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Jean-Pierre Aoustin (Traducteur)
EAN : 9782715258839
208 pages
Le Mercure de France (01/09/2022)
3.18/5   69 notes
Résumé :
Elle se tenait devant nous sans notes, ni livres, ni trac. Elle laissa son regard errer, sourit, immobile et commença : "Vous aurez remarqué que le titre de ce cours est “Culture et civilisation”. Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas vous bombarder de graphiques et de diagrammes. Je ne vais pas vous gaver de faits comme on gave une oie de maïs... Je m'adresserai aux adultes que vous êtes sans nul doute. La meilleure forme d'éducation, comme les Grecs le savaient, e... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (16) Voir plus Ajouter une critique
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Se considérant à cinquante ans comme le « roi des projets inachevés » après une carrière de comédien et une vie sentimentale aussi peu réussies l'une que l'autre, Neil se souvient de l'exceptionnelle et si peu conventionnelle enseignante universitaire qui a littéralement bouleversé son existence deux décennies plus tôt.


Cette « lettrée indépendante » de vingt ans son aînée, parmi « ces hommes et ces femmes de la plus haute intelligence qui se penchaient en privé sur leurs propres sujets d'intérêt » alors que « l'argent leur permettait de voyager et de chercher au bon endroit ce qu'il leur fallait, sans obligation de publier, sans collègues à surpasser ou chefs de département à satisfaire », dispensait alors à des adultes des cours de Culture et Civilisation, avec pour ambition d'aider ses élèves « à réfléchir et argumenter, et à penser par eux-mêmes. » Pris d'un amour platonique pour cette intellectuelle qui l'initiait à la libre-pensée, Neil est resté vingt ans en contact avec elle, au rythme de quelques déjeuners par an, jusqu'à ce qu'il hérite de ses livres et papiers. Alors, pour lui rendre hommage, il décide d'entreprendre la rédaction d'un essai historique et philosophique sur l'empereur romain Julien II, dit Julien l'Apostat, figure centrale dans l'enseignement d'Elizabeth Finch.


Elevé dans la foi chrétienne, Julien II tenta pourtant, sans en avoir le temps au cours des deux seules années de son règne (361 à 363), de rétablir le polythéisme hellène, et est resté, au cours des siècles, un symbole largement polémique de l'opposition entre paganisme et christianisme. Ses positions religieuses ont notamment inspiré les humanistes de la Renaissance comme Montaigne, puis les philosophes des Lumières comme Montesquieu et Voltaire, autour des thèmes de la liberté de conscience, du stoïcisme, de la tolérance éclairée. A travers lui, ce sont mille débats auxquels, dans les pas D E.F, Neil nous invite, pointant l'autoritarisme et l'intolérance du monothéisme chrétien, ses préventions contre la science, son goût pour le martyre, et se plaisant à nous interroger sur ce que le monde serait devenu si Julien avait vécu plus longtemps et si les platoniciens l'avaient emporté sur les chrétiens : plus besoin de Renaissance ni de Lumières pour sortir de l'obscurantisme, plus de guerres de religion, et peut-être aussi davantage de joie sur terre puisque non sacrifiée à « quelque absurde Disneyland céleste après notre mort. »


Autant tenu en haleine par le portrait romanesque, tout en mystères et en fantasmes, de cette professeur hors pair, si admirablement dédiée à l'éclosion chez ses élèves d'une pensée libre qui, pour sa part, la marginalise totalement dans le microcosme intellectuel d'aujourd'hui, que fasciné par la portée si contemporaine de cette monographie d'un empereur romain resté étonnamment symbolique depuis des siècles, l'on se régale de l'érudition de ce livre, surprenant mais éloquent plaidoyer pour la liberté de pensée, de conscience et de religion. Un ouvrage aussi original qu'intelligent dans sa construction et dans son propos non dénué d'ironie.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Pas facile de parler de « Elizabeth Finch » de Julian Barnes, un auteur anglais que j'apprécie énormément, au beau palmarès littéraire comme chacun le sait. Mais gros coup de coeur pour moi pour ce roman que j'ai relu deux fois – signe d'une belle complexité passionnante.


