Un récit très mystique, orné d'une langue où l'onirisme est porté au pinacle, peut-être presque parfois à l'excès...
Néanmoins la maîtrise exceptionnelle du verbe retentit régulièrement et ravit le lecteur.
Bérénice est pour Philippe, le narrateur, une sorte de muse, une nymphe cotoneuse, figure floue mêlant sensualité et naïveté, spontanéité et grâce.
Dans ses excès, sa radicalité intellectuelle, son amour sans limite de la contemplation, et surtout sa tendance à concentrer toute son attention sur des détails intellectuels qui semblent dérisoires aux yeux des autres personnages, Philippe est un personnage très baroque et extrêmement attachant. La plus simple pensée chez lui est sujette à la passion, à l'emportement, à l'excitation intellectuelle qui pousse à adopter des discours très emphatiques et parfois totalement disproportionnés. Il y a une grande noblesse dans cette figure si romantique, exaltée, fougueuse, éperdue.
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Les modernes esprit moqueurs pourront se moquer du style jugé précieux et emphatique, et du fond mystique, mais les âmes restées sensibles ne pourront qu'être transportées par ce court récit splendide!
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Développement d'une formidable sensibilité, je suis transi à travers ma lecture par les émotions de Bérénice comme si je les avais ressenti moi-même.
L'auteur crée subtilement un attachement envers ses personnages, se crée une mystique par laquelle il les enveloppes.
Je me trouve moi aussi irrémédiablement attiré par degrés insensibles vers les forces d'une source de vie qu'entretient l'auteur par ce magnifique ouvrage.
Je recommande vivement,
Clément
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Très beau, très emphatique et parfois un peu trop chargé en prosélytisme religieux. Mais quelle beauté de la langue !
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Les hommes réunis par une passion commune créent une âme, mais aucun d'eux n'est une partie de cette âme. Chacun la possède en soi, mais ne se la connaît même pas. C'est seulement dans l'atmosphère d'une grande réunion, au contact de passions qui fortifient la sienne, que, s'oubliant lui et ses petites réflexions, il permet à son inconscient de se développer. De la somme de ces inconscients naît l'âme populaire. Pour la créer, seuls valent les ouvriers, des gens du peuple, plus spontanés, moins liés de petits intérêts que des esprits réfléchis. Elle est analogue à chacun de ceux qui la composent, et n'est identique à aucun. Elle dépasse tout individu en énergie, en sagesse, en sens vital. Ce qu'elle décide spontanément, ce sont les conditions nécessaires de la vie.
Or, un jour, à Nîmes, deux mois après ses gros chagrins, Bérénice, toujours pâlie de douleur, étant montée dans un tramway, se trouve assise en face d’une personne âgée, qu’à la couleur de ses yeux, à la douceur de la bouche, à mille traits qui l’émurent, elle n’hésite pas à reconnaître pour la grand’mère de M. de Transe. Sans nul doute, François avait montré à sa vieille confidente un des chers portraits qu’il portait toujours sur lui, car Bérénice vit bien qu’elle-même était reconnue. Les deux femmes ne se parlèrent point, mais, me disait Bérénice, la vieille dame baissait les paupières pour que je pusse la regarder tout à mon aise, et c’était la figure même de M. de Transe que je revoyais ; puis moi-même je détournais mon regard pour qu’elle me fixât sans gêne. Ainsi nous fîmes jusqu’au bout de notre chemin, et j’ai bien vu qu’en descendant elle avait les yeux pleins de larmes.
J’admirais la tendre imagination de ma Bérénice et tout ce qu’elle prêtait de délicatesse à sa chétive tragédie.
Sur ce plat désert de mélancolie où règnent les ibis rosés et les fièvres paludéennes, parmi ces duretés et ces sublimités prévues par mon imagination, la belle petite fille vers qui j'allais m'excitait infiniment.
Dans ses éléments en effet la philosophie nous enseigne que ni vous ni moi ne sommes la vérité complète, et nous engage ainsi à une grande modestie l'un envers l'autre. Mais poursuivons le raisonnement des maîtres : "Personne, disent-ils, n'est la vérité complète, tous nous en sommes des aspects." Donc, si l'un de nous n'existait pas, un des aspects de la vérité manquant, la vérité complète ne serait plus concevable. Ainsi faut-il que je satisfasse à toutes les conditions de mon individualisme, parmi lesquelles une des plus impérieuses est que je vous nie.
