussi un peu de Hugo et de quelques autres) ; le fait de mettre les paroles de l'auteur dans la bouche des personnages au lieu de s'oublier et de se mettre lui, l'auteur, dans la peau du personnage. (Hugo en tiendra d'ailleurs compte bien des années plus tard en écrivant Les Misérables et son fameux passage sur Waterloo.)

Au-delà de ces problèmes de construction romanesque, l'auteur décrit admirablement l'enfer de cette guerre, et de toutes les guerres en général. Il montre, selon moi de façon assez convaincante, que l'ennemi est au moins autant si ce n'est plus le gouvernement qui envoie ses enfants se faire tuer que les pauvres bougres d'en face qui font le même sale boulot en sens inverse. Tout cela, évidemment, pour des intérêts qui dépassent largement les infortunés soldats commis d'office.

Bref, souvenons-nous de cette leçon d'atrocité que nous évoque courageusement Henri Barbusse et demandons-nous qui est le véritable ennemi : l'État qui vous dit « Allez vous battre et fermez vos gueules ! » ou les pauvres types d'en face auxquels leur propre État a intimé le même ordre ? En outre, ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, vraiment pas grand-chose à mettre sur le feu.

P. S. : Je suis allée récemment tâcher de retrouver la tombe de mon arrière-grand-père, tombé le 12 février 1915 à Souain-Perthes-lès-Hurlus lors de la fameuse et ô combien meurtrière première bataille de la Marne. Le cimetière y est parfaitement tondu et une adorable mousse recouvre le sol à beaucoup d'endroits. Pourtant, l'autre jour, rien qu'avec les fortes pluies et les rejets de terre sous forme de tortillons imputables aux vers de terre, j'avais les chaussures entièrement pleines de boues en moins de cinq minutes.

Donc, oui, j'imagine très bien la boue et le bourbier que cela pouvait être à l'époque quand rien qu'à marcher sur une pelouse bien entretenue on en a déjà plein ses bas de pantalon ! Je n'ai d'ailleurs pas réussi à retrouver la tombe de mon aïeul car les tombes sont disposées au hasard ou à peu près et j'avais l'impression de rejouer la scène du truand, à la fin du Bon, la Brute et le Truand quand il cherche une tombe précise dans un cimetière immense.

Mais j'ai été moins courageuse que lui, j'ai abandonné quand j'ai eu deux kilos de terre à chaque pied et que mon manteau a été entièrement transpercé par la fine pluie qui tombait alors sans discontinuer… On n'a pas tous la fibre héroïque, pardon, très cher aïeul (je reviendrai par temps sec).
Commenter  J’apprécie          1495
Engagé volontaire en 1914 à l'âge de 41 ans, Henri Barbusse va passer 22 mois dans les tranchées pendant lesquels il tiendra un journal où il notera ses expériences de soldat et la vie de son escouade.
Je ne sais pas si beaucoup d'écrivains ont "fait la guerre", mais le fait qu'un "lettré" puisse raconter le quotidien des tranchées donne un éclairage particulier, un témoignage de "première main", celui d'un observateur pertinent.
Le 231ème régiment d'infanterie est constitué d'hommes de tous âges et de toutes conditions et l'auteur nous fera vivre les états d'âmes de ses compagnons au quotidien, leurs craintes et leurs espoirs avec leurs mots et leurs expressions souvent "fleuries".
Une lecture aisée et instructive sur les conditions de vie dans les tranchées, un regard sur la guerre et ses absurdités, mais surtout une histoire vraie, la sienne, la leur.
Henri Barbusse recevra le prix Goncourt dès 1916 pour cette oeuvre, le seul Goncourt que j'ai lu à ce jour.
Commenter  J’apprécie          11014
Si je vous dis : boue, poux, pluie, mitraille, tranchée... vous me répondez : Première Guerre Mondiale, Grande Boucherie, Der des Ders. Bonne réponse ou presque puisque, hélas, ce ne fut pas la dernière...

Henri Barbusse, engagé volontaire au début du conflit, prend soigneusement note pendant deux ans de ce qu'il voit, entend, ressent et expérimente. Au fond des tranchées putrides, au fond des granges humides, veillent, attendent et luttent une poignée d'hommes, son escouade, modeste échantillon d'une classe d'hommes jetée en enfer. Venus d'horizons différents, ces Poilus sont liés entre eux par l'instinct de survie, par la misère de leur condition et par leur solidarité fraternelle de soldats. Ils ont pour (sur)noms Volpatte, Tirette, Blaire, Cocon, Poterloo, Fouillade, Barque, Paradis, Poilpot, Poitron, Salavert, Bertrand, Eudore et Farfadet ; tous sont éreintés, écoeurés, désespérés et apeurés ; tous se sentent pris au piège.

