Andrieux jeta un coup d’œil au rétroviseur, haussa les épaules. Il se faufilait entre les voitures, jouait du klaxon, frappait impatiemment de la paume de la main sur le volant. Tantôt il prenait le couloir des autobus, tantôt le trottoir même, sur lequel des retraités affolés tiraient précipitamment leur chien vers eux, en criant des propos inintelligibles.
– Est-ce votre première affaire ?
– Oui.
– Vous savez, rien ne presse. En règle générale, les cadavres sont très calmes, et les assassins partis depuis longtemps.
Les deux mains sur les hanches, les jambes écartées, Behloul contemplait le cadavre. Il fit un geste en direction des inspecteurs.
– On va la retourner. Tenez, vous, le jeune, vous allez la prendre par les épaules. Attention de ne pas vous salir, hein, ça va dégouliner. Ça ne va pas ? Vous préférez peut-être aller me chercher les brancardiers qui sont restés dans l’ambulance ? Oui, vous avez l’air de préférer. Eh bien, allez-y. Je vous attends.
Andrieux ne se le fit pas dire deux fois. Avec empressement, il tourna les talons, quitta la chambre. Remuer les cadavres ne constituait pas exactement son idéal. On entendit le bruit vif de ses pas décroître dans le couloir.
Un tout petit temps, gris, froid et pluvieux, s’était installé depuis plusieurs jours. Pour le dire en un mot, Nice était maussade. Il releva le col de son blouson, enfonça énergiquement les mains dans ses poches, et se mit à marcher. Il tourna au coin de la rue, marcha encore, évitant les parapluies hargneusement brandis par des retraités allant faire leur marché, poussa la porte du numéro 13, et se dit que la chance l’avait abandonné. L'ascenseur était en panne pour une durée indéterminée. Il fallait se taper les quatre étages à pied. L’auteur voulait-il se moquer de lui ?
– Bon, bon, si vous me disiez où nous allons.
– « Les Glycines », ça s’appelle. Maison de retraite et de santé.
– N’est-ce pas un peu contradictoire ? Retraite et santé, ces mots ne vont pas très bien ensemble. Pour ma part, dans deux ans, j’arrête le métier, et je ne me sens pas très bien. J’avais d’ailleurs rendez-vous chez le docteur, cet après-midi. Enfin... Quelqu’un a été tué ?
– Une pensionnaire. Dans les 90 ans.
– Histoire d’amour ?
– Très drôle. Une fille de salle l’a trouvée morte, ce matin, dans sa chambre, en lui apportant son petit déjeuner.
La secrétaire, une dame d’une quarantaine d’années, était, comme le reste du personnel, en blouse blanche. Mais cette blouse semblait plutôt, par je ne sais quel miracle, la déshabiller. Pour un peu, on aurait pu donner la marque du soutien-gorge qui prenait soin d’une opulente poitrine, presque disproportionnée sur une taille aussi frêle. Les mains aux doigts fins jouaient avec un gros stylo. Le sourire avait des langueurs incontrôlées. Elle ne disait rien, et le faisait avec beaucoup de grâce.