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Guy Dupré (Préfacier, etc.)
EAN : 9782268052496
290 pages
Les Editions du Rocher (21/04/2005)
3.34/5   44 notes
Résumé :
" Il est des lieux où souffle l'esprit... Il est des lieux qui tirent l'âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l'émotion religieuse... La Lorraine possède un de ces lieux inspirés. " C'est à Sion-Vaudémont, qu'à la fin du XIXe siècle trois prêtres, les frères Baillard, fondèrent une mission pour insuffler une vie spirituelle nouvelle. Propageant la foi, relevant de leurs ruines chapelles et monastè... >Voir plus
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« Il est des lieux où souffle l'esprit… Combien de fois, au hasard d'une heureuse et profonde journée, n'avons-nous pas rencontré la lisière d'un bois, un sommet, une source, une simple prairie, qui nous commandait de faire taire nos pensées et d'écouter plus profond que notre coeur ! Silence ! les Dieux sont ici. »
Pour Maurice Barrès, la colline de Sion est un de ces lieux qui soulève l'âme. Il raconte l'histoire vraie des frères Baillard, trois prêtres, qui ont entrepris de réhabiliter un pèlerinage dédié à la vierge qui se passait depuis des temps immémoriaux sur cette colline mythique. Leur rencontre avec le prêtre excommunié Vintras, hérésiarque et prophète illuminé, fait de Notre Dame de Sion un bastion de l'hérésie «Vintrasiène», et met les trois frères au ban de la religion catholique. Disons-le honnêtement : l'affreux mécréant que je suis n'a pas tout capté. Les angoisses existentielles des trois frères, les charlataneries de Vintras, les papillonnements et autres tressaillements des bonnes soeurs m'ont franchement laissé de marbre.
Mais il y a une chose qui m'a retenu dans ce livre : la manière dont Maurice Barrès décrit les paysages de sa Loraine natale, dont il parle de ses racines, de sa terre, des arbres et du vent. C'est sublime ! C'est flamboyant !
Arrivé poussivement au milieu de ce fichu livre, je me suis juré que si je parvenais à l'achever, j'irai faire un pèlerinage à la colline de Sion. Il ne me reste plus qu'à m'exécuter…
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Que reste-t-il aujourd'hui de Maurice Barrès, de son oeuvre abondante, de son engagement politique (à l'extrême droite la plus cocardière), de la vénération qui l'a entouré ? Bien peu de choses, en fait : quelques pages dans les encyclopédies, un chapitre du Lagarde & Michard. Guère plus.
Pourtant, il a été un temps adulé par toute une génération de jeunes gens, dont certains se sont fait un nom, tels Malraux, Yourcenar ou Bernanos et, quand il meurt, en 1923, l'État n'hésite pas à lui organiser, comme à Victor Hugo, des obsèques nationales...
Il est vrai qu'en ouvrant « La colline inspirée », son livre le plus connu, on est frappé par l'écart qui existe entre cette esthétique et celle de certains de ses jeunes contemporains : le livre est publié en 1913, la même année que « Du côté de Chez Swann », « Alcools » ou « La prose du Transsibérien ». Entre ces livres fondateurs de la modernité et le roman de Barrès, la comparaison est écrasante : loin des audaces de ses cadets, c'est plutôt du côté De Chateaubriand et d'un certain romantisme incantatoire et suranné, que lorgne l'écrivain national.
Il n'empêche que, même pour un lecteur d'aujourd'hui, le roman de Barrès ne manque pas d'intérêt. Centré sur un « lieu de mémoire » lorrain, la colline de Sion-Vaudémont, où les Celtes vénéraient Wotan et Rosmerta, et où la religion catholique a imposé le culte de la Vierge, « La colline inspirée » raconte le destin véridique de trois prêtres, les frères Baillard, bien décidés à en découdre avec le rationalisme façon Lumières. Ils restaurent le vieux sanctuaire, y organisent des pèlerinages, raniment la ferveur populaire… jusqu'au jour où ils croisent le chemin de Vintras, un illuminé comme il y en avait tant dans la seconde moitié du XIXè siècle : « … on ne rêvait que miracles et prophéties, raconte Barrès ; plusieurs voyants annoncèrent le règne de l'Antéchrist et la fin du monde ; d'autres, au contraire, le triomphe définitif du grand Roi et du grand Pape... »
Vintras est des premiers, qui prédit l'« année noire », la disparition d'une grande partie de l'humanité, sa régénération grâce aux prières d'une poignée d'élus… Pour les malheureux Baillard commence alors une longue descente aux enfers, qui va faire d'eux des parias : rejetés par leur hiérarchie et leurs paroissiens, puis excommuniés, ils sont bientôt réduits à prêcher dans le désert.
Au-delà de cette histoire, qui interroge les racines du sentiment religieux (cette soif d'irrationnel et de merveilleux qui forme le substrat de la ferveur populaire), ce que met en scène le roman de Barrès c'est la revendication d'un culte et d'une culture autochtones face à un dogme venu de Rome. Pour les lecteurs de 1913, cette opposition entre Gaulois et envahisseurs romains sonne bien sûr comme un vigoureux coup de clairon, alors qu'une partie de la Lorraine est encore occupée par une puissance étrangère...
Ce qui personnellement m'a le plus intéressé, ce sont moins ces débats d'un autre âge (et vaguement nauséabonds, disons-le) que la plongée quasi documentaire qu'offre ce roman dans la France de la seconde moitié du XIXè siècle ; une France villageoise, groupée autour de l'église et du curé (mais où le sorcier a encore son mot à dire), et vivant au rythme lent des attelages et des saisons.
Une curiosité, baignée par la lumière sépia des très anciennes photographies.
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« La colline inspirée ». Ce roman, publié en 1913 décrit l'affrontement de deux mouvements religieux : le courant illuminé des "vintrasiens" et le courant plus traditionnel des fidèles à Rome. le premier, tenant sa raison d'être de la colline de Sion en terre lorraine, symbolise la liberté ainsi que la fidélité aux "racines". le second, tenant sa raison d'être de Rome et de l'évêque de Nancy, symbolise l'ordre et la soumission à l'autorité.

