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Critique de dido600


L'opéra flottant est le premier roman de John Barth. le livre a pour cadre cette région de la côte Est du Maryland, autour de la baie de la Chesapeake, où l'auteur ses années d'enfance et d'adolescence. Dans ce pays de baies et d'estuaires, de golfes et de marais, on trouve de petites villes endormies — telles Cambridge, la ville natale du romancier et le cadre de son premier roman — peuplées de pêcheurs de crabes, de chasseurs de canards sauvages, de dragueurs d'huîtres et des petites gens généralement assez conservateurs.

L'opéra flottant est un récit raconté à la première personne par Todd Andrews, un avocat de Cambridge, un grand bel homme célibataire de cinquante-quatre ans, considéré par ses voisins comme quelque peu excentrique. le narrateur essaie de reconstituer une journée de sa propre vie, celle du 23 juin 1937. Cette journée a été d'une importance capitale pour lui puisque, pendant ces vingt-quatre heures, il a voulu se suicider et qu'il a, finalement, changé d'avis.

"Etre ou ne pas être ?" Todd s'est posé la fameuse question d'Hamlet. Son père, avant lui, a réfléchi sur le suicide et y avait répondu affirmativement : Todd l'avait trouvé un jour pendu, fort proprement, dans sa cave, à la suite d'un désastre financier provoqué par la Grande Dépression. L'éducation de Todd n'a pas contribué à lui donner l'amour de la vie. Orphelin de mère de très bonne heure, Todd a été sevré d'affection maternelle. Il a, pour ainsi dire, jamais pu communiquer avec son père.

Il s'est engagé à dix ans et a connu, dans l'Argonne, la peur de la mort. Blessé d'un coup de baïonnette, il a tué un soldat allemand et n'a jamais pu oublier cet atroce épisode. En revenant de France où il a combattu, il a poursuivi ses études à l'université. Il a beaucoup lu mais aussi beaucoup bu. Et il a mené une vie parfaitement déréglée. Il a, par la suite, adopté une série de "masques" qui lui ont permis de faire illusion en même temps qu'il se leurrait lui-même. Adoptant une morale de l'indifférence, il offre, en cette période de sa vie, le "masque" d'un aimable cynique. D'autre part, sa santé n'a jamais été bonne : il a le coeur fragile, souffre chroniquement de la prostate et est de moins en moins capable d'avoir une vie sexuelle satisfaisante. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu'il soit devenu désespéré, de ce désespoir qui "pourrait mener les hommes aux temples, aux églises, aux messies, vers n'importe quelle béquille qui se trouve à proximité".

La conclusion logique de sa réflexion sera, non pas la foi, mais le suicide, parce que rien, aucun absolu, ne le retient sur cette terre. Cependant, après avoir ouvert le gaz et avoir été sauvé accidentellement, après avoir été troublé par l'expression d'inquiétude de la mère d'une fillette malade, il a refusé de mourir. Il reste persuadé qu'il n'a aucune raison de vivre mais décide qu'il n'en a pas non plus de mourir. Il n'y a pas de valeurs absolues mais il y en a peut-être de relatives. Et Todd ne veut pas mourir avant d'avoir essayé de comprendre un peu, de démêler l'écheveau de sa vie.

Les personnages secondaires du roman ne sont pas dépourvus d'intérêt. Harrison et John Mack — le meilleur ami et la maîtresse de Todd — forment un couple bien curieux. Ce sont des instables qui ne sont pas sûrs d'eux-mêmes et qui cherchent à se rassurer de bien étrange façon : en faisant ménage à trois avec Todd. Un beau jour cependant, ils décident de partir pour l'Italie, sans Todd, leur santé morale et leur équilibre fondamental enfin retrouvés.

Fort bien campés également les deux vieillards qui habitent le même hôtel que Todd. le premier, M. Haecker, est un ancien directeur d'école qui cite Cicéron ("Si un dieu m'accordait de revenir en enfance, de pleurer de nouveau dans un berceau, je refuserais fermement"). L'autre, le capitaine Osborn, est un ancien pêcheur et dragueur d'huîtres qui souffre d'une sinusite aiguë et, de plus, est devenu arthritique et frappe tous les matins sur sa jambe droite pour la réveiller et la mettre en route. Haecker et Osborn représentent deux attitudes différentes face au problème central du livre. Tandis que le premier conclura sa vie par un suicide, le second attendra la mort en lançant des jurons, en soignant sa sinusite à l'aide d'un excellent whisky et son moral en écoutant, pendant ses périodes d'insomnie, le couple d'amoureux qui occupe la chambre d'à côté.

En conclusion, le premier roman de John Barth est une histoire habilement contée, un roman extrêmement bien écrit, vivant, qui tient le lecteur en haleine jusqu'à la dernière ligne.
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