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Critique de ninachevalier


Franz Bartelt- Hopper, L'Horizon intra muros- Éditions Invenit, collection Ekphrasis ( 12€)

Certains écrivains s'inspirent de faits divers, d'autres comme Franz Bartelt tente de percer le mystère d'un tableau, laissant leur imagination les guider. On sait l'auteur amateur d'art. N'a-t-il pas déclaré que « Si les gens fréquentaient plus souvent les musées, ils ne mettraient jamais les pieds dans les pharmacies...»?
A l'heure de l'exposition Hopper à Paris, Franz Bartelt revisite une de ses oeuvres majeures du peintre: l'emblématique tableau Nighthawks, et concentre son regard sur ces Oiseaux de nuit afin d'en décrypter les moindres détails. Il dédie cet ouvrage à ceux « que le temps transporte », pour qui le temps n'a pas de prise, fil rouge qu'il va dérouler en insérant des réflexions poétiques et philosophiques avec sa touche d'humour: « sans y convoquer plus d'un neurone ».
En préambule, l'auteur part du constat que l'art n'est pas la nourriture quotidienne du «  quidam ordinaire », qu'il ne s'invite pas dans nos chaumières, par paresse ou manque de curiosité. Les calendriers pallient cette carence ainsi que les cartes postales souvent utilisées en marque-pages.

C'est pourquoi Franz Bartelt retrouve le tableau Nighthawks , carte de voeux mystérieuse, dans un ouvrage consacré à Brueghel, ce qui lui permet une étude comparative. le contraste est frappant: l'individualisme , la solitude « impartageable » chez Hopper s'oppose au collectif, à cette communauté solidaire de Brueghel. Chacune des retrouvailles avec cette carte volante (qui semblait jouer à cache-cache avec l'auteur) déclencha l'écriture d'une prose poétique,dont des extraits sont distillés dans ce recueil. Si le mot nighthawks, qui convoque pour l'auteur « quelque chose d'effrayant », désigne des noctambules assimilés à des fêtards, ceux du tableau n'ont pas l'air de s'éclater. Ces êtres atones, comme figés, perdus dans leurs songes, semblent plutôt tromper ou noyer leur solitude « géométrique » , leur ennui dans ce bar « immensément désert ». Face à une telle immobilité, vacuité, l'auteur aurait souhaité déceler un soupçon de douceur,de chaleur, ne serait-ce qu'avec la présence d'un chat. Mais il convoque Rimbaud pour qui « l'essentiel est ailleurs », et ici c'est la société « fric » avec le tiroir caisse bien en évidence.
Franz Bartelt focalise notre attention sur des détails relatifs à chacun des individus: un journal sous le coude, une cigarette, les doigts de la femme en rouge. C 'est elle qui accroche la lumière réfléchie par le mur jaune paille et rayonne telle une icône, au visage serein et recueilli.

L'auteur s'interroge quant à la présence de ces trois anonymes dans « cet asile de nuit », ce havre de paix où l'obscurité et la lumière se livrent bataille. Attendraient-ils un train dans un buffet de gare?,citant une phrase célèbre d' Antoine Blondin: « Un jour ,nous prendrons des trains qui partent ». Hopper aurait-il peint le tableau de l'attente, cristallisé des instants suspendus où il n'y a ni passé, ni avenir? Mais où le temps implacable aura le dernier mot.
Dans ce huis clos, cet enfermement, tels des poissons captifs d'un aquarium, les personnages semblent subir leur vie, « avoir perdu l'espoir », face à cet «  horizon intra muros ». Pour l'auteur, il se dégage de cette scène statique, une certaine mélancolie,lui faisant songer à L'intranquillité de Pessoa, « une nostalgie de l'immédiat » que la couleur masque en surface seulement, tel un fard.

Comme un livre récolte autant d'interprétations que de lecteurs, Franz Bartelt rappelle que « le tableau parle par la voix de celui qui regarde », ajoutant que « Ce que l'on ressent prime sur ce qu'on apprend ». Au lecteur de s'approprier cette toile spleenétique, ayant aussi inspiré Philippe Besson.
En filigrane, on devine l'écrivain rivé à sa table ensevelie sous un flot de papiers , absorbé dans son travail « lent, long, obscur » qu'impose la créativité, et parfois taraudé par un « sentiment d'inutilité ». A la fin de ce recueil , on trouvera une biographie condensée du peintre et de l'auteur.

Franz Bartelt pense que « s'il s'est produit des miracles sur la terre, on le doit plus à la peinture qu'à la littérature ou à la musique ». Alors quand le lecteur découvrira qu'il sait allier littérature et peinture, il ne pourra être que comblé par cet opus à la présentation raffinée, enrichie par des gros plans du tableau. Franz Bartelt reste cet auteur éclectique, toujours là pour nous surprendre.
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