Malgré la folie dans laquelle tombe Léopold et malgré la victoire de l'Église par sa rétractation, Maurice Barrès refuse de trancher entre l'ordre et la liberté. Il donnera son sentiment dans les dernières lignes en rappelant l'opposition entre la chapelle (l'ordre) et la prairie (l'enthousiasme) en montrant combien elles nous sont indispensables toutes deux.

Un remarquable ouvrage, reconnu plus tard comme un ouvrage majeur par son intégration dans la « liste des meilleurs romans du demi siècle » ; néanmoins à conseiller aux amateurs de belle prose académique début XX ème...

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Désigné en 1950 comme l'un des 12 lauréats du « grand prix des Meilleurs romans du demi-siècle », La colline inspirée de Maurice Barrès est tombé de nos jours dans l'oubli, en témoigne l'impossibilité de trouver une édition neuve. Cela est bien dommage. Qualifié de « bouleversant » par Marguerite Yourcenar, le roman s'inspire de l'histoire réelle de trois religieux, les frères Baillard, qui se sont évertués à mettre en valeur la colline de Sion-Vaudémont, en Lorraine, avant d'être excommuniés de l'Eglise. C'est surtout un roman très poétique, où transparaît l'amour de Barrès pour la Lorraine mais aussi son attachement au christianisme.

"Une volonté a marqué ici la terre ; un cachet s'est enfoncé dans la cire."

Maurice Barrès a été l'un des écrivains majeurs de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle. Figure de la droite traditionnaliste, anti-dreyfusard, il fut même député boulangiste et a participé à la tentative de coup d'Etat de Déroulède en 1899. Dans la préface rédigée par Marie-Pierre Blancquart dans la présente édition, il est rappelé que le nationalisme et l'antisémitisme sont certes deux aspects de Barrès, mais pas les seuls ; c'est un romantique, un enraciné. Les thèmes développés dans La colline inspirée le corroborent.

Avant de parler du livre, arrêtons-nous aussi sur cette colline de Sion-Vaudémont qui, située à environ 30 km au sud de Nacy, offre un joli point de vue sur le plateau lorrain environnant. Considéré comme l'un des lieux du tourisme lorrain, doté depuis le 17ème siècle d'un pélerinage marial, la colline inspire à Maurice Barrès un grand nombre de très jolis passages du livre, à l'image de celui-ci :

"L'horizon qui cerne cette plaine, c'est celui qui cerne toute vie ; il donne une place d'honneur à notre soif d'infini, en même temps qu'il nous rappelle nos limites."

