AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Malaura


Dans l'esprit de Tony, la fille qui danse, prend les traits de Veronica, sa petite amie lorsqu'il était à l'université.
Un soir, dans sa chambre d'étudiant, elle s'était laissée aller à danser ; elle avait tournoyé au son de l'électrophone et il en avait conçu de la joie. Un contentement, comme une petite victoire de la sentir si proche, si pleine d'énergie, elle qui ne dansait jamais.
Veronica avait été son premier grand amour de jeunesse dans les années 1960. Ils s'étaient fréquentés pendant quelques mois, mais leur incompréhension mutuelle, leurs divergences de caractères, leur manque de confiance l'un envers l'autre avaient fini par avoir raison de cette relation dans laquelle Tony se sentait douloureusement manipulé, curieusement mal-à-l'aise devant l'assurance, l'intelligence et le niveau culturel et social de la jeune fille.
Paradoxalement, lorsqu'après leur séparation il avait appris que Veronica sortait désormais avec Adrian, l'un de ses meilleurs amis de lycée, il en avait été cruellement affecté, et dans un élan de haine puérile, mesquine et jalouse, il leur avait écrit une longue lettre pleine de fiel et de venin.
Peu après, Adrian s'était suicidé. Une démarche en accord avec la pensée philosophique et les principes idéologiques du jeune homme qui prônait la valeur du libre arbitre et « la supériorité de l'acte volontaire sur la passivité». du moins son geste semblait-il en adéquation avec ses raisonnements et ses théories…

Alors pourquoi Tony Webster, sexagénaire placide et réfléchi, menant une vie sans surprise dans un tranquille et morne confort, se laisse-t-il brusquement assaillir par ces vieux souvenirs remontant à ses lointaines années de jeunesse ? Pourquoi ce retour dans le passé le trouble-t-il autant, jusqu'à ressentir le besoin d'entreprendre un profond travail d'introspection, une complète remise à niveau des faits anciens ?

Le prélude à cette quête de la mémoire, le détonateur qui va mettre en branle le convoi du passé sur la courbe du temps, est une lettre notariale que Tony reçoit un beau matin et qui l'avise d'un surprenant héritage : avant de mourir, la mère de Veronica - une femme qu'il n'a vue qu'une seule fois dans sa vie quarante ans auparavant - l'a fait légataire du journal intime d'Adrian !
Dès lors, pour comprendre la raison qui a poussé cette quasi-inconnue à lui léguer ce document privé, Tony revient sur son passé, remonte le cours du temps, laisse affluer les images et les situations d'autrefois.
Mais ce qui n'est au départ que la réminiscence de simples souvenirs (les bons copains, la relation avortée avec Veronica, les aspirations, les déconvenues, les rêves et les désillusions de la jeunesse dans les années 1960…) devient bientôt l'inventaire de toute une vie et le constat nostalgique de sa banale étroitesse.
A cela viennent se greffer les remords et la culpabilité, un questionnement sur les erreurs commises et les répercussions des actions passées, une réflexion sur la mémoire, sur le temps, sur la responsabilité, et sur ce grand trouble qui envahit un être lorsqu'il rejoue le film de sa vie sans les retouches du montage.

C'est toujours un peu triste un homme qui se retourne sur son passé, surtout quand, rétrospectivement, ce passé ne correspond plus à la représentation qu'il s'en était faite. « Combien de fois racontons-nous notre propre histoire ? Combien de fois ajustons-nous, embellissons-nous, coupons-nous en douce ici ou là ? ».
Tony pensait avoir plus ou moins réussi sa vie, du moins avait-il vécu selon les critères d'un homme moyen, et puis… Et puis brusquement, il se rend compte que tout n'est finalement pas aussi parfait que ce qu'il a tenté de se le faire croire au fil des années. le tableau idyllique se fissure, les couleurs se délavent, l'idéal auquel l'on voulait être fidèle a pâli, circonscrit à l'arrière-plan en sfumato terni. Adieu la belle intégrité ! L'on se rend compte que l'on n'a toujours fait que transiger et que « ce qu'on appelait réalisme s'est révélé être une façon d'éviter les choses plutôt que de les affronter ».
La vie elle-même n'est peut-être rien d'autre que cela après tout, une longue et irrévocable capitulation.
La jeunesse revendique, l'âge adulte compose, la maturité pactise, la vieillesse capitule…

Beaucoup de très belles phrases qui portent, dans ce court roman en forme de bilan de vie récompensé par le Man Booker Prize 2011, beaucoup qui touchent, qui trouvent où se nicher dans le coeur et l'esprit. Nombreuses sont celles qui laissent un goût de nostalgie, une peur, un fugace mais prégnant sentiment d'impuissance. Des phrases directes, franches, effilées comme un sabre où l'émotion y est contenue, endiguée dans une délicate retenue et pourtant palpable et perceptible à chaque page, comme un dessin en filigrane, aréole discrète profondément incrustée dans les fibres de la narration.
Le ton un peu cynique, légèrement sarcastique, est de cette trempe d'ironie fine à laquelle l'on consent quand il n'est plus l'heure des détours, des petits arrangements et des louvoiements de l'esprit. Il est comme le reflet d'une vérité sans fard, sans les ornements dont Tony la parait naguère pour qu'elle colle à ses désirs.
Si le dénouement (et c'est dommage) nous laisse sceptique quant à sa justification, Julian Barnes illustre avec brio ce à quoi pourrait se résumer une existence lorsqu'elle approche de sa fin : une dernière image avant que la bobine ne saute, un dernier flash, celui d'une fille, qui danse
Commenter  J’apprécie          996



Ont apprécié cette critique (70)voir plus




{* *}