Charles BaudelaireLloyd James Austin (Éditeur scientifique)
EAN : 9782080701725
440 pages
Flammarion
(04/01/1999)
3.97/5
18 notes
L'Art romantique
Résumé :
"Les chroniques artistiques de Baudelaire. On ne les lit pas. Effets inattendus avec les mots les plus simples, les plus galvaudés parfois. Cela donne une impression de grand raffinement". Julien Green
Encore une fois
Baudelaire montre son incroyable égoïste et son égocentrisme légendaire : il s'agit là de la pire oeuvre jamais créer : comment un poète peut il avoir l'audace de parler de ses oeuvres antérieurs au travers de citations floues et totalement insipides juste pour se mousser lui même ? A quel point son égo est-il demeusurer pour qu'il puisse même faire ça ? A-t-il, ne serait-ce qu'une fois dans sa vie, penser aux autres et à quel point ils auraient dû mal à le comprendre ? Mais NON la citation de "monsieur" était trop importante pour qu'ils puissent même penser à l'avenir de milliers de jeunes !
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un titre phare de la litterature classique francaise qui selon moi n'a pas pris une ride !
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L’enfant voit tout en nouveauté ; il est toujours ivre. Rien ne ressemble plus à ce qu’on appelle l’inspiration, que la joie avec laquelle l’enfant absorbe la forme et la couleur. J’oserai pousser plus loin ; j’affirme que l’inspiration a quelque rapport avec la congestion, et que toute pensée sublime est accompagnée d’une secousse nerveuse, plus ou moins forte, qui retentit jusque dans le cervelet. L’homme de génie a les nerfs solides ; l’enfant les a faibles. Chez l’un, la raison a pris une place considérable ; chez l’autre, la sensibilité occupe presque tout l’être. Mais le génie n’est que l’enfance retrouvée à volonté, l’enfance douée maintenant, pour s’exprimer, d’organes virils et de l’esprit analytique qui lui permet d’ordonner la somme de matériaux involontairement amassée. C’est à cette curiosité profonde et joyeuse qu’il faut attribuer l’œil fixe et animalement extatique des enfants devant le nouveau, quel qu’il soit, visage ou paysage, lumière, dorure, couleurs, étoffes chatoyantes, enchantement de la beauté embellie par la toilette. Un de mes amis me disait un jour qu’étant fort petit, il assistait à la toilette de son père, et qu’alors il contemplait, avec une stupeur mêlée de délices, les muscles des bras, les dégradations de couleurs de la peau nuancée de rose et de jaune, et le réseau bleuâtre des veines. Le tableau de la vie extérieure le pénétrait déjà de respect et s’emparait de son cerveau. Déjà la forme l’obsédait et le possédait. La prédestination montrait précocement le bout de son nez. La damnation était faite. Ai-je besoin de dire que cet enfant est aujourd’hui un peintre célèbre ?
RICHARD WAGNER
ET
TANNHÄUSER
À PARIS
I
Remontons, s’il vous plaît, à treize mois en arrière, au commencement de la question, et qu’il me soit permis, dans cette appréciation, de parler souvent en mon nom personnel. Ce Je, accusé justement d’impertinence dans beaucoup de cas, implique cependant une grande modestie ; il enferme l’écrivain dans les limites les plus strictes de la sincérité. En réduisant sa tâche, il la rend plus facile. Enfin, il n’est pas nécessaire d’être un probabiliste bien consommé pour acquérir la certitude que cette sincérité trouvera des amis parmi les lecteurs impartiaux ; il y a évidemment quelques chances pour que le critique ingénu, en ne racontant que ses propres impressions, raconte aussi celles de quelques partisans inconnus.
Donc, il y a treize mois, ce fut une grande rumeur dans Paris. Un compositeur allemand, qui avait vécu longtemps chez nous, à notre insu, pauvre, inconnu, par de misérables besognes, mais que, depuis quinze ans déjà, le public allemand célébrait comme un homme de génie, revenait dans la ville, jadis témoin de ses jeunes misères, soumettre ses œuvres à notre jugement. Paris avait jusque-là peu entendu parler de Wagner ; on savait vaguement qu’au-delà du Rhin s’agitait la question d’une réforme dans le drame lyrique, et que Liszt avait adopté avec ardeur les opinions du réformateur. M. Fétis avait lancé contre lui une espèce de réquisitoire, et les personnes curieuses de feuilleter les numéros de la Revue et Gazette musicale de Paris pourront vérifier une fois de plus que les écrivains qui se vantent de professer les opinions les plus sages, les plus classiques, ne se piquent guère de sagesse ni de mesure, ni même de vulgaire politesse, dans la critique des opinions qui leur sont contraires. Les articles de M. Fétis ne sont guère qu’une diatribe affligeante ; mais l’exaspération du vieux dilettantiste servait seulement à prouver l’importance des œuvres qu’il vouait à l’anathème et au ridicule. D’ailleurs, depuis treize mois, pendant lesquels la curiosité publique ne s’est pas ralentie, Richard Wagner a essuyé bien d’autres injures. Il y a quelques années, au retour d’un voyage en Allemagne, Théophile Gautier, très ému par une représentation de Tannhäuser, avait cependant, dans le Moniteur, traduit ses impressions avec cette certitude plastique qui donne un charme irrésistible à tous ses écrits. Mais ces documents divers, tombant à de lointains intervalles, avaient glissé sur l’esprit de la foule.