C'est justement cette citation que l'on peut dire sur l'un des quatre côtés de base du monument à Barrès, érigé en 1928 sur la Colline de Sion. Et à la lecture du roman, on se dit que la façon dont l'écrivain célèbre ce lieu méritait en effet que son souvenir y soit inscrit.

"Il est des lieux qui tirent l'âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l'émotion religieuse. (…) Illustres ou inconnus, oubliés ou à naître, de tels lieux nous entraînent, nous font admettre insensiblement un ordre de faits supérieurs à ceux où tourne à l'ordinaire notre vie. (…) Il y a des lieux où souffle l'esprit. (…) La Lorraine possède un de ces lieux inspirés. C'est la colline de Sion-Vaudémont, faible éminence sur une terre la plus usée de France, sorte d'autel dressé au milieu du plateau qui va des falaises champenoises jusqu'à la chaîne des Vosges."

Le passage ci-dessus (dont le célèbre « il y a des lieux où souffle l'esprit ») est extrait du début du livre et nous emmène donc sur la colline de Sion, dont le pélerinage était tombé en désuétude depuis la Révolution française et que trois prêtres (les frères Baillard : Léopold, François et Quirin) vont rétablir. C'est donc une histoire vraie qui est à la base du roman, mais une histoire que Barrès va magnifier par sa plume :

"Voici ce livre, tel qu'il est sorti d'une infinie méditation au grand air, en toute liberté, d'une complète soumission aux influences de la colline sainte, et puis d'une étude méthodique des documents les plus rebutants. (…) J'ai surpris la poésie au moment où elle s'élève comme une brume des terres solides du réel."

Les frères Baillard restaurent des bâtiments d'Eglise, réimplantent des religieux dans les environs de, et sur la colline ; prenant certaines libertés dans leur action, ils sont rattrapés par leur hiérarchie et « leur entreprise » fait faillite en 1848. A l'occasion d'une retraite religieuse imposée par l'évêque, Léopold entend parler de la doctrine de Vintras, l'Oeuvre de la Miséricorde, et part le rejoindre en Normandie, avant de développer ce culte à Sion. Prophète, escroc, hérétique ? Quoi qu'il en soit, les frères Baillard finissent par être excommuniés par l'Église, et doivent s'exiler.

Si l'on analyse froidement cette affaire, on se dit que c'est l'histoire d'une hérésie et que les frères Baillard étaient, à l'image de Vintras et ses hosties ensanglantées, des illuminés. Il n'en est rien : que ce soit dans leur ascension et dans leur superbe d'avant 1848, dans leur pratique « vintrasienne », ou plus encore dans la chute qui les entraîne dans le dénuement, on ne peut que s'attacher qu'à Léopold, à sa sincérité. C'est le mérite de l'écriture de Barrès de générer cette empathie et cette émotion ; il sublime le personnage, d'autant plus en comparaison un ordre religieux « froid » ou vengeur, ou des habitants médiocres qui conspuent les Baillard. Voici également la façon dont il décrit les dernières années du prêtre, âgé alors de plus de 80 ans :

"Ces interminables divagations mortuaires où le vieux pontife s'égarait, plus fréquentes à mesure qu'il cédait à l'assoupissement du grand âge, qui pourrait nous en donner la clef ? Il y laisse abîmer sa raison. Il ne fournit plus rien au monde et n'accueille plus rien du monde, sinon le souffle des tempêtes dans sa cime. Par son seul tronc, il fait encore l'effet le plus imposant, mais il a passé la saison des feuilles. Les tempêtes l'ont ébranché ; nul oiseau, même d'hiver, ne vient se reposer sur lui, et la seule touffe verdoyante qu'il tende vers le ciel, c'est, comme un bouquet de gui parasitaire, la pensée vintrasienne. Dans cette intelligence entourée de brumes, quelques souvenirs, toujours les mêmes, passent à de longs intervalles, rappelant ces vols de buses qui, sous un ciel neigeux, s'élèvent des taillis de la côte, y reviennent, en repartent, obéissent à quelque rythme indiscernable."