Ce roman, paru en 1916 et couronné dès sa sortie du prix Goncourt, brave la langue de bois et décrit la réalité sordide du troupier. Un naturalisme qui n'a pas plu à tout le monde, étant donnés les enjeux politiques et la propagande pro-conflit de l'époque, mais qui a largement interpellé l'opinion publique, comme il interpelle toujours aujourd'hui le lecteur. Avec l'acuité d'une caméra cachée, le récit, narré par l'auteur-narrateur, déroule en les juxtaposant histoires personnelles et documentaire de terrain. Impossible de ne pas se remémorer les rares images filmées et les photos floues de cette période. Impossible aussi de ne pas ressentir toute l'horreur de ces existences assassinées.

A travers son roman-témoignage, Henri Barbusse donne la parole à ses camarades dans leur argot natif, ce qui rend la lecture colorée à défaut d'être toujours aisée. Ce qui personnellement m'a fait le plus mal à l'estomac en refermant ce livre, c'est de savoir que ces héros de l'ombre n'en étaient alors qu'à mi-parcours de leurs souffrances et qu'il leur faudrait encore subir deux ans de cette vie de chien, moins pour certains...

Au final, je ne peux pas dire que j'ai réellement apprécié ma lecture, dans le sens "prendre du plaisir" car un récit de guerre ne m'enthousiasme jamais ; de plus, bien qu'assez classique, la plume de Barbusse ne m'a pas renversée d'admiration, mais son sujet est si grave qu'il est évident que ce roman-mémoire - qui n'a pas grand chose de fictif - doit exister et doit être lu pour toute l'humanité qu'il contient. L'humain pour décrire l'inhumain.

Enfin, ce qui a fini de me démoraliser complètement, c'est la conscience que je n'avais personnellement hérité d'aucun - d'absolument aucun - témoignage familial concernant l'expérience de cette guerre que mes arrière-grands-parents ont pourtant vécue. La mémoire s'efface hélas plus vite qu'on ne le croit.


Challenge GONCOURT
Challenge MULTI-DÉFIS 2018
Challenge Petit Bac 2017 - 2018
Challenge 50 OBJETS 2018 - 2019
Challenge ATOUT PRIX 2018
Challenge 1914-1989 / Edition 2018
Challenge ABC 2047 - 2018
Challenge PAVES 2018
Commenter  J’apprécie          757
Triste et sale comme un ciel de traîne après la tempête.
Gris et boueux comme le fond des tranchées.
Brutal et glaçant comme la mort au combat.
Sans fioritures comme un vaste trou d'obus.
Réaliste et photographique comme seul pouvait le décrire et l'écrire un vrai poilu.

Le Feu, journal d'une escouade.” est un témoignage fort du quotidien des soldats dans les tranchées de la Grande Guerre.
C'est le feu de la haine, le puits sans fond de l'ignorance, la victoire de la propagande. Et pourtant, ils le savent bien au fond de leur coeur, ces soldats, que comme l'a chanté Boris Vian : Ils ne sont “pas sur terre pour tuer des pauvres gens”.
Au final c'est surtout une preuve, s'il en fallait, de la bêtise et du cynisme infinis de l'univers des puissants, car comme l'a chanté Boris Vian : “S'il faut donner son sang, Allez donner le vôtre, Vous êtes bon apôtre, Monsieur le Président.”

Plus jamais ça ! qu'ils espèrent ces bons petits soldats, plus jamais ça…
Commenter  J’apprécie          657
Merci aux éditions Archipoche et à Babelio pour cet envoi tombé pile dans ma boîte aux lettres. Ce sont de fins artilleurs. Heureusement que ce n'est qu'un livre.
Pourtant ce livre est bien plus puissant qu'un obus. Paru en 1916, en France, en plein effort de guerre, sous la forme d'un journal, il révèle le quotidien, les drames et les horreurs d'une escouade en première ligne dans les tranchées et suggère l'absurdité du conflit quand, dans un champ de boue , Allemands et Français se confondent et s'allongent les uns à côté des autres sans discernement , à bout de force.

Céline a hurlé son dégoût de la guerre -et de la vie en général- dans son « voyage au bout de la nuit ». Mais Barbusse se met en retrait de la narration, à aucun moment il ne parle de lui et il n'expose pas une rage comme Céline. Il s'en tient aux faits d'armes de ses compagnons.
Cependant, un message subliminal est sussuré, dans le fracas de fer et de feu, qui passe à travers la censure et les lignes du front : qu'on arrête le bourrage de crâne et toute cette boucherie !

