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Critique de ninachevalier


Franz Bartelt reste ancré dans ses Ardennes et continue d'explorer des coins paumés. C'est à Puffigny que vient s'installer son écrivain Julius Dump avec l'objectif d'écrire un roman. Il pense y trouver l'isolement, l'ascèse, la concentration afin d'exhumer les archives /reliques remises par son oncle, avant sa mort. Documents censés le renseigner sur le passé (peu glorieux) de son père qu'il n'a pas connu.

La maison du canal qu'il a louée revêt un aspect kitsch : façade mauve et giclées de roses trémières, qui contraste avec le jaune citron de la Cadillac héritée de son oncle.


Ce village, sorti de l'imagination de l'auteur, « tellement perdu au fond de la France déshéritée que les cartographes n'ont jamais vraiment pu le situer avec exactitude », est toutefois fréquenté par une pléiade de personnages, « farfelus », aux noms tout aussi cocasses. Une population qui, plus est, a « le mensonge dans le sang ». On croise entre autres :Mme Bitrose, la reine du macramé, qui, tel l'artiste Christo, en « emballerait le Sacré-Coeur, l'Obélisque  ! Roguerse le boulimique de saucisses («il en aurait cuit du matin au soir ») ; Madame Labosse, une possédée, promenant un landau vide ou pas ; Polnabébé qui entretient une relation fusionnelle avec sa mobylette ; un couple de rockeurs nostalgique de leur époque ; Carmen Gromard femme pimpante, généreuse, connue pour prodiguer des soins particuliers à ses clients concupiscents dont pépé Guimauve et M. Lambortin ; Zerma, « femme à fringales sexuelles » ; Eddy Lambortin, collectionneur atypique...


Les aficionados de Franz Bartelt auront noté son allusion récurrente à Larcheville, anagramme de Charleville d'où sont originaires l'institutrice Mlle Lamotte, le juge Maurois.

Tout se meurt dans ces contrées, la gare a été rasée mais son bistrot, tenu par Gromard, résiste. Il devient le centre névralgique où les rumeurs circulent, « un lieu de passage, une salle de réunion, on y stationne pendant des heures », on vient « se sécher une mousse ». On y sert de la bière de prestige, de caractère.
« Un bon bistrot vaut tous les cabinets médicaux du monde », c'est pourquoi l'unijambiste Legrand vide quotidiennement ses pintes pour y puiser une once de courage avant d'aller prier et parler à sa jambe perdue, au cimetière. Roguerse, dont la femme vient de « se barrer », noie son chagrin.Polnabébé, victime d'une agression, dépité d'avoir eu sa mobylette volée, réclame une deuxième « chope à mâle ». Son moral en berne lui vaut la bienveillance, le soutien d'une touriste retraitée experte à réconforter les âmes en peine.


La présence de cet écrivain apporte de la distraction.
On se demande ce qu'il vient faire ici, certains ignorent même en quoi consiste le travail d'un écrivain. D'autres sont fiers de le compter parmi eux.
Le maire se prend à rêver de « devenir une grande figure de la littérature » dans le livre du romancier qui célébrera aussi sa « jolie petite cité ».

Mais lui, il est là pour enquêter sur un certain Nadureau, après avoir déterré un pan du passé de ce père inconnu, qui aurait participé à un vol de tableau. Il n'hésite pas à prendre à son service un détective autochtone pour éclaircir ce mystère. Une aubaine pour Helnoute Ballo, ce Sherlock Holmes diplômé d'EIFFEL (1) en manque de clients. Un CV ridiculement impressionnant ! Scène irrésistible autour du mot lapin !

Remisant à plus tard la rédaction de sa deuxième phrase du roman en chantier, Julius s'intéresse à la fête foraine, seule festivité et divertissement des jeunes. On voit le bourg, véritable micromégapole, s'animer.
Polnabébé est tout fier et confiant d'appliquer les conseils de l'écrivain en matière de drague, mais il se trompe de niveau de langue !

