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Critique de KLiebknecht


C'est un véritable manifeste politique qui nous est ici proposé par un historien. Jérôme Baschet avait déjà écrit une somme importante (L'étincelle Zapatiste, Denoël, 2002) sur la rébellion zapatiste au Mexique. Il donne ici sa conception du monde, de ce qu'il est et de ce qu'il pourrait devenir, de ce qu'une société post-capitaliste pourrait être.
Jérôme Baschet appelle à une rupture complète avec la capitalisme qui, si ce n'est pas déjà le cas, pousse la société humaine au désastre. Il dénonce l'idéologie dominante qui prétend que le capitalisme est la seule option possible, ou la moins pire de toute... Cet horrible leitmotiv qui s'est inséminé dans tout le corps social, à tous niveaux. Humainement, le capitalisme n'est plus tenable : « ego toujours plus hypertrophiés, pris entre des promesses de toute-puissance socialement entretenues et des contraintes induisant des frustrations d'autant plus insupportables ; solitudes stressées et dépressives ; sensation d'être dépossédé du sens de sa propre activité, voire de sa vie tout entière ; généralisation des représentations déshumanisées de soi et froideur des rapports objectivés à autrui. L'absurdité d'un système qui soumet l'humanité aux exigences d'un travail à la fois omniprésent et fragilisé ne saurait que s'accentuer, tout comme les effets de la désintégration sociale qu'une telle situation engendre. »
Il dénonce ainsi le capitalisme qui tend toujours à s'étendre sur de nouvelles terres, expropriant dans les sociétés non capitalistes afin d'en exploiter les ressources et leurs membres. Qui s'étend aussi sur de nouvelles populations, en détruisant des économies traditionnelles autosuffisantes pour imposer les produits locaux (pesticides, OGM, et même téléphones portables...). Comme pour Majid Rahnema, l'arrivée du capitalisme au sein d'une société plus archaïque contribue inéluctablement à faire basculer les gens d'une pauvreté traditionnelle à une misère moderne.

Utilisant un langage (souvent complexe) proche du courant altermondialiste, l'auteur affirme que la Pensée Unique est battue en brèche depuis les années 90. Il cite le soulèvement zapatiste en 1994, les grèves de 1995 et bien sûr Seattle 1999, haut fait de l'altermondialisme... Ces événements surviennent suite à la « rupture historique du néo-libéralisme » et la constitution d'un marché mondial qui n'avait jamais existé auparavant avec autant d'ampleur. L'auteur affirme ainsi que l'on est passé d'un capitalisme disciplinaire des Etats-nations à un capitalisme mondialisé régi par l'économie.
Ici, Baschet semble rejoindre le courant en vogue, qui veut voir une profonde mutation dans le capitalisme actuel, criant à la nouveauté, alors que si changement il y a, pour ma part, ce n'est en rien une rupture, mais plus un approfondissement...

On pouvait donc craindre une énième utopie lyrique altermondialiste. Il n'en est rien. Appuyé par un véritable travail d'historien l'ouvrage se positionne par rapport aux autres conceptions « anticapitalistes » et montre qu'il se positionne en connaissance de cause.

En tout état de cause Jérôme Baschet se distinguera rapidement de l'altermondialisme : il s'attaque par exemple à la théorie du « capitalisme cognitif » de Yann MOULIER BOUTANG. Celui-ci prétend à une mutation radicale du capitalisme dans le sens d'une transformation du travail en nouvelles sphères d'activité (informatique, communication, design...). le travail industriel, ouvrier serait en passe d'être remplacé par le « travail cognitif ». Baschet en montre l'idéalisation flagrante aussi bien chez Moulier Boutang que chez Toni Negri : « Il s'agirait là d'un travail créatif, coopératif et étroitement mêlé à a vie elle-même, à travers lequel s'exprimerait une humanité nouvelle et émancipée. Mais en pratique, de tels métiers ne font-ils pas appel à la créativité que pour mieux la mettre au service des exigences de la marchandise et de la rentabilité ? L'effacement des frontières entre la travail et la vie privée, accentué par un branchement presque permanent aux réseaux de communication, est-il autre chose qu'un asservissement croissant à des contraintes qui requièrent l'engagement de la personne toute entière dans l'épopée entrepreneuriale ? »

Jérôme Baschet délaisse donc rapidement ces nouvelles théories qui reposent sur des conceptions illusoires de la société. Il faut partir de la réalité. Or celle-ci nous offre des exemples d'utopies réelles.
L'expérience marxiste-léniniste ne retient pas son attention. L'histoire a déjà tranché selon lui. Pourtant, s'il s'oppose au communisme, il n'est pas viscéralement anticommuniste. Il ne fait pas une allergie, juste par présupposés. Bien au contraire, il connaît bien la doctrine marxiste et la discute scientifiquement.
C'est à partir de l'expérience zapatiste que Jérôme Baschet souhaite réfléchir. L'expérience zapatiste est ici présentée comme « une des plus profondes expériences d'utopies réelles actuellement déployées ». L'expérience zapatiste, qui implique plusieurs centaines de milliers de personnes et un territoire équivalent à la Belgique, nous montre que l'utopie est possible.