Enfin, on perçoit l'attachement de Barrès au christianisme ; pas uniquement à celui de l'ordre représenté par l'évêque, mais à une synthèse entre l'enthousiasme de liberté religieuse (dans ce cas, Léopold) la hiérarchie de l'Eglise :

"Qu'est-ce qu'un enthousiasme qui demeure une fantaisie individuelle ? Qu'est-ce qu'un ordre qu'aucun enthousiasme ne vient plus animer ?"

Ce fut pour moi une très belle lecture, de celle qui laisse une trace. Je vous invite donc à vous plonger sans plus attendre dans ce livre et à profiter d'un voyage en Lorraine pour aller humer l'esprit qui anime la colline de Sion !
Lien : https://evabouquine.wordpres..
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« Il est des lieux qui tirent l'âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l'émotion religieuse. »
Lorsqu'un roman commence comme ceci, on se dit, sans trop s'avancer, qu'il est plein de promesses…Promesses tenues.
Qu'est-ce que cette colline mystique, si convoitée par les hommes de foi depuis la nuit des temps, sinon un symbole de l'élévation vers Dieu, peu importent les chemins de traverse parcourus pour y accéder ?
La Colline inspirée, c'est effectivement une affaire de ferveur religieuse qui conduit un homme de Dieu – Léopold Baillard – à rétablir la grandeur de cette colline abandonnée, s'aidant pour ce faire de méthodes peu orthodoxes qui ne plaisent pas à la hiérarchie ecclésiastique. Il se fourvoiera même dans un illuminisme inspiré par un certain Vintras, mais pour autant ne trichera jamais avec sa ferveur mystique, accompagné de fidèles qui se réduiront comme peau de chagrin. Grandeur et décadence seront le lot de Léopold qui, à la toute fin, déposera les armes face à l'Église officielle...en apparence sûrement.
Un destin qui pose une question cruciale : la foi précède-t-elle le dogme ou ce dernier est-il la condition sine qua non pour y accéder ?
Dans un style limpide, entrecoupé d'envolées lyriques savoureuses pour qui aime lire du texte à défaut de le consommer, l'auteur narre donc cette illumination, dans une atmosphère sombre et inquiète car : « Il y a des sujets qui sont des gouffres », confiait l'auteur.
Bien entendu, il se trouvera toujours de vertueux détracteurs de Maurice Barrès, mus par un goût immodéré de la chasse aux sorcières et oubliant qu'il arrive parfois qu'une oeuvre ne vaille que pour elle-même et pas ce que pense son auteur. Un peu de structuralisme ne fait parfois pas de mal. Barrès était-il un extrémiste ? Je me garderai, pour ma part, de répondre à cette question simpliste à seule fin de satisfaire la nouvelle morale. Pour autant il savait manier superbement la langue français et s'en priver, au motif que ses opinions ne correspondent pas aux canons d'une élite bien-pensante, relève du ridicule achevé !

