Que de pages sur ce qui va de soi pour nous autres filles et femmes d'aujourd'hui !
Et pourtant, il est de rappeler que nous devrions toujours demander l'autorisation de porter le pantalon à la préfecture de police de Paris... Et que ce texte n'est aps près d'être abrogé... Faut-il craindre pour autant un retour à la jupe obligatoire ?
Christine Bard mélange politique, histoire, sociologie et mode pour nous raconter l'histoire de ce pantalon et de notre droit de le porter à l'égal des hommes. Ces messieurs (et certaines dames) avaient peur de ce que les femmes pourraient "porter la culotte" à leur place et mettre à bas la masculinité triomphante. Elle dresse le portraits de femmes ayant misle pantalon avant nous toutes, pour des raisons propores, pas forcément d'ailleurs dans un esprit de fronde : plus pratique, salaire plus élevé si on arrive à se faire passer por un homme, grande voyageuse ou sportive.
Et nous avons lutté et lutté pour finalement gagner. Au moins sur le plan vestimentaire.
Commenter  J’apprécie         80
Parmi toutes les raisons qui poussent des féministes – et non pas les féministes en général – à « revendiquer » le pantalon, il en est une, fondamentale, qu’il est important d’expliciter d’emblée : le pantalon est un vêtement fermé. Ne nous laissons pas abuser par le « pantalon féminin » du XIXe siècle, qui désigne en réalité une culotte du dessous, généralement fendue, c’est-à-dire ouverte. Le passage à la culotte fermée précède de peu le triomphe du pantalon féminin et même l’annonce, d’une certaine manière.
Les hommes portent donc un vêtement fermé, et les femmes un vêtement ouvert. Contrairement à ce que suggère l’envolée froufroutante de Marilyn Monroe sur une bouche de métro, la jupe soulevée est le cauchemar des femmes ordinaires… Le vent, de même que les accidents, les chutes, et de nombreuses activités et postures, sportives ou non, outragent la pudeur. Le rapport entre les sexes est aussi engagé par cette dissymétrie vestimentaire, dès les jeux enfantins (la peur des jupes soulevées), et pour la vie. L’ouverture du vêtement féminin évoque la facilité de l’accès au sexe féminin, sa disponibilité, sa pénétrabilité.
C’est un pantalon certes protecteur mais pas émancipateur que l’on découvre dans ces témoignages. Et en France, ce pantalon n’est en rien contradictoire avec le voile islamique. Le pantalon, dès lors qu’il devient obligatoire, n’est plus porteur des valeurs héritées de son passé militant. Le vêtement de la résistance, aujourd’hui, est visiblement la jupe. La presse pour adolescentes abuse de l’expression « revendiquer sa féminité » (porter une jupe), vocabulaire révélateur d’une difficulté vaincue au prix d’un combat. Le film La journée de la jupe (2009), avec Isabelle Adjani dans le rôle d’une enseignante en jupe, réclamant pour libérer les élèves qu’elle a pris en otages l’institution d’une « journée de la jupe », montre bien le problème : le pantalon aujourd’hui présente des similitudes avec le voile. L’imagination du réalisateur, Jean-Paul Lilienfeld, rejoint la réalité.
Mais on ne peut négliger ce fait essentiel, déjà souligné pour le travestissement : une femme qui se masculinise s’élève dans la hiérarchie des valeurs. Elle gagne un pouvoir symbolique. Un homme qui adopte un vêtement féminin descend la même échelle, perdant volontairement un peu de son pouvoir, en s’approchant du statut féminin. L’une se fait sujet, l’autre se fait objet. Et il en sera ainsi aussi longtemps que notre culture reconnaîtra la « valence différentielle des sexes » comme un des principes organisateurs. La différence des sexes est en effet également une hiérarchie des sexes. L’universalisation de la jupe, après celle du pantalon serait un signal fort de réduction de la différence des sexes. On en est encore loin.
Leurs arguments les plus forts, les féministes les empruntent aux hygiénistes, soucieux de sauvegarder l’avenir et la santé de la « race », et en particulier de celles qui la reproduisent. En 1899, Hubertine Auclert s’appuie sur la thèse de l’une des premières doctoresses, dont les recherches sur le corset montrent qu’il « comprime les organes, refoule en dedans les côtes, provoque des troubles respiratoires, développe l’anémie, la chlorose ». Une voie moyenne est défendue par Inès Gaches-Sarraute, qui crée le corset abdominal ou hygiénique, lequel fait le ventre plat, évitant la ptôse du bas-ventre. Bien qu’il creuse le dos, il rencontre un succès certain. Plusieurs thèses de médecine apportent aux féministes des arguments de poids en faveur de la disparition du corset, du raccourcissement de la robe, de la jupe-culotte et de la culotte-cycliste.
Le pantalon obligatoire pour les adolescentes, manière d’éviter la sexualisation du corps féminin enjuponné, n’est pas réservé aux « quartiers difficiles ». c’est un mouvement profond, issu d’une culture partagée par les jeunes. Les injonctions religieuses y ont leur part. mais l’impact de la pornographie aussi. On s’en doute, c’est la gestion de la sexualité juvénile qui est difficile, entre tabous persistants et injonctions à avoir une sexualité affranchie. Du comportement « conforme » attendu du groupe de pairs dépend la réputation, véritable mot clé. La fille en jupe, comme hier la fille en pantalon, aura mauvaise réputation. Porter une jupe, c’est « allumer », « chercher » le regard. C’est se prendre pour une femme adulte.
8 avr. 2022
Conférence de Christine Bard, Professeure à l’Université d’Angers (Temos), autrice de La révolution féministe et Les garçonnes.
Avec la participation de Sabine Lambert et Héloïse Morel, membres du Planning familial.
Animation : Louise Fromard.