Un couple épie ce qui se passe dans la rue. Zerma qui a remarqué, rôdant au village, un étrange quidam, « un homme malsain », se sent harcelée, poursuivie, d'autant plus qu'elle « sait des choses ...», des secrets dont les fils se démêleront peu à peu.
Cet homme, en costume marron qui arpente le même terrain que l'écrivain, est aussi repéré par l'éclusier puis par Julius. Qui peut-il donc traquer ? Ne faudrait-il pas s'en méfier ? Son comportement, ses déplacements intriguent et alimentent le suspense.

C'est au lendemain de la fête que la disparition d'une fille est signalée. Curieuse coïncidence, un promeneur trouve une chaussure rouge et un sac à main.
Les gendarmes ne se précipitent pas pour lancer leurs investigations.
Ils finissent quand même par perquisitionner la demeure de Farruque qui vit à la lisière de la forêt. Brave homme, « suave, doucereux » qui clame son innocence. Pourtant des pièces à conviction découvertes chez lui viennent semer le doute.Des fouilles sont effectuées. Mais à l'ère du «  # balance ton porc », qui croire ? L'accusé ou les deux amies de Nadège ? La pression des interrogatoires successifs force Farruque à avouer certains faits, mais n'a-t-il pas été manipulé par le trio des filles ? Quant au maire, il apporte tout son soutien à ce concitoyen modèle dans un discours pétri d'empathie dans lequel il égratigne « la police exotique » de Gournay.
Il ne fait pas bon, non plus, être victime des éreintements de l'auteur (justice, église).


Pour pimenter sa vie, l'écrivain s'offre une escapade amoureuse à Honfleur avec Juliette, l'institutrice qui lui expose les dessins de ses élèves. Dessins naïfs certes, mais qui dévoilent tous les secrets sur les moeurs des habitants, dont le comportement scandaleux du curé ! Révélations édifiantes ! Lors de leur déambulation dans la ville, ils font une rencontre improbable qui donne la clé d'une des énigmes.

A Puffigny, « on le sait, il n'y a rien à voir, à dire, à entendre, à espérer », et pourtant Julius Dump , « chapardeur de vies » a su y trouver/puiser le terreau de son roman en s'intéressant aux turpitudes de ces « braves gens » qu'il a observés, côtoyés, sondés.
Puffigny est décrit comme « un village propre et coquet, par contre le cimetière abrite un « dépôt d'ordures répugnant ». Des monceaux de détritus/d'immondices dissimulent une tombe qui attirera d'étranges individus persuadés d'y trouver leur graal . Dupés par le récit de Julius, ils connaîtront un destin des plus tragiques.

Deux objets focalisent l'attention : le bracelet serpent et la croix, ajoutant au mystère.


On assiste avec jubilation au sacre de l'écrivain qui a su persévérer dans l'écriture, au coeur d'un village en liesse, couronné par le discours enthousiaste du maire. Un édile généreux, à « la satisfaction béate » de compter 199 occurrences de «  Puffigny » dans ce roman. Un livre qui étale au grand jour la vie des habitants : « intrigues crapuleuses, injustices consolidées par la mauvaise foi, adultères, crimes », du vrai, du moins vrai, du faux. « Mais rien n'y est inauthentique. » ! On imagine les réactions des individus concernés !
Toutefois au fil des retours de lecteurs, le narrateur est confronté à ceux qui s'étonnent de constater qu'il a pris des libertés avec la réalité. Il a brouillé les pistes, en changeant les lieux, et en distillant une fausse information quant au supposé butin.
Mais L'écrivain national de Serge Joncour n'affirme-t-il pas qu'« un roman n'a pas à dire la vérité » ! Tous les mystères sont élucidés quand on referme le roman de Puffigny qui se clôt par un épilogue hallucinant diligenté par des enfants aventuriers !

Franz Bartelt, maître incontesté de la démesure, à l'humour noir inimitable, livre un polar truculent, haletant, foisonnant de rebondissements. Ses personnages atypiques sont largement, goulûment dopés à la bière et même au champagne.
Langage fleuri, grivois, expressions argotiques (« se piquer la ruche »), nombreuses énumérations.
Comment ne pas « kiffer » trois fois, plutôt qu'une, toute cette inventivité, cette prose savoureuse et les épisodes rocambolesques!
Un pur moment jouissif de lecture !

(1) : EIFFEL : École Internationale de Formation des Fins Extra Limiers
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