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Citations et extraits (33) Voir plus Ajouter une citation
Soudain, il sentit quelque chose entrer dans sa chambre et s'arrêter auprès de son lit. Une sueur d'effroi couvrit tout son corps, mais il ne pensa pas à lutter, ni à appeler. Ce qu'il sentait là, près de lui, vivant et se mouvant, c'était abstrait comme une idée et réel comme une personne. Il ne percevait cette chose par aucun de ses sens, et pourtant il en avait une communication affreusement pénible. Les yeux fermés, sans un mouvement, il ressentait un déchirement douloureux et très étendu dans tout son corps, et surtout dans la poitrine. Mais plus encore qu'une douleur, c'était une horreur, quelque chose d'inexprimable, mais dont il avait une perception directe, une connaissance aussi certaine que d'une créature de chair et d'os. Et le plus odieux, c'est que cette chose, il ne pouvait la fixer nulle part. Elle ne restait jamais en place, ou plutôt elle était partout à la fois, et s'il croyait par moment la tenir sous son regard, dans quelque coin de la chambre, elle se dérobait aussitôt pour apparaître à l'autre bout.
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Les appels d'un enfant ou d'un coq apportés de la plaine par le vent, le vol plané d'un épervier, le tintement d'un marteau qui là-bas redresse une faucille, le bruissement de l'air animent seuls cette immensité de silence et de douceur. Ce sont de paisibles journées faites pour endormir les plus dures blessures. Cet horizon où les formes ont peu de diversité nous ramène sur nous-mêmes en nous rattachant à la suite de nos ancêtres. Les souvenirs d'un illustre passé, les grandes couleurs fortes et simples du paysage, ses routes qui s'enfuient composent une mélodie qui nous remplit d'une longue émotion mystique. Notre cœur périssable, notre imagination si mouvante s'attachent à ce coteau d'éternité. Nos sentiments y rejoignent ceux de nos prédécesseurs, s'en accroissent et croient y trouver une sorte de perpétuité.
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Connaissez-vous la rude allégresse de gravir les pentes de la colline par une courte après-midi glaciale de l’hiver ? Il semble que vous remontiez dans les parties les plus reculées de l’histoire. Le ciel est couvert d’épais nuages qui naviguent et sous lesquels des troupes de corneilles, par centaines, voltigent, allant des sillons de la plaine jusqu’aux peupliers des routes, ou bien s’élevant à une grande hauteur pour venir tomber d’un mouvement rapide, au milieu des arbres qui forment, sur le sommet, le petit bois de Plaimont. Par intervalles, un vent glacé balaye la colline en formant des tourbillons d’une force irrésistible, et il semble que tous les esprits de l’air se donnent rendez-vous là-haut, assurés d’y trouver la plus entière solitude. C’est un royaume tout aérien, étincelant, agité, où la terre ne compte plus, livré aux seules influences inhumaines du froid. de la neige et des rafales.
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On voudrait s’arrêter ; on se dit que personne ne vit d’un mensonge, qu’il y a là sans doute une réalité à demi recouverte, un terrain de tourbe oit jadis un beau lac reflétait le ciel. On s’attarde auprès de cette vase, on rêve de saisir ce qui peut subsister d’un verbe dans les bégaiements de Vintras. Ah ! si nous pouvions pénétrer en lui jusqu’à ces asiles de l’âme que rien ne trouble, où repose sans mélange, encore préservé des contacts de l’air et des compromis du siècle, ce que notre nature produit d’elle-même avec abondance !

Lui, il se tient pour une énergie primitive. À l’en croire, il a retrouvé ce qu’Adam et Ève possédaient avant la chute : l’intelligence de toute la Création, les relations spirituelles avec les Mondes, les communications sensibles avec Dieu. Toute cette insanité ne laisse pas de parler à certaines parties de notre imagination. Mais quelle maladresse d’invoquer ici les figures d’Adam et d’Eve, et de nous rappeler la minute glorieuse où les premiers des hommes s’agenouillèrent devant le jour naissant ! Ce lever du soleil sur la jeunesse du monde, à l’heure où nos premiers parents rendaient grâce au Créateur, c’est le triomphe de la lumière et la fête de l’ordre, au lieu que la tare de Vintras, c’est d’être redescendu au chaos. L’atmosphère qu’il laisse derrière lui à Sion n’est pas saine ni féconde. On y sent le renfermé, la migraine, la prison, le triste cénacle où se pressent des demi-intelligences. Vintras exprime des thèmes qui ont usé leur vie, dépassé la première mort, accompli leur dissolution. Loin d’être une aube, une aurore, c’est le souvenir d’un triste chant de crépuscule.