Ce prix Goncourt, de 1916, est un centenaire toujours vif dans l'action et dans le style avec des dialogues que ne renieraient pas Dard ou Audiard.

C'est un témoignage qu'il faut avoir absolument lu pour comprendre ce qui se passe sur un même endroit occupé pendant 6 mois par deux énormes armées qui s'affrontent au corps à corps après avoir labouré la terre grâce à une artillerie incessante qui mélange le sang et le fer tout en exhumant ceux que les brancardiers n'ont pu ramasser lors de la précédente attaque...

Aujourd'hui il pleut et mes habits sont mouillés. Je les ai changés. Je ne vais pas dormir dans le froid, l'humidité, les rats et la vermine en attendant l'ordre d'avancer de nuit dans un boyau le fusil à la main. Je vais revoir ma famille et je pense à Cocon, Biquet, Poterloo, Fouillade et à la multitude, dont le nom orne les cimetières militaires , et qui n'ont jamais revu la leur.
Commenter  J’apprécie          521

Citations et extraits (194) Voir plus Ajouter une citation
— C'est des journalistes, dit Tirette.
— Des journalistes ?
— Ben oui, les sidis qui pondent les journaux. T'as pas l'air de saisir, s'pèce d' chinoique : les journaux, i' faut bien des gars pour les écrire.
— Alors, c'est eux qui nous bourrent le crâne ? fait Marthereau.
Barque prend une voix de fausset et récite en faisant semblant de tenir un papier devant son nez :
« Le kronprinz est fou, après avoir été tué au commencement de la campagne, et, en attendant, il a toutes les maladies qu'on veut. Guillaume va mourir ce soir et remourir demain. Les Allemands n'ont plus de munitions, becquettent du bois ; ils ne peuvent plus tenir, d'après les calculs les plus autorisés, que jusqu'à la fin de la semaine. On les aura quand on voudra, l'arme à la bretelle. Si on attend quèq' jours encore, c'est que nous n'avons pas envie d' quitter l'existence en tranchées ; on y est si bien, avec l'eau, le gaz, les douches à tous les étages. Le seul inconvénient, c'est qu'il y fait un peu trop chaud l'hiver… Quant aux Autrichiens, y a longtemps qu'euss i's n' tiennent plus : i' font semblant… » V'là quinze mois que c'est comme ça et que l' directeur dit à ses scribes : « Eh ! les poteaux, j'tez-en un coup, tâchez moyen de m' décrotter ça en cinq sec et de l' délayer sur la longueur de ces quatre sacrées feuilles blanches qu'on a à salir. »

Chapitre 2 : Dans la terre.
Commenter  J’apprécie          471
Un feldwebel est assis, appuyé aux planches déchirées qui formaient, là où nous mettons le pied, une guérite de guetteur. Un petit trou sous l'œil : un coup de baïonnette l'a cloué aux planches par la figure. Devant lui, assis aussi, les coudes sur les genoux, les poings au cou, un homme a tout le dessus du crâne enlevé comme un œuf à la coque… À côté d'eux, veilleur épouvantable, la moitié d'un homme, coupé, tranché en deux depuis le crâne jusqu'au bassin, est appuyé, droit, sur la paroi de terre. On ne sait pas où est l'autre moitié de cette sorte de piquet humain dont l'œil pend en haut, dont les entrailles bleuâtres tournent en spirale autour de la jambe.

Chapitre 20 : Le feu.
Commenter  J’apprécie          641
— Ils te diront, grogna un homme à genoux, penché, les deux mains dans la terre, en secouant les épaules comme un dogue : « Mon ami, t'as été un héros admirable ! » J' veux pas qu'on m' dise ça !
Des héros, des espèces de gens extraordinaires, des idoles ? Allons donc ! On a été des bourreaux. On a fait honnêtement le métier de bourreaux. On le r'fera encore, à tour de bras, parce qu'il est grand et important de faire ce métier-là pour punir la guerre et l'étouffer. Le geste de tuerie est toujours ignoble — quelquefois nécessaire, mais toujours ignoble. Oui, de durs et infatigables bourreaux, voilà ce qu'on a été. Mais qu'on ne me parle pas de la vertu militaire parce que j'ai tué des Allemands.

