Bataille décrit la manière dont, à l'instar de l'énergie produite par le soleil, la richesse produite par les hommes dans leur sphère d'activités multiples et variées suivant les civilisations et les époques (il s'intéresse aux aztèques, au potlatch, à l'islam et au Tibet) est vouée à la dilapidation au-delà de toute saisie utilitariste et rationnelle, saisie que la pensée économique moderne ne cesse pourtant de rationaliser à des fins utilitaires. Cette saisie, rendue rationnelle à l'aune de nos propres systèmes de valeur, est pour Bataille une supercherie, où pire, une croyance mortifère qui vogue à contre sens du flux de la vie.
Mais surtout, le tour de force de Bataille, dont j'ai pour l'instant de la difficulté à réaliser l'intuition, est cet élan qui traverse tout son essai. Pour lui, l'économie dont les motivations semblent les plus éloignées de toute recherche vers l'intériorité, vers la connaissance de soi, Bataille les lie ensemble. Il ose écrire un livre d'économie politique d'un point de vue mystique sans rattachement précis avec une tradition spirituelle définie. Bataille était très inspiré, et très audacieux aussi. Je trouve ça complètement dingue d'avoir eu cette audace…
Ce n'est pas de trouver des contre-exemples qui m'intéresse, parce que je pense qu'il est facile d'en trouver surtout si on reste ancré dans notre manière de comprendre les choses. Non ce qui m'intéresse, c'est de respecter suffisamment cette intuition (dont je trouve le cheminement très sensé, même s'il est très surprenant) pour la suivre et voir sur quoi elle débouche: vers quel horizon nouveau Bataille mène-t-il son lecteur? Ça je suis vraiment curieux de le découvrir avec ma propre assiduité de lecteur.
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chef d'oeuvre visionnaire
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Une certaine évolution de la richesse, dont les symptômes ont le sens de la maladie et de l'épuisement, aboutit à une honte de soi-même et en même temps à une hypocrisie mesquine. Tout ce qui était généreux, orgiaque, démesuré a disparu : les thèmes de rivalité qui continuent à conditionner l'activité individuelle se développent dans l'obscurité et ressemblent à des éructations honteuses. Les représentants de la bourgeoisie ont adopté une allure effacée : l'étalage des richesses se fait maintenant derrière les murs, conformément à des conventions chargées d'ennui et déprimantes. De plus, les bourgeois de la classe moyenne, les employés et les petits commerçants, en accédant à une fortune médiocre ou infime, ont achevé d'avilir la dépense ostentatoire, qui a subi une sorte de lotissement et dont il ne reste plus qu'une multitude d'efforts vaniteux liés à des rancœurs fastidieuses.
Seul, dans l'agitation historique, le mot Révolution domine la confusion accoutumée et porte avec lui des promesses qui répondent aux exigences illimitées des masses : les maîtres, les exploiteurs, dont la fonction est de créer des formes méprisantes excluant la nature humaine - telle que cette nature existe à la limité de la terre, c'est-à-dire la boue-, une simple loi de réciprocité exige qu'on les espère voués à la peur, le GRAND SOIR où leurs belles phrases seront couvertes par les cris de mort des émeutes. C'est là l'espoir sanglant qui se confond chaque jour avec l'existence populaire et qui résume le contenu insubordonné de la lutte des classes.
La lutte des classe n'a qu'un terme possible : la perte de ceux qui ont travaillé à perdre la "nature humaine"
un luxe authentique exige le mépris achevé des richesses, la sombre indifférence de qui refuse le travail et fait de sa vie, d’une part une splendeur infiniment ruinée, d’autre part une insulte silencieuse au mensonge laborieux des riches. Au-delà d’une exploitation militaire, d’une mystification religieuse et d’un détournement capitaliste, nul ne saurait désormais retrouver le sens de la richesse, ce qu’elle annonce d’explosif, de prodigue et de débordant, s’il n’était la splendeur des haillons et le sombre défi de l’indifférence
En fait de la façon la plus universelle, isolément ou en groupe, les hommes se trouvent constamment engagés dans des processus de dépense. La variation des formes n'entraîne aucune altération des caractères fondamentaux de ces processus dont le principe est la perte.(...) Aux pertes ainsi réalisées se trouve liée (...) la création de valeurs improductives, dont la plus absurde et en même temps celle qui rend le plus avide est la GLOIRE. Complétée par la DECHEANCE, celle-ci sous des formes tantôt sinistres et tantôt éclatantes, n'a pas cessé de dominer l'existence sociale et il reste impossible de rien entreprendre sans elle alors qu'elle est conditionnée par la pratique aveugle de la perte personnelle ou sociale.