Aussitôt que les affiches annoncèrent que Richard Wagner ferait entendre dans la salle des Italiens des fragments de ses compositions, un fait amusant se produisit, que nous avons déjà vu, et qui prouve le besoin instinctif, précipité, des Français, de prendre sur toute chose leur parti avant d’avoir délibéré ou examiné. Les uns annoncèrent des merveilles, et les autres se mirent à dénigrer à outrance des œuvres qu’ils n’avaient pas encore entendues. Encore aujourd’hui dure cette situation bouffonne, et l’on peut dire que jamais sujet inconnu ne fut tant discuté. Bref, les concerts de Wagner s’annonçaient comme une véritable bataille de doctrines, comme une de ces solennelles crises de l’art, une de ces mêlées où critiques, artistes et public ont coutume de jeter confusément toutes leurs passions ; crises heureuses qui dénotent la santé et la richesse dans la vie intellectuelle d’une nation, et que nous avions, pour ainsi dire, désapprises depuis les grands jours de Victor Hugo. J’emprunte les lignes suivantes au feuilleton de M. Berlioz (9 février 1860). « Le foyer du Théâtre-Italien était curieux à observer le soir du premier concert. C’étaient des fureurs, des cris, des discussions qui semblaient toujours sur le point de dégénérer en voies de fait. » Sans la présence du souverain, le même scandale aurait pu se produire, il y a quelques jours, à l’Opéra, surtout avec un public plus vrai. Je me souviens d’avoir vu, à la fin d’une des répétitions générales, un des critiques parisiens accrédités, planté prétentieusement devant le bureau du contrôle, faisant face à la foule au point d’en gêner l’issue, et s’exerçant à rire comme un maniaque, comme un de ces infortunés qui, dans les maisons de santé, sont appelés des agités. Ce pauvre homme, croyant son visage connu de toute la foule, avait l’air de dire : « Voyez comme je ris, moi, le célèbre S… ! » Ainsi ayez soin de conformer votre jugement au mien. » Dans le feuilleton auquel je faisais tout à l’heure allusion, M. Berlioz, qui montra cependant beaucoup moins de chaleur qu’on aurait pu en attendre de sa part, ajoutait : « Ce qui se débite alors de non-sens, d’absurdités et même de mensonges est vraiment prodigieux, et prouve avec évidence que, chez nous au moins, lorsqu’il s’agit d’apprécier une musique différente de celle qui court les rues, la passion, le parti pris prennent seuls la parole et empêchent le bon sens et le bon goût de parler. »
Wagner avait été audacieux : le programme de son concert ne comprenait ni solos d’instruments, ni chansons, ni aucune des exhibitions si chères à un public amoureux des virtuoses et de leurs tours de force. Rien que des morceaux d’ensemble, chœurs ou symphonies. La lutte fut violente, il est vrai ; mais le public, étant abandonné à lui-même, prit feu à quelques-uns de ces irrésistibles morceaux dont la pensée était pour lui plus nettement exprimée, et la musique de Wagner triompha par sa propre force. L’ouverture de Tannhäuser, la marche pompeuse du deuxième acte, l’ouverture de Lohengrin particulièrement, la musique de noces et l’épithalame furent magnifiquement acclamés. Beaucoup de choses restaient obscures sans doute, mais les esprits impartiaux se disaient : « Puisque ces compositions sont faites pour la scène, il faut attendre ; les choses non suffisamment définies seront expliquées par la plastique. » En attendant, il restait avéré que, comme symphoniste, comme artiste traduisant par les mille combinaisons du son les tumultes de l’âme humaine, Richard Wagner était à la hauteur de ce qu’il y a de plus élevé, aussi grand, certes, que les plus grands.