Le récit démarre alors que le narrateur, Neil – on comprend assez vite qu'il est étudiant – se tient face à une professeure étonnante du nom de Elizabeth Finch. On assiste en direct à l'un de ses cours, sur un sujet qui semble plutôt difficile : « Culture et Civilisation ».

Cette professeure n'est pas une femme comme les autres, on le comprend assez vite. Vu par les yeux du narrateur, un jeune étudiant fasciné par elle, le portrait vaut le détour.

« Elle portait des chaussures Oxford, noires en hiver, brun clair en automne et au printemps. Des bas ou des collants – vous ne voyiez jamais Elizabeth Finch les jambes nues. » Et assez vite, après un portrait des plus croustillants, on comprend aussi que notre narrateur s'intéresse beaucoup à sa professeure : « Malgré notre âge – de presque trente ans à déjà plus de quarante – nous, ses élèves, avons d'abord réagi comme des collégiens : nous nous posions des questions sur son passé et sa vie privée, nous demandions pourquoi elle ne s'était jamais – à notre connaissance – mariée. »

Les 190 pages suivantes vont être consacrées à en savoir plus sur Elizabeth Finch, et bien sûr, en creux, à en savoir plus sur notre narrateur.
Il faut dire qu'elle est vraiment fascinante cette Elizabeth Finch.
Libre penseur (dit-on libre penseuse ?), elle apprend à ses étudiants à penser par eux-mêmes. Une sorte de Keating (Le cercle des poètes disparus) au féminin, une éveilleuse de conscience, un peu hors du temps, originale à sa façon, totalement dégagée des questions de mode, et d'une érudition peu commune. Solitaire, mais pas esseulée, elle est « amorale » (et non pas immorale) et n'exerce jamais aucun apitoiement sur elle-même.

« La meilleure forme d'éducation » dit-elle à ses élèves, « comme les Grecs le savaient, est collaborative ».

Commence alors un roman d'apprentissage où Neil – fasciné, amoureux ? – par celle qui va devenir son mentor, mesure la chance qu'il a d'être en présence d'une personne aussi extraordinaire. Il éprouve le sentiment « obscurément que pour la première fois sans doute, il était arrivé au bon endroit ».
Mais Elizabeth Finch est tout à la fois aussi mystérieuse, indéchiffrable, et Neil n'a de cesse de percer le mystère, bien après la fin de ses études (il tente de vivre du théâtre en tant que comédien, se marie, a un enfant hors mariage, mais nous en dit très peu à ce sujet) et alors qu'il entretient une relation privilégiée avec son égérie.


Survient alors un évènement : le personnage d'Elizabeth Finch va disparaître – du moins en apparence, puisqu'elle meurt de façon précoce.

Lui qui se désespère de la perte de celle qu'il admirait tant, se voit convoquer chez le notaire à propos du décès. Il y découvre le frère d'Elizabeth, Christopher, avec qui il va sympathiser, et apprend aussi qu'il hérite de la bibliothèque personnelle de son ex-mentor. Elle lui a légué également ses carnets, dans lequel il se presse de plonger, dans l'espoir aussi d'y trouver quelque chose qui le concerne.

Commence alors la seconde partie du récit.

Si Marguerite Yourcenar a son Hadrien (voir les fameuses « Mémoire d'Hadrien" , un livre magistral), E.F. comme la désigne Neil a son « P.G », alias « Pâle Galiléen », alias Julien l'Apostat.

Nous découvrons alors avec Neil le personnage historique de ce Julien, qui fut nommé « César en Gaule de 355 à 361 par Constance II, puis proclamé empereur romain à part entière de 361 à 363. Vingt mois de règne laissent la place à une postérité remarquable, ses actes et ses oeuvres inlassablement commentés et bien plus souvent honnis et vilipendés que loué », nous dit Wikipédia.

