AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de ninachevalier


Franz Bartelt - le testament américain -nrf , Gallimard, (14,90€, 133pages)

Franz Bartelt nous relate le fabuleux destin des habitants de Neuville, petit village de la France profonde « redoutablement perdu » et radiographie les moeurs de « ces bernuches », supposés s'adonner « aux pratiques les plus insalubres ».

Tout a basculé pour eux, au moment de la lecture du testament d'un milliardaire américain, né accidentellement dans ce village. Qui n'a pas rêvé d'un oncle Sam !
Ceux que le notaire a réunis s'avèrent être « des pauvres bougres, des tordus, des crasseux ». Habile, le notaire recueille l'assentiment de tous, condition sine qua non.
Et la mise en oeuvre du chantier de ces « merveilles architecturales » débuta dès le lendemain. La réception de « ce nouveau fleuron », un Père Lachaise du 3ème millénaire, digne d'entrer dans le livre des records , rappelle l'inauguration en grandes pompes de la belle maison (un précédent roman de l'auteur).
Coup de théâtre: le maire s'effondra juste après son discours officiel.

Qui était ce Clébac Darouin, qui a déjà son musée? L'auteur nous brosse le portrait de ce généreux donateur, mécène vénéré et détaille toutes ses contributions.

Les Neuvillois , conscients que « la vie est brève et le désir sans fin »,(1) ne perdent pas une minute de plaisir, une occasion de jouir! A croire que certains cherchent à entrer dans le livre Guinness des records. Mais qui sont ces protagonistes atypiques, gratinés, occupant des « masures délabrées », ces couples amoureux, que Franz Bartelt met en scène ? On croise Balthazar, chef de la fanfare, soupçonné d'inceste. Napoléon Beloeil qui fricote avec la veuve du meunier Dorval. Si Napo sait dispenser « tout un assortiment de tendresses digitales, d'effleurements bien informés », il n'est pas à l'abri d'une défaillance. Buh Stoffet est obsédé par Monique. Son père, spécialiste des saucisses en bouteille, semble avoir fait son apprentissage chez Jovedi Merdouilla (ce charcutier poète de Terrine Rimbaud).
On assiste à une translation de la vie du village au cimetière. le tour de garde étant instauré, chacun améliore son confort. L'eau , l'électricité y sont installés. On les suit dans leur façon de s'approprier leur nouvel espace, de vrais palaces. Certains n'hésitent pas à en faire leur résidence secondaire. D'autres envisagent de s'y installer à demeure, y ayant ajouté télévision , lave-vaisselle, salle de bains.
le maire par intérim , René Vendrèche, se révèle un orateur hors pair pour convaincre ses concitoyens d 'accepter une équipe de télévision en vue d'un reportage. Il mène ses pourparlers avec d'autant plus d'ardeur qu'il espère gagner les faveurs de la belle Anne-Marie, présentatrice affriolante.
Comment va-t-il négocier « ce tournant décisif » qui s'offre à lui ?
Après moult tractations, un visage tuméfié pour René, « l'affaire est dans le sac ».
La journée 'portes ouvertes' va générer l'effervescence du siècle avec fanfare et majorettes. Ce prodigieux héritage va désormais déplacer des hordes de touristes et de curieux, bouleverser la quiétude du village et leur forger une renommée internationale. Une idée de jumelage germe.
Quant au testament de René, « secret défense »! mais effet renversant et incongru.
L'auteur n'épinglerait-il pas ces édiles soucieux de leur aura, fier de leur prestige, soulignant leur vantardise et leur ambition ? Il prend plaisir à extrapoler quant à ce qui se passe dans les remous des draps ou sur un lit de fougères. Il vilipende celles pour qui les lits sont des marches dans leur carrière ascensionnelle.

Franz Bartelt, aussi dramaturge multiplie le comique de situations: le notaire perché sur une table, le maire, prosterné, bramant des incantations. Il confirme son talent de peintre des moeurs (« politiquement incorrectes ») dans la campagne profonde et des dérives contemporaines, brocardant « une époque vouée au cynisme de la communication ». Les patronymes de ses personnages sont invariablement évocateurs: Marron Tousseul,le père Fricoteau, Raoulette. L'auteur les dote d' un sens inné de la formule et en constelle le récit: «le souvenir des plaisirs est encore du plaisir » ou « L'ombre de l'échelle est condamnée à être derrière les barreaux »

Grâce à Franz Bartelt, les cimetières ont de l'avenir : Tout y est permis, tout y est possible: On y joue aux cartes, on y boit, on y fornique,on s'y récrée, en bref : on y vit et les médias s'y intéressent et s'y déchaînent.
le sexe, la mort: deux rivaux, deux ennemis? Ainsi , comme le désir sexuel, la mémoire ne s'arrête pas, il apparie les morts et les vivants dans le même lieu.
Que penser de ce concept foutraque, très novateur?
N'est-ce-pas une façon originale d' aborder la vieillesse et de conjurer la faucheuse?puisque pour le narrateur « le plus important est de ne pas se taire ».

Une salve interminable d'adjectifs s'impose pour définir ce roman foisonnant de rebondissements: graveleux,lubrique volcanique, transgressif, croustillant, truculent.

Si Katarina Mazetti est sacrée « la reine du cimetière » depuis ses 2 derniers romans, Franz Bartelt , son pendant masculin, peut être promu, sans hésiter, le roi de la démesure, le gardien de l'humour, le chantre des pauvres hères et le parrain d'une brigade de personnages ébouriffants.
Laissez vous embarquer dans le territoire de son imagination débridée.

Franz Bartelt, cet iconoclaste ardennais, signe un roman désopilant, hallucinant, jubilatoire qui le maintient dans les inclassables!
« Cette nécropole festive » ne peut que séduire un metteur en scène ou un cinéaste.

(1): Vers du poète japonais Issa
Commenter  J’apprécie          60



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}