Chapitre 24 : L'aube.
Commenter  J’apprécie          541
La porte s’entrouvre et fait une raie blanche ; la figure d’un petit garçon s’y dessine. On l'attire comme un petit chat, et on lui présente un morceau de chocolat.
- J’m’appelle Charlot, gazouille alors l’enfant. Chez nous, c’est à côté. On a des soldats aussi. On en a toujours, nous. On leur z’y vend tout ce qu’i veulent. Seulement, voilà, des fois, i’s sont saouls.
- Dis donc, petit, viens un peu ici, dit Cocon, en prenant le bambin entre ses genoux. Écoute bien. Ton papa i’ dit, n’est-ce pas : “Pourvu que la guerre continue !” hé ?
- Pour sûr, dit l’enfant en hochant la tête, parce qu’on devient riche. Il a dit qu'à la fin d’mai on aura gagné cinquante mille francs.
- Cinquante mille francs ! C’est pas vrai !
- Si, si ! trépigne l’enfant. Il a dit ça avec maman. Papa voudrait qu’ça soit toujours comme ça. Maman, des fois, elle ne sait pas, parce que mon frère Adolphe est au front. Mais on va le faire mettre à l’arrière et, comme ça, la guerre pourra continuer.
Commenter  J’apprécie          334
« Plus bas, dans l'océan nocturne qui remplit le ravin, le silence et l'immobilité s'accumulent. »
« La lividité de la nue blêmit et plombe les sacs de terre aux plans vaguement luisants et bombés, tel un long entassement de viscères et d'entrailles géantes mises à nu sur le monde. »
« Eudore, lui, paraît au contraire tout petit, et sa petite figure est complètement blanche, si blanche qu'on dirait une face enfarinée de Pierrot, et c'est poignant de la voir faire tache comme un rond de papier blanc parmi l'enchevêtrement gris et bleuâtre des cadavres. Un nuage de pestilence commence à se balancer sur les restes de ces créatures avec lesquelles on a si étroitement vécu, si longtemps souffert.»
« Ce ne sont pas des soldats : ce sont des hommes. Ce ne sont pas des aventuriers, des guerriers, faits pour la boucherie humaine – bouchers ou bétail. Ce sont des laboureurs et des ouvriers qu'on reconnaît dans leurs uniformes. Ce sont des civils déracinés. Ils sont prêts. Ils attendent le signal de la mort et du meurtre ; mais on voit, en contemplant leurs figures entre les rayons verticaux des baïonnettes, que ce sont simplement des hommes. Chacun sait qu'il va apporter sa tête, sa poitrine, son ventre, son corps tout entier, tout nu, aux fusils braqués d'avance, aux obus, aux grenades accumulées et prêtes, et surtout à la méthodique et presque infaillible mitrailleuse – à tout ce qui attend et se tait effroyablement là-bas – avant de trouver les autres soldats qu'il faudra tuer. »
« On voit ce qu'il y a de songe et de peur, et d'adieu dans leur silence, leur immobilité, dans le masque de calme qui leur étreint surhumainement le visage..»
« En ligne, de gauche à droite, des fusants sortent du ciel, des explosifs sortent de la terre. C'est un effroyable rideau qui nous sépare du monde, nous sépare du passé et de l'avenir. »
« … j'ai vu, çà et là, des formes tournoyer, s'enlever et se coucher, éclairées d'un brusque reflet d'au-delà. J'ai entrevu des faces étranges qui poussaient des espèces de cris, qu'on apercevait sans les entendre dans l'anéantissement du vacarme. »
« Aucun flot humain ne précède le nôtre ; en avant de nous, personne de vivant, mais le sol est peuplé de morts : des cadavres récents qui imitent encore la souffrance ou le sommeil, des débris anciens déjà décolorés et dispersés au vent, presque digérés par la terre. »
« … les cris, les exclamations sourdes, rageuses, désespérées ou bien les « han ! » terribles et creux où la vie entière s'exhale d'un coup. »
« … parmi ces campagnes cachées d'ombre, pacifiées par la mort, où les batailles font, depuis deux ans, errer et stagner des villes de soldats sur des nécropoles démesurées et profondes. »
« Il tourne à nouveau son regard sur moi. Dans sa face toute plantée de poils, dans sa face de barbet, on voit luire deux beaux yeux de chien qui s'étonne, songe, très confusément encore, à des choses, et qui, dans la pureté de son obscurité, se met à comprendre. »
« Il s'est fait tuer, il s'est fait enfin tuer, à force de faire toujours son devoir. Il a enfin trouvé la mort là où elle était ! »
Commenter  J’apprécie          90

Videos de Henri Barbusse (8) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Henri Barbusse
résumé la vie de cet écrivain.
autres livres classés : première guerre mondialeVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (2050) Voir plus



Quiz Voir plus

Les Chefs-d'oeuvre de la littérature

Quel écrivain est l'auteur de Madame Bovary ?

Honoré de Balzac
Stendhal
Gustave Flaubert
Guy de Maupassant

8 questions
11102 lecteurs ont répondu
Thèmes : chef d'oeuvre intemporels , classiqueCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..