Mais Julien doit son surnom « d'apostat » à sa volonté de rétablir le polythéisme dans l'Empire romain, alors qu'il avait été élevé dans la religion chrétienne, nous dit-on encore.

Notre narrateur se passionne pour ce nouveau personnage, dans une sorte de roman dans le roman : Elizabeth Finch fait preuve encore d'une belle érudition en ayant étudié toute l'histoire de cet apostat, qu'elle semblait trouver fort intéressante. Notamment parce que - libre penseur lui aussi - il autorisait les Chrétiens à pratiquer leur religion sans les pourchasser, évitant le piège d'en faire de martyrs, ce qui aurait attiré l'attention sur eux, mais prônant un culte polythéiste, comme du temps des Grecs.

D'où cette question centrale que se pose E.F., puis Neil, et nous avec eux : et si Julien avait triomphé ? Est-ce que la religion chrétienne serait devenue aussi importante pendant deux mille ans ? Pure conjonction intellectuelle puisqu'on sait que la religion chrétienne a pris le dessus, étouffant les autres religions.

Neil poursuit donc son enquête pour mieux comprendre celle qu'il admirait tant, menant régulièrement des interviews auprès de Christopher, le frère (qui ne connaissait que partiellement sa soeur si intelligente), et allant à la fin du roman jusqu'à retrouver Anna, une autre étudiante hollandaise fascinée elle aussi par sa professeure, et confrontant leurs souvenirs de ressentis, partiellement divergents.

Grande spécialiste de l'histoire de Julien l'Apostat, Elizabeth Finch va néanmoins connaître une cruelle mésaventure. Souhaitant donner une conférence intitulée au départ « Tu as vaincu, ô pâle Galiléen », qui est devenu ensuite « D'où vient notre morale », elle fut alors la cible des médias qui torpillèrent ses propos par une redoutable simplification à outrance, lui faisant dire ce qu'elle n'avait pas dit. Un tabloïd titra même « PROF TOQUEE PRETEND QUE LES EMPEREURS ROMAINS ONT RUINE NOTRE VIE SEXUELLE ».

La dernière partie du roman verra un Neil interrogatif face à tout ce qu'il a appris des carnets et bibliothèque de son ex-mentor. Faut-il écrire sa biographie ? et « ramper sur toute votre existence » comme l'a dit l'auteur américain John Updike ?

Je vous conseille chaudement la lecture de ce roman de Julian Barnes.

Ma théorie personnelle ? Julian Barnes a connu une professeure comme celle qui décrit. Et a voulu lui rendre hommage. Et a écrit ce roman d'apprentissage, sorte de biographie originale pour un personnage hors du commun.

L'auteur du « Perroquet de Flaubert », de « England, England », ou de « La seule histoire » réussit ici un exploit. L'exploit de nous avoir fait rencontrer cette femme hors du commun, libre penseuse, qui agite les méninges de nous lecteurs, comme elle fit avec ses étudiants.

