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Critique de SophieLesBasBleus


"La seule histoire qui vaille d'être racontée" pour Paul, homme vieillissant, c'est celle vécue avec Susan, cinquante ans auparavant. Et il la raconte telle que sa mémoire l'a gardée, avec des flous, des lacunes, des temporalités enchevêtrées et un point de vue forcément distancié par le temps écoulé depuis.
Il a 19 ans lorsqu'il rencontre Susan qui en a 48. Elle est mariée, a deux filles plus âgées que lui, se montre gaie, attentive, disponible. de marivaudage en flirt plus explicite, tous deux tissent des liens de plus en plus intimes jusqu'à devenir amants. Pour Paul, l'orgueil de vivre une aventure exceptionnelle qui le distingue des garçons de son âge est indissociable de l'amour véritable qu'il éprouve pour sa maîtresse. Après deux ans d'une liaison plus ou moins secrète, le couple part s'installer à Londres où Paul doit poursuivre ses études de droit. Très vite, ce qui devait être le plus grand bonheur tourne au cauchemar car Susan se montre très instable, parfois menteuse, parfois enjôleuse, parfois égarée. Après une période de déni, Paul est contraint à la lucidité : celle qu'il aime est alcoolique. Commence alors sa lutte pour sauver Susan et préserver leur amour. Un combat où s'entremêlent l'égoïsme, la compassion, la souffrance, la rancoeur et la colère.
Mais peut-on se fier à la mémoire du narrateur, qui admet avoir oublié des choses essentielles alors que des détails anodins surnagent dans ses souvenirs ? Plus âgé désormais que Susan ne l'était au moment de leur rencontre, il jette sur ce passé un regard dont on ne sait si la froideur est signe d'indifférence ou de trop lourds regrets.
Le jeu de différentes instances narratives accentue cet effet de brouillage mémoriel et émotionnel. L'implication maximale que sous-entend le "je" de la première partie est émoussée par le ton aux nuances ironiques du récit. Un "vous" dont on ne sait s'il s'adresse au lecteur ou au narrateur lui-même, comme une sorte de dialogue argumentatif entre ce qu'il était et ce qu'il est, prend en charge la deuxième partie, narration de l'éloignement progressif et culpabilisant de Paul avec Susan. La troisième et dernière partie, enfin, se place sous le point de vue d'un narrateur anonyme pour raconter la fin de cette "seule histoire".
C'est, pour moi, cette construction élaborée qui est le coeur du roman et qui en constitue le véritable propos. Il ne s'agit donc pas seulement d'une histoire d'amour aux tristes développements, mais aussi d'un jeu sur la forme que peut en prendre la narration a-posteriori. Si bien que mon absence d'empathie pour les personnages me paraît en quelque sorte "voulue" par l'auteur, qui par un style mûrement travaillé déplace l'intérêt du lecteur : l'intrigue devient secondaire mais sa mise en mots et en forme est primordiale. Mais pour quoi ? Et c'est là que le bât me blesse (un peu, n'exagérons rien !) car les raisons de cette construction narrative me restent assez opaques. Réflexion sur le temps, sur l'écriture, sur la mémoire, sur le passage des générations ? Je ne sais pas. Peut-être un peu de tout cela ? Quoi qu'il en soit je garde de cette lecture un sentiment mitigé, un malaise indéfinissable. Comme si je n'étais pas parvenue à discerner le sensible derrière les masques de la littérature.
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