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Critique de mariecesttout


"Vous réunissez deux choses qui n'avaient encore jamais été mises ensemble. Et le monde est changé. Les gens ne le remarqueront peut être pas sur le moment, mais ça ne fait rien: le monde a quand même été changé."
Quand on «  réunit »,deux choses, ou deux personnes, quelquefois une fusion s'opère et c'est magique. C'est le bonheur.
Réunir l'aéronautique et la photographie, à l'époque de Nadar ,pseudonyme de Gaspard Félix Tournachon alliait mystère et magie .On connait la caricature de Daumier, intitulée" Nadar élevant la photographie à la hauteur de l'Art. " Après, dans ce «  péché d'élévation » quelquefois on a de la chance et on atterrit en Normandie comme Fred Burnaby , quelquefois on en a moins, c'est l'Essex. Ou la mort.

"Vous réunissez deux êtres qui n'ont encore jamais été mises ensemble; et parfois le monde est changé, parfois non. Ils peuvent s'écraser et brûler, ou brûler et s'écraser; mais parfois , quelque chose de nouveau est créé, et alors le monde est changé. Ensemble, dans cette première exaltation, ce premier sentiment grisant d'essor, ils sont plus grandis que leurs deux individualités séparées. Ensemble, ils voient plus loin et plus clairement."
Oui, mais la fusion ne se fait pas toujours. Prenez ce même Barnaby, amoureux fou de Sarah Bernhardt.. là, on peut dire que c'est la chute en piqué.. c'est "à hauteur de l'homme ", et on n'y plane pas toujours.

Toutes ces digressions, ces correspondances ( car il y en a entre tous les personnages des deux premiers chapitres), pour permettre au pudique Julian Barnes d'introduire le bouleversant troisième chapitre, "La perte de profondeur.":
"Vous réunissez deux êtres qui n'ont jamais été mis ensemble. Parfois, c'est comme cette première tentative d'associer un ballon à hydrogène et un ballon à air chaud: préfère-t-on s'écraser et brûler, ou brûler et s'écraser? Mais parfois cela marche, et quelque chose de nouveau est créé, et le monde est changé. Puis, à un moment ou un autre, pour telle ou telle raison, l'un des deux est emporté. Et ce qui est retiré est plus grand que la somme de ce qui était réuni. Ce n'est peut être pas mathématiquement possible, mais ça l'est en termes de sentiments et d'émotions. "

Ils ont vécu trente ans ensemble, il y a eu trente sept jours entre le diagnostic et la mort. Et le monde a changé.
C'est le deuil d'un être profondément aimé, c'est le deuil d'un couple. Avec la colère, le chagrin intense, l'envie de suicide,le manque et les autres.. Ah, les autres.. Et puis, au jour le jour , en la maintenant présente le plus possible, le plus longtemps possible. Et le temps qui estompe même les souvenirs :
"Ou, pour le dire autrement, les souvenirs de votre vie- votre vie d'avant- ressemblent à ce miracle ordinaire jadis observé par Fred Burnaby, le capitaine Colvile et Mr Lucy près de l'estuaire de la Tamise. Ils étaient au dessus des nuages, sous le soleil… le soleil projetait sur l'étendue cotonneuse de nuages au-dessous l'ombre de leur ballon: l'enveloppe, la nacelle et, nettement profilées, les silhouettes des trois aéronautes. Burnaby compara cette image à une «  photographie colossale ». Et ainsi en est-il de notre vie: si nette, si sûre, jusqu'à ce que, pour une raison ou une autre-le ballon s'éloigne, les nuagees se dispersent, l'angle du soleil change- l'image soit perdue à jamais, disponible seulement dans la mémoire et transformée en anecdote."

Et enfin, pas après pas, jour après jour , on s'élève et on retombe, et puis on accepte? :
"Ce n'est que l'univers faisant ce qu'il a à faire, et nous sommes ce à quoi la chose est faite. Et ainsi en est-il, peut-être du chagrin. On imagine qu'on a lutté contre lui, avec détermination, surmonté l'affliction, fait partir la rouille de notre âme, quand tout ce qui s'est passé, c'est que le chagrin s'est déplacé, a changé de point de mire. Nous n'avons pas fait venir les nuages en premier lieu, et n'avons pas le pouvoir de les disperser. Tout ce qui s'est passé, c'est que quelque part- ou de nulle part- une brise inattendue s'est levée, et nous sommes de nouveau en mouvement.Mais vers où sommes-nous emportés? Vers l'Essex? La mer du Nord? Ou, si ce vent est un noroît, alors , peut-être, avec de la chance, en France."

Julian Barnes, je vous souhaite la Normandie. Et le dîner de Mme Delanray.



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