Bravo Mr Barnes, Julian Barnes.
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Certes érudit, ce livre est malgré tout comme tissé d'une sagesse apaisante. le superbe portrait de femme que dresse le narrateur est ciselé, minutieux et féministe : Julian Barnes, à travers Neil, donne corps à une héroïne mystérieuse et inimitable, profonde et savante qui a une vision bien particulière de l'Histoire et de la religion. Il croise sa vie (fictive) et celle de Julien l'Apostat, mêle le destin du monde, celui d'un empereur romain et d'une femme qui était fasciné par cet auguste homme (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2022/09/09/elizabeth-finch-julian-barnes/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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J'aime les auteurs qui écrivent avec élégance, surprennent et stimulent le lecteur. Julian Barnes en fait partie et je l'en félicite.
"Elizabeth Finch" est un roman étonnant, vivifiant, expérimental qui met l'accent sur la nécessité de réexaminer et de réévaluer constamment ce que nous pensons savoir de l'Histoire ou d'une histoire. Il nous interroge sur la façon dont nous pouvons apprendre à penser et à appréhender le monde en essayant de comprendre les personnes que nous avons perdues, que ce soit des proches ou des personnages historiques. Il nécessite une bonne dose de concentration pour traiter son contenu. À son âge, Julian Barnes pourrait très bien se détendre et nous servir des lectures faciles, mais non, il nous secoue avec de la philosophie, de l'histoire et des choix structurels extravagants.
Sous la forme d'une rétrospective, "Elizabeth Finch" raconte l'histoire de Neil, le narrateur, qui devient l'héritier de l'oeuvre intellectuelle de sa professeur de « Culture et Civilisation » à Londres lorsqu'il était étudiant trentenaire deux décennies auparavant. À l'époque, il est un élève un peu bête, mais assidu. le premier jour de cours, Elizabeth expose sa méthode pédagogique : « Je ne vais pas essayer de vous gaver de faits comme on gave une oie de maïs ; il n'en résulterait qu'un foie engorgé, ce qui serait malsain. » Elle propose au contraire une approche socratique de l'enseignement, faisant participer ses étudiants à des débats, et croyant profondément que l'histoire et la culture grecques et romaines influencent encore les gens d'aujourd'hui. Elle est particulièrement obsédée par Julien l'Apostat, le dernier empereur romain païen dont la mort est décrite par Elizabeth comme « le moment où l'Histoire a mal tourné ». Neil est séduit. Intrigué par la prestance de Finch, ébloui par son assurance, il fantasme sur sa vie extrascolaire : pyjamas en soie, lacs italiens, vignobles français, amants mystérieux.
Un jour, à la fin d'un cours, Neil invite courageusement sa professeur au restaurant, et ainsi pendant 20 ans, ils vont déjeuner ensemble deux ou trois fois par an. On ne sait pas très bien ce qu'Elizabeth retire de ces rencontres. Ce que Neil y gagne, c'est l'occasion d'être subjugué par une femme d'une lucidité et d'une intelligence redoutables.
Et puis là, première grosse surprise pour moi qui pensait que le récit se construirait autour de cette relation, Julian Barnes fait mourir Elizabeth Finch et donne paradoxalement une nouvelle vie au roman. Après sa mort, Neil hérite de ses notes et aimerait écrire, mais quoi ? Son autobiographie ? La biographie d'Elizabeth Finch, celle de Julien l'Apostat ?
Elizabeth Finch, cette enseignante distante, posée et discrète, Neil la qualifie de « stoïcienne romantique ». Elle est « pleine de calme assurance, élégante, inquiétante, complète ». Une grande partie de sa vie lui est restée inconnue, aussi entreprend-il d'enquêter avec l'aide des carnets qu'elle a laissés, de son frère Christopher et de certains de ses anciens camarades étudiants.
