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Critique de Dionysos89


Après BonheurTM en 2018 et VieTM en 2019, Jean Baret termine logiquement sa trilogie « Trademark » chez les éditions le Bélial' en 2021 avec MortTM.

Retour en absurdie
D'abord, il y a Babel, cité divisée en de très nombreux quartiers tous affiliés à une religion bien définie et préservant des cultures toutes aussi hétéroclites les unes que les autres. Cette mosaïque est dirigée par le Triumvirat, qui s'assure que chaque citoyen se réfère à l'une de ces religions autorisées. Rasmiyah fait partie de ces fidèles citoyens : habitante du quartier musulman, elle traverse chaque jour une partie de ces districts pour rejoindre le quartier tengriste où réside le jeune musulman à qui elle sert de préceptrice. Tout serait parfaitement normal si elle n'était pas en plus « chaos magicienne » ; ainsi, elle peut changer régulièrement de religion au gré de ses envies de découvrir de nouveaux rites, ce qui lui fait voir Babel d'un autre oeil. Ensuite, il y a Mande-Ville (du nom du philosophe anglais du XVIIIe siècle Bernard Mandeville et les origines de la théorie du ruissellement par le vice, que notre contemporain Dany-Robert Dufour a re-présenté par exemple dans cet article : https://www.monde-diplomatique.fr/2017/12/DUFOUR/58219), cité où le marché est la religion unique selon le principe de ce philosophe : « Soyez aussi avide, égoïste, dépensier pour votre propre plaisir que vous pourrez l'être, car ainsi vous ferez le mieux que vous puissiez faire pour la prospérité de votre nation et le bonheur de vos concitoyens ». Ainsi, tout s'achète et tout se vend, les hologrammes vous vendent des produits à longueur de journée, consommer est un devoir inscrit dans la loi et même les prénoms sont désormais monétisés. C'est le cas de Xiaomi qui s'échine à consommer autant qu'il peut, à s'accomplir autant qu'il le veut et à vendre ses produits autant qu'il l'espère : il est un journaliste gonzo en quête d'un scoop encore plus lucratif à sortir. Enfin, il y a Algoripolis, vaste cité ne contenant que d'immenses immeubles identiques, renfermant des milliers de cases de 8 m² où des individus numérotés sont nourris, logés, entretenus et branchés toute la journée à des réseaux numériques, des hubs. C'est là que nous trouvons le citoyen DN4n93xw, alias Donald Trompe (tous les citoyens ont des patronymes dérivés de personnages célèbres comme Sylvester Staline ou Donald Fuck), qui essaient d'équilibrer ses niveaux d'activité (amour, amitié, travail, repos) tout en s'adonnant à ses loisirs récréatifs préférés. Tous les trois ont des vies normalement bien rangées, même s'ils ne cernent pas toujours le sens de tout ce qu'ils doivent accomplir (le bienfondé des rites pour Rasmiyah, l'intérêt de consommer sans cesse pour Xiaomi et l'utilité de son travail pour Donald Trompe). Et cela ne risque pas de s'arranger quand chacun est confronté à la « M-Théorie »

Mises en abîmes
Jean Baret clôt avec MortTM une trilogie et ce tome-ci sonne vraiment le glas. Ainsi, il prend du recul sur les deux romans précédents, les plaçant finalement dans la même époque, dans un monde plus vaste (que nous ne faisions que deviner précédemment) et pourtant réduit à une mégapole divisée en trois zones accolées. Il organise une alternance parfaite entre Rasmiyah et Babel, Xiaomi et Mande-Ville, enfin Donald Trompe et Algoripolis. Les choix ne sont pas les mêmes que dans les deux premiers romans : ici, le but est de se comparer afin de se trouver des points communs, pas de mettre en scène une vision de la société comme totalement aboutie (pour le pire et le meilleur d'ailleurs). de plus, entre « les religieux, les libéraux et les fascistes » (pour citer les personnages), chacun a sa vision de la liberté ; pourtant, aucun ne considère la liberté des autres comme nécessaire. En cela, en comparant trois systèmes sociétaux ayant totalement abouti, Jean Baret propose une dystopie complète puisque chaque personnage est confronté aux mêmes affres de la vie, alors même que son bonheur est assuré de bout en bout s'il adhère au système qui est créé pour gérer sa vie. Cette réflexion des uns sur les autres est intéressante, elle poursuit l'ultraréférencement présent dans les deux tomes précédents puisqu'elle en reprend une large essence : ainsi, un chapitre sur trois se place dans le monde de Rasmiyah, ce qui est neuf pour le lecteur et nous donne l'occasion de parcourir quantité de religions ou de confessions pas forcément très connues ; un chapitre sur trois se place dans le monde de Mande-Ville, déjà décrit, et largement, dans le premier tome ; enfin, le dernier tiers se place dans le monde d'Algoripolis, déjà décrit et magistralement, dans le deuxième tome. de fait, le lecteur assidu n'est pas pris au dépourvu, d'un autre côté il n'est plus surpris, on n'est plus happé par un coup de poing en pleine face comme dans les deux premiers, cela ne s'en laisse pas moins lire avec plaisir, même si cela fait redite puisque Xiaomi et Donald Trompe ont les mêmes problématiques que Toshiba et Sylvester Staline. C'est toujours l'occasion de multiplier les marques de façon humoristique, les dérisions amicales et sexuelles, ainsi que la présence du copycat de Spider Jérusalem (d'où l'intérêt de lire le comics Transmetropolitan, de Warren Ellis, en parallèle).

Thanatocentré
En bon roman nihiliste, MortTM s'astreint à ne créer de l'espoir que pour le doucher invariablement. Tout au long du récit, une certaine « M-Théorie » est au centre de tout et vient tenter nos trois personnages. Que contient-elle ? En quoi consiste-t-elle ? Est-elle là pour abattre les murs qui séparent les trois zones ? le lecteur, comme Rasmiyah, Xiaomi et Donald Trompe, piaffe d'impatience. Tout réside donc dans cette théorie et dans ce qu'elle propose. C'est cette philosophie que l'auteur calque assez abruptement au bout du compte. Attention alors à ne pas transformer un roman coup de poing en un essai qui pourrait devenir indigeste. Les longues tirades sont utiles pour placer le contexte, mais le but n'est pas de rendre l'intrigue mortelle (sans sous-entendu). Cela ne sert à rien ici de réécrire toutes les belles formulations, car les démonstrations sont très bonnes et agréables à lire, mais il n'empêche que le lecteur peut se sentir comme les trois personnages : éberlué au départ, remonté ensuite, apathique à la fin. Et c'est tout là la tristesse : il n'y a pas d'alternatives, pas d'autres possibilités de sociétés organisées qui sont proposées en-dehors du tout religieux, du tout marché ou du tout algorithme. Ce sont là trois visions politiques, conservatrices à l'extrême, mais clairement pas les seules. Toutes trois, au vu de leur organisation, ne propose qu'une fin inévitable pour les trois personnages, chacun s'en rendant compte à sa façon, bon gré mal gré. Mais finalement, la conclusion n'est pas aussi forte que les deux précédents opus, car ceux-ci nous ont bien trop préparé à cette inéluctabilité.

MortTM clôt donc la trilogie Trademark en une dystopie complète qui reprend des éléments des deux précédents tomes au détriment de l'efficacité pugnace à laquelle Jean Baret nous avait habitués. Pris seul, ce tome aurait été exceptionnel, là le lecteur peut se demander que garder de tout cela.
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