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Critique de Bloglitterairedecalliope


Frontières est un recueil de textes dramaturgiques contemporains de provenances géographiques et linguistiques très diverses.

Dans le premier texte, le bout du monde (1999), Jean Claude Bastos convoque l'histoire pour interroger les frontières. Un « bonhomme seul, quelque part dans un espace vide, indéfinissable » monologue. Il est le gardien du bout du monde. Défilent Jason, le héros mythique de l'expédition des Argonautes, Marco Polo, Henri le portugais, Vasco de Gama, Colomb. Il en a vu des explorateurs, le gardien du bout du monde. Et puis, lorsque les hommes ont compris que la terre était ronde, ils se sont mis à explorer l'espace. C'en était donc fini du gardien. Alors, quoi de mieux que le théâtre pour redonner sa force au monde, en redessiner les contours et par la magie de la poésie transfigurer le réel!

Le deuxième texte, Exils,(2020) de Ricardo Correia, est un recueil de témoignages d'exilés portugais ayant fui le régime autoritaire de Salazar et la guerre coloniale dans les années 1961à74. Composé également de fragments d'oeuvres du Théâtre ouvrier de Paris, c'est un texte engagé qui montre à quel point la dictature dépersonnalise, déshumanise: »à l'intérieur des maisons, on va à confesse. » La résistance s'organise alors, les résidences universitaires deviennent des centres du contre pouvoir, Radio Portugal libre émet à partir de la Roumanie. Des soldats désertent et la répression force bon nombre d'opposants à franchir la frontière. En bateau, en train, à pied, ils sont nombreux à quitter le pays pour la Suède, les Pays Bas, Paris…. « C'était une société grise. D'une incommensurable tristesse. »

Dans Je veux un pays (2013) c'est à un voyage immobile que nous invite Andreas Flourakis . Un groupe d'individus veulent quitter leur pays asphyxié par la crise économique. Assis sur leur valise, ils devisent. Se pose alors la question du pays idéal. Chacun envisage sa quête sous un angle particulier, un pays où l'argent ne serait plus essentiel, où on ferait table rase de l'histoire, où la religion n'aurait plus force de loi. Ainsi, cette vision du pays idéal s'affirme inévitablement comme politique. de l'utopie à la contre-utopie (haine des vieux, des immigrés, tout y passe!), le texte se referme finalement sur l'espoir d'un pays nouveau où la beauté serait reine (car, comme le dit Héraclite, panta rei, tout coule).

La pièce d'Anaïs Claire Panagiou, le phare de Korakas,(2020) se déroule à Lesbos: un cadre idyllique, une jeune femme peint au bord de l'eau, essaie d'en retranscrire la splendeur. Un ami lui reproche son inaction car l'île est le lieu d'un véritable enfer. Les migrants qui y échouent en sont repoussés. On les dépouille de leurs pauvres biens. Un véritable business en effet s'organise autour de la question migratoire. Plus loin, au City Plaza d'Athènes, des bénévoles s'organisent pour assurer la survie de ceux qui ont réussi à passer. Nous sommes au théâtre et les décors y prennent des teintes symboliques: la montagne se teinte d'orangé, la couleur des gilets de sauvetage échoués sur le rivage. Dans ce texte où la poésie se mêle à l'ironie, l'auteur pousse le spectateur dans ses derniers retranchements. Ce dernier devient partie prenante de l'action et se transforme en migrant qu'on interpelle.

Ni de là bas, ni d'ici,(2008), la pièce de Zoubeir Ben Bouchta, met en scène Arab La France parti de Clichy Sous Bois après les émeutes de 2005. Il veut retrouver sa petite amie à Marseille. Caché sous un camion, il se retrouve sans le vouloir à Tanger. Il y rencontre Assas, le gardien d'un hangar qui, lui, veut émigrer en Europe. Un dialogue surréaliste s'installe entre eux: le Ouarzazate mythique, filmé par les cinéastes étrangers, dont est originaire Assas le gardien et qui fait rêver Arab La France y laisse la place à un désert gangrené par la misère où l'espoir d'une vie meilleure est vain. L'intégrisme islamiste n'est jamais loin non plus dans cette pièce où la drôlerie flirte avec le désespoir.

Dans Bords (2017) de Tino Capello, deux migrantes surveillées par trois gardes femmes attendent qu'on décide de leur sort. Pour passer le temps, elles jouent au jeu de chaises musicales, jeu hautement symbolique où celle qui perd sa place est censée devoir partir. Pour tromper leur ennui, elles convoquent également l'imaginaire, miment une course, un envol, une nage, bref, le rêve d'un ailleurs. Peu à peu, l'humanité va reprendre ses droits, on fait de la place sur une chaise à celle qui n'a pas été assez rapide, l'une des gardes refuse les ordres, et, dans un bel élan de solidarité, ouvre les bras aux deux migrantes.

Enfin, Racines Flottantes (2017) de Gabriela Acosta Bastidas, évoque la blessure originelle, ce déchirement de l'exilé dont les souvenirs sont à la fois confus et tenaces, la terre mère, l'endroit d'où l'on vient, où l'on est né, où l'on a laissé son coeur. Comment recoller les fragments d'un être écartelé entre deux cultures, Gabriella Acosta Bastidas décrit avec sensibilité et émotion cette douloureuse problématique, interroge la question des frontières, les frontières géographiques mais aussi les frontières invisibles comme celles de l'indifférence.
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