Cette description pourrait donner l'impression que Julian Barnes nous raconte simplement et linéairement une histoire, mais ce serait trop facile et nous tromperait sur ce qu'il essaie de faire. Barnes nous offre un récit hybride, une (auto) biographie à plusieurs niveaux avec une narration portée par Neil, mais peu fiable comme ce dernier le prétend lui-même, il l'entrecroise avec de très nombreuses notes personnelles écrites dans les carnets d'Elizabeth, puis, pour couronner le tout, il transforme toute la partie centrale du livre en un essai, un exposé sur Julian l'Apostat que Neil rédige parce qu'il a échoué à le faire lorsqu'il était élève de Finch. Cette partie importante du roman, surprenante et un peu sèche il faut le dire, m'a fascinée de manière inattendue, m'a permis de faire la connaissance d'un personnage historique important et de retracer la montée du christianisme en Europe. La chose la plus surprenante que j'ai constatée est le nombre considérable d'écrivains, d'artistes et de compositeurs qui se sont exprimés sur Julien l'Apostat au cours de l'Histoire. J'ai également trouvé intéressant de voir comment tout ce qui se trouvait dans la première partie était relié à cet exposé.
Dans la troisième partie, Neil applique à sa propre vie ce qu'il a appris au cours de ses recherches sur l'empereur Julien. Alors qu'il se demande s'il doit ou non écrire une biographie d'Elizabeth Finch sur la base de ses travaux, il retrouve certains de ses camarades de classe et découvre de nouvelles informations sur la mémoire, l'histoire et la manière dont un récit se met en place. Cette partie nous entraine également dans une autre dimension avec l'expérience littéraire vertigineuse d'un Julian Barnes décrivant Neil, son narrateur en voyage dans un train et lisant "La Modification" de Michel Butor qui est un livre sur un homme lui-même dans un train lisant un livre sur Julian l'Apostat.
C'est complexe, mais il y a aussi des thèmes plus accessibles, plus faciles à saisir, comme celui des différentes formes d'amour. Par exemple, la phrase « Alors qu'avez-vous pour moi ? » symbolise pour moi l'intensité relationnelle entre deux personnes qui échangent et s'apprécient dans une forme d'amour non manifesté. J'ai aimé dans ce roman l'exploration de ce genre d'amour, avec courage et sans le poids d'une auto-analyse démesurée ou inexistante. Neil a aimé Elizabeth de manière multiforme. Comme dans "La seule histoire", Barnes se plait à étudier les différentes formes d'amour, et la façon dont il traite le sujet dans ce roman, également en relation avec d'autres personnages que Neil rencontre ou a rencontrés, est particulièrement intéressante.
L'amour non manifesté est aussi une façon pour Julian Barnes d'aborder le sujet des occasions manquées. Comme souvent, il s'attarde sur la façon dont, au cours des années de jeunesse ou de formation, se développent les interactions et les relations qui façonnent une vie et qui, rétrospectivement, peuvent être considérées comme des occasions manquées. L'amour non manifesté entre Elizabeth et Neil peut être considéré comme une occasion manquée vers une relation amoureuse épanouie, tout comme l'histoire de Julien l'Apostat, loin dans le passé, est une occasion manquée vers un monde différent et plus éclairé.
C'est un livre à discuter, à relire et à disséquer, une oeuvre ambitieuse. Bien que je doive admettre que j'ai moi aussi eu du mal avec certaines séquences, je constate que Julian Barnes surprend encore ses lecteurs, il n'y a aucune complaisance dans ses textes. Je suis déjà curieux de savoir ce qu'il va inventer pour la suite.
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Quand je décide de me garder le dernier Julian Barnes pour les frimas, comme on se garde un bonbon pour la note gourmande je suis sûre de mon coup. Finesse, élégance, profondeur et intelligence. Sans oublier la petite touche d'humour. Cocktail garanti, les ingrédients changent mais pas la manière. Lire Julian Barnes c'est autant un plaisir qu'un enrichissement de l'esprit. le seul risque à tenter d'en parler est de se sentir bien moins intelligent que lui.

