Citations sur La Jeune Épouse (84)
Elle m'enseigna qu'il ne fallait pas craindre les odeurs et les goûts -ils sont le sel de la terre -, et elle m'expliqua que les visages changent pendant l'amour, les traits changent, il serait dommage de ne pas le comprendre. Car lorsqu'un homme est en toi et que tu t'agites sur lui, tu peux lire toute sa vie sur son visage, de l'enfant jusqu'au vieillard moribond, c'est un livre qu'en pareil moment il ne peut pas refermer.
Quand nous devons faire face à des peines cachées ou difficiles à exprimer, il arrive parfois que des individus secondaires, à la modestie intrinsèque, brisent l'isolement auquel nous sommes contraints, avec pour résultat que nous livrions à des inconnus, comme cela m'est arrivé il y a quelques jours à peine, la risible porte de notre labyrinthe, dans l'espoir puéril d'en retirer un bénéfice, un avis ou ne serait-ce qu'un soulagement passager.
Quand on a aucun avenir, la haine vient d’instinct.
Il n'y avait personne d'autre dans la pièce. La grand-mère parlait à voix basse. La Jeune Epouse la craignait et l'adorait. C'était la femme qui avait mis au monde son père, à ses yeux elle était donc intangible et solennellement lointaine. Lorsqu'elle lui ordonna de s'asseoir et de traîner une chaise à côté du lit, elle songea qu'elle n'avait jamais été aussi proche d'elle et, intriguée, elle se rendit compte qu'elle pouvait sentir son odeur : pas une odeur de mort, mais de coucher de soleil.
Elle m'apprit que seul les idiots font l'amour pour jouir.
Pourquoi tant de sexe ?
Que veux-tu dire ?
Le sexe. Dans le livre.
Il y en a presque toujours, du sexe, dans mes livres.
Oui, mais là c'est une obsession.
Tu trouves ?
Tu le sais bien.
Obsession, ça me semble exagéré.
Possible. Mais à l'évidence, quelque chose t'attire dans le fait d'écrire sur le sexe.
C'est vrai.
Quoi donc ?
Que ce soit difficile.
Qu'est-ce qui vous manque le plus ?
En plus des rêves ?
En plus des rêves, oui.
Les rêves éveillés, ceux qu'on fait le jour.
Vous en aviez beaucoup ?
Oui.
Les avez-vous réalisés ?
C'était donc une période étrange pour moi, j'avais un peu l'impression d'être veuf, je marchais comme les veufs, vous savez ? Vaguement groggy, avec des yeux d'oiseau perdu qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Vous voyez ce que je veux dire ?
Elle le regarda sans comprendre et, en lui tendant la coupe, le domestique ébaucha une courbette dans laquelle il dissimulait une phrase à peine perceptible, mais tout à fait claire.
Aujourd'hui vous brillez, Mademoiselle. Soyez vigilante.
J'ai examiné la pièce. Les objets, l'ordre, l'obscurité. Le repaire d'un cinglé, avait dit L. Un tantinet excessive, comme toujours. Et pourtant.
Possible que ça doive se terminer ainsi ?
De temps en temps - on l'aura remarqué -, il arrive qu'on se dise : possible que ça doive se terminer ainsi ?
Pour ma part, je ne me l'étais pas dit depuis longtemps, j'avais cessé de m'interroger. Ecrasé de douleur, on dévale la pente, on ne s'aperçoit de rien et c'est fini.