En cette année 1792, Maître Sébastien de Croissy louait dans l’hôtel de la rue de la Monnaie deux petites pièces qu’il avait converties en bureaux pour exercer sa profession. C’était un homme d’âge moyen dont les cheveux commençaient à grisonner ; son visage était beau, mais les soucis avaient creusé prématurément des sillons sur son front et aux commissures de ses lèvres, et son regard était empreint de mélancolie.
Quelques années plus tôt, Maître Sébastien de Croissy comptait parmi les membres les plus appréciés du barreau de Paris. Des hommes éminents, appartenant au monde des arts, de la littérature et de la politique venaient le consulter dans sa belle étude de la place Vendôme, et il avait pour clients jusqu’à des membres de la famille royale. Riche, bien né, de belle prestance, le jeune avocat avait été accueilli partout avec faveur, et son mariage avec Louise de Vendeleur, fille unique du général de Vendeleur, avait été un événement mondain. Le duc d’Ayen le traitait en ami, et la duchesse avait voulu être la marraine du petit Jean-Pierre que Louise avait mis au monde quelques mois avant la réunion des États Généraux. Puis la Révolution était venue, et avait privé de ses ressources cet homme jusqu’alors favorisé par la fortune. Beaucoup de ses meilleurs clients avaient émigré, et ceux qui restaient, appauvris et peu soucieux d’attirer sur eux l’attention, n’étaient pas tentés de se lancer dans des procès coûteux. D’autre part, il avait vu le revenu de son patrimoine fondre et se réduire à rien, tant pour les impôts écrasants qui frappaient son domaine du Dauphiné que par la malhonnêteté de ses fermiers qui, assurés de l’impunité, avaient cessé de payer leurs redevances.