Dans ce dernier opus, il met en scène la relation et la fascination intellectuelle d'un ancien élève pour sa professeure, Elizabeth Finch au sein d'un cursus pour adultes. Neil a déjà une trentaine d'années et un parcours professionnel décousu lorsqu'il suit ce cours intitulé "Culture et Civilisation". Elizabeth Finch est un professeur iconoclaste qui s'attache surtout à ouvrir l'esprit de ses étudiants en les incitant à questionner et à explorer les différentes facettes des vérités historiques pour mieux tenter d'appréhender le monde. A se méfier du préfixe "mono" par exemple ou à se souvenir d'Épictète pour ce qui dépend ou ne dépend pas de nous. Avec parfois des références étonnantes comme lorsqu'elle invite à lire Hitler. Captivé, Neil continuera à déjeuner avec elle deux ou trois fois par an bien après la fin de son enseignement, tentant de percer l'aura de mystère qui entoure cette femme solitaire, au caractère affirmé mais secret. A sa mort, il héritera de ses livres et de ses papiers dont beaucoup de notes autour de Julien l'Apostat, et se fera fort de marcher dans ses traces sans trop savoir ce qu'il cherche.

Encore une fois, Julian Barnes nous offre un texte hybride qui joue avec les notions de réalité historique et de fiction en interrogeant la fabrication des récits. C'est un thème qui revient très souvent chez lui, tout comme celui des traces que nous laissons et la façon dont on se souvient de nous. le plaisir du cheminement est nourri d'emprunts philosophiques et historiques ainsi que de l'étude du personnage de l'empereur romain Julien l'Apostat, prétexte à s'interroger sur la façon dont l'histoire se serait écrite si sa préférence pour les religions polythéistes avait empêché l'emprise du christianisme. "Il faut toujours garder à l'esprit ce qui aurait pu arriver, autant que ce qui s'est produit" professait Elizabeth Finch, ne pas oublier que L Histoire est écrite du point de vue des vainqueurs. 