Jérôme Baschet constate d'emblée une différence cruciale avec les anciennes tentatives : le refus de la prise de pouvoir. Si l'EZLN a pu commencer avec des militants marxistes-léninistes, cette tendance a largement disparu. le zapatisme est présenté comme la recherche de forme non étatique de gouvernement, l'Autogouvernement. L'Autonomie présuppose la dignité universelle. Tout le monde est capable de prendre son destin en main (Contre l'approche humanitariste).
Baschet montre le lien entre ce courant autonomiste et l'idée du « conseillisme » qu'il fait remonter à Marx/Bakounine et que l'on retrouve au début du XXème siècle chez Rosa Luxemburg, Liebknecht ou encore Pannekoek (qui combattirent la conception léniniste du pouvoir).
Contre le fétichisme de l'Etat hérité du léninisme, les zapatistes affirment que la conquête du pouvoir n'est plus, ne doit plus être l'unique but : « Nous ne sommes que trop habitués à tenir l'État pour la seule forme possible de l'intérêt commun  […] Dans tous les cas, le peuple qui déléguait sa souveraineté à l'Etat est devenu une fiction et l'appareil d'État s'est arrogé le monopole de la capacité à définir l'intérêt général. On peut estimer que les expériences révolutionnaire du XXème siècle ont majoritairement été victimes d'une 'surestimation de l'Etat comme instrument déterminant dans la révolution sociale', selon la judicieuse analyse de Karl Korsch. »
Avec le zapatisme, c'est toute une société qui prend en main son avenir. Elle gère sa production selon les besoins de la population, non selon les profits de certains. C'est cet exemple que veut suivre l'auteur.

Jérôme Baschet étudie ensuite les objections possibles (et habituelles) contre l'utopie :
le problème de la nature humaine trop égoïste. La nature humaine n'existe pas, cela fait bien longtemps que les philosophes l'ont montré. L'image de l'homme cherchant toujours son intérêt est un mythe occidental, particulièrement forgé lors de l'avènement du capitalisme. (Marshall Sahlins, la nature humaine). Aujourd'hui, il existe une résistance à ce phénomène notamment en Amérique du Sud (cf. Yvan le Bot, La grande révolte indienne, 2009) : L'affirmation selon laquelle toute l'humanité aspire à jouir des délices de la consommation moderne trouve là un clair démenti.
Le Zapatisme est ainsi définit comme un cocktail entre le marxisme des premiers combattants (ceux qui veulent sortir du capitalisme) et la révolte des indiens (ceux qui ne veulent pas y entrer).
la difficulté de développer des Chiapas un peu partout dans le monde. Certes, le Chiapas n'est pas exportable partout. Aussi Baschet appelle a multiplier les « espaces libérés » (ce qu'on pourrait définir comme des espaces autogérés, soustraits à la domination du Capital et de sa logique de rentabilité). La construction d'espaces libérés « est un aspect rigoureusement déterminant pour l'ensemble du processus de transformation anticapitalistes, dans ses étapes présentes et à venir. Il est décisif d'expérimenter de nouvelles formes de relations humaines » qui s'écartent de la logique marchande et offre un exemple d'autonomie.
Baschet souhaite que l'on construise dès aujourd'hui des microcollectifs alternatifs pour que lorsque la révolte arrive, il existe déjà expériences, il existe déjà des solidarités, etc. Il faut favoriser les projets se détachant de l'emprise capitaliste. Il ne s'agit pas cependant de s'enfermer dans ces microcollectifs : il n'est pas un but car le risque est de ne plus voir la réalité extérieure (l'agressivité capitaliste). « On ne saurait donc choisir entre construire (une réalité neuve) et lutter (contre celle qui existe) »

Ne pas attendre le grand soir sans rien faire, mais ne pas s'enfermer dans l'immédiat non plus.

A terme, c'est toute la société qui pourrait être reconstruite sur une base plus humaine, débarrassée de la « logique mortifère du capitalisme ». S'appuyant sur les données de l'OIT et de l'ONU, Baschet affirme que la base matérielle pour une société différente existe déjà ; il imagine qu'on pourrait en outre se débarrasser de tout ce qui est inutile dans une société non marchande : bureaucratie, armée, pub, banques, assurances... on arrêterait les transports aberrants (l'ail chinois en Europe ou l'eau des Alpes au Mexique !). Résultat : 1/5 de la population sera suffisante pour assurer la production mondiale.
« Sortir du capitalisme signifie bien plus qu'un simple changement de système économique. C'est une rupture avec l'ensemble de l'organisation collective, politique et sociale, ainsi qu'avec les modes de production des subjectivités propres à la société marchande. Plus profondément même, cela implique de rompre avec la forme d'humanité caractéristique de la modernité occidentale et sans doute avec des tendances historiques de plus longue durée encore, englobant le capitalisme et les grands systèmes antérieurs d'exploitation et de domination étatique. Est-il raisonnable d'envisager un tel revirement de situation ?»
C'est une « question de survie » répond l'auteur.
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