Un roman qui présente l’homme dans sa dualité ; à la fois merveilleux et répugnant.
Le père de la petite fille était un bourreau, mais il était aussi un père merveilleux.
Tito, le soldat se bat pour un monde plus juste, il croit en son idéal. Il ne peut pas être sensible à la souffrance. Pourtant il se laisse émouvoir par les yeux de l’enfant, par sa pureté, sa perfection.
« Il était fatigué et le silence était trop grand »
Fatigué de ce combat, de ces mensonges. La vérité est sous ses yeux, dans le regard et la posture de cette petite fille, qui l’obséderont toute sa vie.
La chance est aveugle pour Nina, pourtant Tito n'est pas aveugle, mais il a été ébloui par cette vision.
La petite fille recroquevillée est encore à l’abri de l’enfer, comme un petit corps à l’abri dans son coquillage. Elle oppose la perfection, l’exactitude, à la férocité des hommes.
Que va devenir la vie de ces deux êtres, mis face à face, l’espace d’un instant crucial de leur vie, dans cette ferme de l’enfer ?
Sans sang se lit dans un souffle. Un souffle qui nous bouscule. Un souffle qui raconte l’enfer que l’homme se crée lui-même sur cette terre. Vengeance avec sang ou vengeance sans sang, cela n’a pas de fin, c’est insensé.
Le sang appelle la vengeance, la haine, c’est un cycle sans fin. Chaque camp a son histoire, laquelle est la vraie ?
La vieille femme et Tito vont se raconter leur histoire…ou se la faire raconter…
C’est une histoire qui pourrait se dérouler dans n’importe quel endroit du monde, à n’importe quelle époque. Livre bref aux courtes phrases. Percutant dans la première partie, comme les tirs d’une mitraillette. Plus lent dans la deuxième partie, lisant l’âme des personnages, l’évolution de leurs émotions au fil de leur conversation. Émotions oscillant entre amour et pardon, lassitude et gratitude, peur et sérénité.
Dans ce roman, nous ne sommes pas dans la douceur, comme dans « Soie ». Ici c’est un miroir de la face sombre de l’homme, dans toute son ambiguïté
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- Qu’est-ce que ça veut dire un monde meilleur ?
- Un monde juste, où les faibles ne doivent pas souffrir à cause de la méchanceté des autres, où n’importe qui peut avoir droit au bonheur.
- Et vous, vous y croyiez ?
- Bien sûr que j’y croyais, tous nous y croyions, c’était faisable et nous savions comment.
- Vous le saviez ?
- Ça vous paraît tellement bizarre ?
- Oui.
- Pourtant nous le savions. Et nous avons lutté pour ça, pour pouvoir faire ce qui était juste.
- En tirant sur des enfants ?
- Oui, si c’était nécessaire.
- Mais qu’est-ce que vous racontez ?
- Vous ne pouvez pas comprendre.
- Je peux comprendre, expliquez-moi et je comprendrai.
- C’est comme la terre.
- ...
- ...
- ...
- On ne peut pas semer sans labourer. D’abord il faut ouvrir la terre.
- ...
- Il faut passer à travers la souffrance, vous comprenez ?
- Non.
[...]
- La guerre, vous l’avez gagnée. Ce monde vous paraît meilleur ?
- Je ne me le suis jamais demandé.
- Ce n’est pas vrai. Vous vous l’êtes demandé mille fois, mais vous avez peur de répondre.
Le feu était vert, et la femme traversa la rue. Elle marchait en regardant le sol, parce qu'il venait de cesser de pleuvoir et dans les creux de l'asphalte des flaques étaient restées, en souvenir de cette pluie soudaine de début de printemps. Elle marchait d'un pas élégant, mesuré par la jupe serrée d'un tailleur noir. Elle voyait les flaques d'eau et les évitait.