En fait ce genre de lecture ne se raconte pas, elle agit comme une potion revigorante pour l'esprit, ingurgitée avec le sourire en compagnie du plus charmant guide qui soit.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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critiques presse (4)
LaLibreBelgique
02 janvier 2023
Julian Barnes nous entraîne à nouveau dans une histoire d'amour singulière, aussi piquante qu'érudite.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LesEchos
01 septembre 2022
Manifeste raisonné contre l'intolérance religieuse, exaltation des beautés de l'esprit et de l'amour platonique, un drôle de roman cérébral, aussi captivant que déroutant.
Lire la critique sur le site : LesEchos
LeFigaro
25 août 2022
Avec Elizabeth Finch, l’auteur du Perroquet de Flaubert signe
un de ses meilleurs romans, nourri d’un grand esprit de liberté et de fantaisie, virtuose quand il le faut, impeccable du point de vue de l’architecture narrative.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LaCroix
25 août 2022
Dans une étrange histoire d’amour, contemplant les univers de Julien l’Apostat et de Gustave Flaubert, le romancier Julian Barnes scrute l’effacement d’une civilisation, la nôtre.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (66) Voir plus Ajouter une citation
Je songeais à Julien, et à la façon dont les siècles l’ont interprété et réinterprété, comme un homme traversant une scène poursuivi par des faisceaux diversement colorés de projecteurs. Oh, il était rouge, non, plutôt orange, non, il était indigo teinté de noir, non, il était tout noir. Il me semble que c’est, d’une manière certes moins théâtrale et extrême, ce qui se passe quand nous considérons la vie des autres : comment ils sont vus par leurs parents, amis, amants, ennemis, enfants ; par des inconnus croisés qui remarquent soudain une vérité sur eux, ou par de vieux amis qui ne les comprennent pas. Et puis ils nous regardent, d’une autre façon que nous nous regardons. Eh bien, l’erreur historique est une composante essentielle de ce qui fait une personne.
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Je suppose que j’ai toujours cru instinctivement (ou nonchalamment) que ces mirifiques mythes et martyres, avec leurs fracassants messages de salut, quoique sûrement « améliorés » en étant maintes fois racontés, avaient leur origine dans quelque plus rude réalité. Quand on regarde un puissant tableau donnant à voir un violent martyre, il nous persuade que c’est la représentation d’un événement qui s’est jadis produit. Mais toutes ces saintes compilations, comme les Actes des martyrs, et leurs illustrations ultérieures ne sont que d’édifiantes fictions, plutôt que des Vies réelles. L’opinion actuelle des érudits n’est pas seulement que peu de ces célèbres martyrs ont existé, mais que leur nombre total fut en fait minuscule. Certes, beaucoup de chrétiens furent tués « simplement » parce qu’ils étaient chrétiens (et refusaient d’abjurer leur foi devant une cour de justice) ; mais, là aussi, bien moins que précédemment supposé. D’après un « prudent calcul », au cours des trois premiers siècles de l’ère chrétienne, « entre deux et dix mille chrétiens furent mis à mort par le pouvoir temporel de l’Empire romain ». (Même pas les onze mille de sainte Ursule !) Quant au nombre de ceux qui voulaient mourir, persuadés de prendre ainsi la voie d’accès rapide au Ciel : « Même les Docteurs de l’Église ne peuvent présenter plus d’un ou deux cas de martyre volontaire. »
En outre : nous pensons (ou je pensais) que les païens tuaient les chrétiens, et les chrétiens, les païens, tour à tour, ripostant à un massacre par un autre. Ils le faisaient, mais c’était peu de chose, comparé à la violence entre les chrétiens de différentes obédiences. (Le narcissisme des petites différences.) Comme dit Ammien, ils étaient « pires que des bêtes féroces quand ils disputaient entre eux », tandis que Gibbon déclare avec une ironie désabusée : « C’est un rappel salutaire de l’importance d’une exactitude théologique, que davantage de chrétiens furent mis à mort en une seule année de l’empire chrétien, qu’on n’en avait exécuté en trois siècles de domination païenne. »
J’avoue que tout cela m’a d’abord découragé. Mais j’en ai pris note, et j’en ai tiré deux conclusions. Primo, que les théologiens peuvent aussi faire d’excellents romanciers. Et secundo, que l’erreur historique est une composante essentielle de ce qui fait une religion.
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Et dans quelle catégorie mon amour pour E. F. pouvait-il être classé ? Eh bien, je dirais « romantico-stoïque », ce qui était approprié. Et l’aimais-je davantage que l’une ou l’autre de mes épouses ? Disons-le comme ça : une partie de l’amour dépend du fait d’être surpris par la personne qu’on aime, même si on la connaît très bien. C’est un signe que l’amour est vivant. L’inertie tue l’amour – et pas seulement l’amour sexuel ; tout sorte d’amour. D’après mon expérience, les « surprises » de l’amour conjugal, après les premières années, se révèlent parfois être de simples foucades ; ou, pis encore, l’expression d’une personne gagnée par l’ennui non seulement de son conjoint, mais d’elle-même et, en fait, de la vie elle-même.
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Ces dernières paroles (et leur source inattendue) m’ont fait songer aux secrets de l’amour ; ce qui n’est pas montré et ce qui n’est pas dit. Je ne pense pas à « l’amour qui n’ose pas dire son nom » ou ce genre de choses, mais aux plaisirs ordinaires de … quoi donc ? … d’une sorte de dissimulation choisie. J’ai dit que j’aimais Elizabeth Finch – du moins, je suis presque sûr que je l’aimais ; et je l’aime encore, par-delà la mort. C’est un amour qui a commencé dans la salle de classe, mais ce n’était pas l’amour juvénile qu’un enfant peut éprouver pour son professeur. J’avais plus de trente ans, après tout. Cela n’avait rien d’un amour marital – pas celui dont j’ai fait l’expérience, en tout cas. Pas plus que ce n’était un amour fantasmé, en dépit de mes vagues rêveries sexuelles. (Une confession : je pensais parfois, dans des moments d’indolente spéculation, qu’au cas très improbable où nous coucherions ensemble je l’appellerais encore « Elizabeth Finch » - prénom et patronyme. Et il me semblait alors qu’elle approuverait cela et que, entre les draps, ce que cela pouvait avoir de guindé prendrait une coloration plus intime, aguichante, sexy. Pensez ce que vous voulez de ça.)
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J’ai souvent été perplexe en songeant aux relations entre hommes et femmes. (Hommes et hommes, à un moindre degré, femmes et femmes, presque pas : cette dernière combinaison semblant évidente et raisonnable, pas seulement pour une question de goût, mais de nécessité, vu à quel point les hommes ont salopé le monde.) Hommes et femmes : les malentendus et les méprises, les ententes factices ou paresseuses, les mensonges bien intentionnés, la franchise blessante, l’éclat de colère non provoqué, la cordialité sans faille qui dissimule une indolence émotionnelle. Et ainsi de suite. L’espoir de pouvoir comprendre le cœur de l’autre alors que nous pouvons à peine comprendre le nôtre.
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