L’univers est perçu par Vintras d’une manière qu’il n’a pas inventée, et qui jadis était celle du plus grand nombre des hommes. Il appartient à une espèce quasi disparue, dont il reste pourtant quelques survivants. Quelle n’est pas leur ivresse ! Vintras est allé jusqu’à cette mélodie qu’ils soupçonnaient, dont ils avaient besoin. Il l’a reconnue, saisie, délivrée. Elle s’élève dans les airs. Ils palpitent, croient sortir d’un long sommeil, accourent. Vintras exprime l’ineffable. Ses vibrations éveillent chez eux le sens du supranaturel. Il renverse, nie les obstacles élevés contre l’instinct des âmes et le mouvement spontané de l’esprit. Il fournit à ses fidèles le chant libérateur. (pp. 207-209)
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Combien de fois, au hasard d'une heureuse et profonde journée, n'avons-nous pas rencontré la lisière d'un bois, un sommet, une source, une simple prairie, qui nous commandaient de faire taire nos pensées et d'écouter plus profond que notre coeur!
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Vidéo de Maurice Barrès
Enseignement 2016-2017 : de la littérature comme sport de combat Titre : Introduction
Chaire du professeur Antoine Compagnon : Littérature française moderne et contemporaine : histoire, critique, théorie (2005-2020)
Cours du 3 janvier 2017.
Retrouvez les vidéos de ses enseignements : https://www.college-de-france.fr/site/antoine-compagnon
Le cours de cette année répond à celui de 2014 qui portait sur la « guerre littéraire » de 1914-1918, c'est-à-dire sur l'inscription de la réalité de la guerre dans les oeuvres, et sur les différentes postures, souvent paradoxalement pacifiques, que l'expérience de la guerre a prescrites aux écrivains. Il s'agira cette année au contraire d'envisager la production littéraire comme lieu d'une conflictualité sui generis, tantôt sur le mode d'une détermination au combat d'idées, tantôt sur le mode d'une compétition pour la survie au sein de ce que Pierre Bourdieu, dans Les Règles de l'art, a décrit comme le « champ » littéraire. Il s'agit aussi de faire un sort à une figure rencontrée dans le cours de 2016 : celle du crochet de l'écrivain chiffonnier, mise en place par Baudelaire, et qui pouvait toujours se retourner en arme. À partir de Baudelaire et en remontant dans la modernité littéraire, on découvre une généalogie d'images : la plume-épée des Dialogues et entretiens philosophiques De Voltaire, ou la plume de fer par laquelle, bien avant l'apparition de l'objet industriel lui-même, Ronsard décrit son ambition de défense d'une France royale et catholique, dans la Continuation du Discours des misères de ce temps (1563).
La création littéraire se définit régulièrement par comparaison avec les sports de combat, et même plus généralement avec le sport, en tant que le sport a rapport au combat, c'est-à-dire à la compétition. Il y a, chez elle aussi, des championnats, des prix, la possibilité d'un dopage. Tout jeune écrivain, avertit Fontenelle, doit se préparer à entrer en lice ; Maurice Barrès lui-même, qui s'est beaucoup tenu à distance des accidents de la camaraderie littéraire, a l'impression de rejoindre un « match professionnel » au moment de rendre compte de son exploration de l'Égypte. Tous les grands écrivains du XIXe siècle, à peu d'exceptions près, se sont battus en duel, comme si ce moment de duel révélait la valeur agonistique latente de la littérature. La littérature, plutôt ou autant qu'au loisir (otium), n'aurait-elle pas rapport au negotium, au remue-ménage ? La pacification, la consolation comptent parmi ses opérations possibles, mais leur inverse paraît une tendance constitutive de la création et de l'existence littéraire.
L'abbé Irail, dans ses Querelles littéraires (1761), s'intéressait à la figure d'Archiloque, tout à la fois premier poète lyrique et premier poète satirique, qui fait de la poésie avec sa colère et son désir de vengeance. le génie et la querelle sont liés : il n'y a pas eu de siècle de grand talent, observe-t-il, qui ne fût un siècle de grande agitation et de grande jalousie entre les écrivains. Comme dans la théorie économique de Bernard Mandeville, il semble que, dans les arts, les vices privés servent le bien général et que le florissement d'une culture repose sur la querelle permanente de ses représentants.
Notre rapport à la littérature reconnaît implicitement une telle dimension pugilistique, proprement romantique ; c'est la règle du winner takes all. Pierre Bourdieu et Harold Bloom ont été les théoriciens de cette difficulté de survivre en littérature, et de cette dynamique réelle de la littérature, bien différente d'un glissement naturel d'âges, qui fait se heurter d'une part les gloires littéraires acquises, pour qui l'urgence est de durer, d'autre part les aspirants à la gloire, qui savent qu'ils n'acquerront le droit de durer qu'en rejetant leurs prédécesseurs dans le passé.
Sportifs, escrimeurs, prisonniers : ce sont plusieurs figures, au sens de Roland Barthes, de cette agonistique motrice de la vie littéraire entre la Restauration et le Second Empire, qui seront envisagées tout au long du cours.
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