Alors elle pensa que, même si la vie est incompréhensible, nous la traversons probablement avec le seul désir de revenir à l'enfer qui nous a engendré, et d'y habiter auprès de qui, un jour, de cet enfer, nous a sauvé. Elle essaya de se demander d'où venait cette absurde fidélité à l'horreur, mais elle s'aperçut qu'elle n'avait pas de réponse. Elle comprenait seulement que rien n'est plus fort que cet instinct de revenir là où on nous a brisé, et de répéter cet instant pendant des années. En pensant seulement que ce qui nous a sauvé une fois pourra nous sauver à jamais.
Une rafale balaya toute la maison, dans un sens puis dans l'autre comme un pendule, comme si elle n'allait jamais s'arrêter, dans un sens puis dans l'autre comme la lumière d'un phare, sur le bitume noir de la mer, patiente.
Provo a chiedersi da dove venisse quell'assurda fedeltà all'orrore, ma scopri di non avere risposte. Capiva solo che nulla è più forte di quell'istinto a tornare dove ci hanno spezzato, e a replicare quell'istante per anni. Solo pensando che chi ci ha salvati una volta lo possa poi fare per sempre. In un lungo inferno identico a quello da cui veniamo. Ma d'improvviso clemente. E senza sangue.
Elle essaya de se demander d'où venait cette absurde fidélité à l'horreur, mais elle s'aperçut qu'elle n'avait pas de réponse. Elle comprenait seulement que rien n'est plus fort que cet instinct de revenir là où on nous a brisé, et de répéter cet instant pendant des années. En pensant seulement que ce qui nous a sauvé une fois pourra nous sauver à jamais. Dans un long enfer identique à celui d'où nous venons. Mais clément tout à coup. Et sans sang.
Les voies de la narration. Apprendre l'art de raconter des histoires dans le monde contemporain
Avec David Foenkinos, romancier, dramaturge et scénariste, Fanny Sidney, réalisatrice, scénariste, comédienne et Pauline Baer, écrivaine et animatrice d'ateliers d'écriture
Au cours des deux dernières décennies, les histoires, les récits, les narratifs sont sortis du champ strictement littéraire et culturel pour investir d'autres espaces – politique, économique, informationnel. Portée par l'essor des industries créatives et par la multiplication des canaux et des formats, la « fabrique » à histoires s'est développée en réponse à des besoins variés : assouvir une quête de sens, se réapproprier une histoire familiale, fédérer autour d'un projet collectif, incarner une ambition entrepreneuriale, donner du souffle à un projet politique, redonner de la cohérence aux événements du monde, ou tout simplement répondre à notre envie d'être transporté et tenu en haleine… du récit intime qui bouscule au récit politique qui veut marquer son temps, de l'histoire qui captive au narratif d'entreprise qui conjugue stratégie et raison d'être, chacun cherche l'histoire qui fait vibrer, donne du sens, motive, divertit ou répond aux questions du siècle.
Si le besoin de récit est partout, il faut (ré)apprendre à raconter des histoires de manière adaptée aux usages contemporains, sans perdre de vue la vocation humaniste de toute narration et les ponts qu'elle peut jeter entre générations et entre communautés. Une nouvelle génération d'auteurs, ainsi que la demande des industries culturelles interrogent l'idée – très française, et à l'opposé de la mission de la Scuola Holden de Turin fondée à Turin par Alessandro Baricco en 1994 – que l'art du récit ne s'apprend pas, à moins de le faire comme un outil pour accéder à un métier et à un média. Et s'il fallait une « école Holden à la française » pour décloisonner les industries culturelles et les générations ?
Table ronde proposée par Claudia Ferrazzi, fondatrice de VIARTE.
À lire –
David Foenkinos, Charlotte, Gallimard, 2014.
Pauline Baer, La collection disparue, Folio Gallimard, 2020.
Alessandro Baricco, The game, Folio Gallimard, 2019.
Alessandro Baricco, Les barbares. Essai sur la mutation, Gallimard, 2014.
Yves Lavandier, La dramaturgie : les mécanismes du récit, Les impressions nouvelles, 1994.
Maureen Murdock, The heroine's journey, Shambhala Publications Inc, 1990.
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