L'écriture elle-même est-elle une forme de fuite? Ou de manipulation d'une chose pour essayer d'en faire une autre? Si tel est bien le cas, quelles sont les conséquences d'un pareil enfouissement, jour après jour, dans une réalité alternative, comme si l'on bâtissait une forteresse contre le monde réel, pierre après pierre?
L'une des choses les plus agréables quand on brûle vraiment la chandelle par les deux bouts, c'est la qualité du sommeil dans lequel on sombre ensuite et la ligne tremblotante entre le monde réel et le monde des rêves à l'heure du naufrage.
Je l'interroge sur quelques autres écrivains. Elle ne manifeste pas le moindre intérêt, mais joue le jeu et demande si j'ai lu certains écrivains de sa connaissance. Lorsqu'elle cite Richard Ford, je lui demande si elle a entendu parler de sa philosophie du lapin écrasé : quand on est critique littéraire, dit Ford, il est absurde de rédiger la critique d'un livre qu'on n'aime pas. Autant rouler sur la route et faire un écart pour écraser un lapin.
Le vent souffle de plus en plus fort, les éclairs illuminent l'obscurité. Des gouttes de pluie grosses comme des têtards s'écrasent sur le pare-brise.
Il me reste peu d'années et le nombre mystérieux de ces années où je pourrai encore écrire, ce nombre qui diminue sans cesse, pousserait n'importe quel géologue digne de ce nom à se redresser sur sa chaise en éprouvant une froide terreur.
La lumière jaune du soleil tombe presque à l'horizontale; elle inonde nos mains, irradie la nourriture, englobe la table; ses dernières lueurs baignent la cuisine avant l'obscurité complète.
On sent les espoirs et les rêves des gens se glisser à nouveau vers l'extérieur, comme à travers les fentes du châssis de leurs fenêtres.
Bien qu'il soit parfois tentant de séjourner dans le monde de l'esprit, il serait criminel de laisser passer ce monde de chair et de pierre sans y vivre ni l'observer. On tente donc de concilier les deux.
Lorsqu'on a passé beaucoup de temps loin d'une chose aimée, la retrouver est agréable. On a plaisir à s'y immerger, invisible, comme si l'on revêtait une cape de ténèbres, où le temps s'arrête, et il y a seulement le battement de votre coeur, le mot suivant, puis le suivant.
Si les choses sont et ne sont pas ce qu'elles semblent être, n'en va-t-il pas presque toujours ainsi ?