Un livre que personne n'attend, qui ne répond à aucune question formulée, que l'auteur n'aurait pas écrit s'il en avait suivi la leçon à la lettre, voilà finalement la bizzarerie qu'aujourd'hui je propose au lecteur.
Yannick Haenel et son invitée, Linda Tuloup, lecture par Emmanuel Noblet.
Depuis plus de deux décennies, Yannick Haenel éclaire le paysage littéraire français de ses romans singuliers, où se concentrent les désirs multiples et où nous côtoyons, souvent avec jubilation, l'univers de personnages en quête d'absolu.
Au cours de ce grand entretien, un format qui lui sied particulièrement, l'écrivain reviendra sur ses passions. La peinture d'abord (il a écrit sur le Caravage un essai inoubliable), mais aussi le théâtre (son Jan Karski a été adapté sur scène par Arthur Nauzyciel), la photographie (Linda Tuloup sera à ses côtés), l'histoire… On parlera aussi de littérature, de celle qui l'aide à vivre depuis toujours, d'écriture et de ce qu'en disait Marguerite Duras dont l'oeuvre l'intéresse de plus en plus, et de cinéma, vaste territoire fictionnel dont il s'est emparé dans Tiens ferme ta couronne, où son narrateur se met en tête d'adapter pour l'écran la vie de Hermann Melville, croisant tout à la fois Isabelle Huppert et Michaël Cimino…
Écrivain engagé, il a couvert pour Charlie Hebdo le procès des attentats de janvier 2015, en a fait un album avec les dessins de François Boucq, et continue de tenir des chroniques dans l'hebdomadaire. Son dernier roman, le Trésorier-payeur, nous entraîne à Béthune dans une succursale de la Banque de France, sur les traces d'un certain Georges Bataille, philosophe de formation et désormais banquier de son état, à la fois sage et complètement fou, qui revisite la notion de dépense et veut effacer la dette des plus démunis. Mais comment être anarchiste et travailler dans une banque ? Seuls l'amour et ses pulsions, le débordement et le transport des sens peuvent encore échapper à l'économie capitaliste et productiviste…
Une heure et demie en compagnie d'un écrivain passionnant, érudit et curieux de tout, pour voyager dans son oeuvre et découvrir les mondes invisibles qui la façonnent.
À lire (bibliographie sélective)
— « le Trésorier-payeur », Gallimard, 2022.
— Yannick Haenel, avec des illustrations de François Boucq, « Janvier 2015. le Procès », Les Échappés, 2021.
— « Tiens ferme ta couronne, Gallimard, 2017 (prix Médicis 2017).
— « Les Renards pâles, Gallimard, 2013.
— « Jan Karski, Gallimard, 2009 (prix du roman Fnac 2009 et prix Interallié 2009)
— « Cercle, Gallimard, 2007 (prix Décembre 2007 et prix Roger-Nimier 2008).
— Linda Tuloup, avec un texte de Yannick Haenel, « Vénus. Où nous mènent les étreintes », Bergger, 2019.
Un grand entretien animé par Olivia Gesbert, avec des lectures par Emmanuel Noblet, et enregistré en public le 28 mai 2023 au conservatoire Pierre Barbizet, à Marseille, lors de la 7e édition du festival Oh les beaux jours !
Podcasts & replay sur http://ohlesbeauxjours.fr
#OhLesBeauxJours #OLBJ2023
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