Pour moi, dès mes premières réflexions d'enfant, j'ai redouté les barbares qui me reprochaient d'être différent ; j'avais le culte de ce qui est en moi d'éternel, et cela m'amena à me faire une méthode pour jouir de mille parcelles de mon idéal. C'était me donner mille âmes successives ; pour qu'une naisse, il faut qu'une autre meure ; je souffre de cet éparpillement. Dans cette succession d'imperfections, j'aspire à me reposer de moi-même dans une abondante unité. Ne pourrais-je réunir tous ces sons discords pour en faire une large harmonie ?
Enseignement 2016-2017 : de la littérature comme sport de combat
Titre : Introduction
Chaire du professeur Antoine Compagnon : Littérature française moderne et contemporaine : histoire, critique, théorie (2005-2020)
Cours du 3 janvier 2017.
Retrouvez les vidéos de ses enseignements :
https://www.college-de-france.fr/site/antoine-compagnon
Le cours de cette année répond à celui de 2014 qui portait sur la « guerre littéraire » de 1914-1918, c'est-à-dire sur l'inscription de la réalité de la guerre dans les oeuvres, et sur les différentes postures, souvent paradoxalement pacifiques, que l'expérience de la guerre a prescrites aux écrivains. Il s'agira cette année au contraire d'envisager la production littéraire comme lieu d'une conflictualité sui generis, tantôt sur le mode d'une détermination au combat d'idées, tantôt sur le mode d'une compétition pour la survie au sein de ce que Pierre Bourdieu, dans Les Règles de l'art, a décrit comme le « champ » littéraire. Il s'agit aussi de faire un sort à une figure rencontrée dans le cours de 2016 : celle du crochet de l'écrivain chiffonnier, mise en place par Baudelaire, et qui pouvait toujours se retourner en arme. À partir de Baudelaire et en remontant dans la modernité littéraire, on découvre une généalogie d'images : la plume-épée des Dialogues et entretiens philosophiques De Voltaire, ou la plume de fer par laquelle, bien avant l'apparition de l'objet industriel lui-même, Ronsard décrit son ambition de défense d'une France royale et catholique, dans la Continuation du Discours des misères de ce temps (1563).
La création littéraire se définit régulièrement par comparaison avec les sports de combat, et même plus généralement avec le sport, en tant que le sport a rapport au combat, c'est-à-dire à la compétition. Il y a, chez elle aussi, des championnats, des prix, la possibilité d'un dopage. Tout jeune écrivain, avertit Fontenelle, doit se préparer à entrer en lice ; Maurice Barrès lui-même, qui s'est beaucoup tenu à distance des accidents de la camaraderie littéraire, a l'impression de rejoindre un « match professionnel » au moment de rendre compte de son exploration de l'Égypte. Tous les grands écrivains du XIXe siècle, à peu d'exceptions près, se sont battus en duel, comme si ce moment de duel révélait la valeur agonistique latente de la littérature. La littérature, plutôt ou autant qu'au loisir (otium), n'aurait-elle pas rapport au negotium, au remue-ménage ? La pacification, la consolation comptent parmi ses opérations possibles, mais leur inverse paraît une tendance constitutive de la création et de l'existence littéraire.
L'abbé Irail, dans ses Querelles littéraires (1761), s'intéressait à la figure d'Archiloque, tout à la fois premier poète lyrique et premier poète satirique, qui fait de la poésie avec sa colère et son désir de vengeance. le génie et la querelle sont liés : il n'y a pas eu de siècle de grand talent, observe-t-il, qui ne fût un siècle de grande agitation et de grande jalousie entre les écrivains. Comme dans la théorie économique de Bernard Mandeville, il semble que, dans les arts, les vices privés servent le bien général et que le florissement d'une culture repose sur la querelle permanente de ses représentants.
Notre rapport à la littérature reconnaît implicitement une telle dimension pugilistique, proprement romantique ; c'est la règle du winner takes all. Pierre Bourdieu et Harold Bloom ont été les théoriciens de cette difficulté de survivre en littérature, et de cette dynamique réelle de la littérature, bien différente d'un glissement naturel d'âges, qui fait se heurter d'une part les gloires littéraires acquises, pour qui l'urgence est de durer, d'autre part les aspirants à la gloire, qui savent qu'ils n'acquerront le droit de durer qu'en rejetant leurs prédécesseurs dans le passé.
Sportifs, escrimeurs, prisonniers : ce sont plusieurs figures, au sens de Roland Barthes, de cette agonistique motrice de la vie littéraire entre la Restauration et le Second Empire, qui seront envisagées tout au long du cours.
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