J’ai souvent entendu dire que la musique ne pouvait pas se vanter de traduire quoi que ce soit avec certitude, comme fait la parole ou la peinture. Cela est vrai dans une certaine proportion, mais n’est pas tout à fait vrai. Elle traduit à sa manière, et par les moyens qui lui sont propres. Dans la musique, comme dans la peinture et même dans la parole écrite, qui est cependant le plus positif des arts, il y a toujours une lacune complétée par l’imagination de l’auditeur.
Ce sont sans doute ces considérations qui ont poussé Wagner à considérer l’art dramatique, c’est-à-dire la réunion, la coïncidence de plusieurs arts, comme l’art par excellence, le plus synthétique et le plus parfait. Or, si nous écartons un instant le secours de la plastique, du décor, de l’incorporation des types rêvés dans des comédiens vivants, et même de la parole chantée, il reste encore incontestable que plus la musique est éloquente, plus la suggestion est rapide et juste, et plus il y a de chances pour que les hommes sensibles conçoivent des idées en rapport avec celles qui inspiraient l’artiste. Je prends tout de suite un exemple, la fameuse ouverture de Lohengrin, dont M. Berlioz a écrit un magnifique éloge en style technique ; mais je veux me contenter ici d’en vérifier la valeur par les suggestions qu’elle procure.
Je lis dans le programme distribué à cette époque au Théâtre-Italien : « Dès les premières mesures, l’âme du pieux solitaire qui attend le vase sacré plonge dans les espaces infinis. Il voit se former peu à peu une apparition étrange qui prend un corps, une figure. Cette apparition se précise davantage, et la troupe miraculeuse des anges, portant au milieu d’eux la coupe sacrée, passe devant lui. Le saint cortège approche ; le cœur de l’élu de Dieu s’exalte peu à peu ; il s’élargit, il se dilate ; d’ineffables aspirations s’éveillent en lui ; il cède à une béatitude croissante, en se trouvant toujours rapproché de la lumineuse apparition, et quand enfin le Saint-Graal lui-même apparaît au milieu du cortège sacré, il s’abîme dans une adoration extatique, comme si le monde entier eût soudainement disparu.
Cependant le Saint-Graal répand ses bénédictions sur le saint en prière et le consacre son chevalier. Puis les flammes brûlantes adoucissent progressivement leur éclat ; dans sa sainte allégresse, la troupe des anges, souriant à la terre qu’elle abandonne, regagne les célestes hauteurs. Elle a laissé le Saint-Graal à la garde des hommes purs, dans le cœur desquels la divine liqueur s’est répandue, et l’auguste troupe s’évanouit dans les profondeurs de l’espace, de la même manière qu’elle en était sortie. »
Le lecteur comprendra tout à l’heure pourquoi je souligne ces passages. Je prends maintenant le livre de Liszt, et je l’ouvre à la page où l’imagination de l’illustre pianiste (qui est un artiste et un philosophe) traduit à sa manière le même morceau :
« Cette introduction renferme et révèle l’élément mystique, toujours présent et toujours caché dans la pièce… Pour nous apprendre l’inénarrable puissance de ce secret, Wagner nous montre d’abord la beauté ineffable du sanctuaire, habité par un Dieu qui venge les opprimés et ne demande qu’amour et foi à ses fidèles. Il nous initie au Saint-Graal ; il fait miroiter à nos yeux le temple de bois incorruptible, aux murs odorants, aux portes d’or, aux solives d’asbeste, aux colonnes d’opale, aux parois de cymophane, dont les splendides portiques ne sont approchés que de ceux qui ont le cœur élevé et les mains pures. Il ne nous le fait point apercevoir dans son imposante et réelle structure, mais, comme ménageant nos faibles sens, il nous le montre d’abord reflété dans quelque onde azurée ou reproduit par quelque nuage irisé.
ENCORE QUELQUES MOTS
« L’épreuve est faite ! La musique de l’avenir est enterrée ! » s’écrient avec joie tous les siffleurs et cabaleurs. « L’épreuve est faite ! » répètent tous les niais du feuilleton. Et tous les badauds leur répondent en chœur, et très-innocemment : « L’épreuve est faite ! »
En effet, une épreuve a été faite, qui se renouvellera encore bien des milliers de fois avant la fin du monde ; c’est que, d’abord, toute œuvre grande et sérieuse ne peut pas se loger dans la mémoire humaine ni prendre sa place dans l’histoire sans de vives contestations ; ensuite, que dix personnes opiniâtres peuvent, à l’aide de sifflets aigus, dérouter des comédiens, vaincre la bienveillance du public, et pénétrer même de leurs protestations discordantes la voix immense d’un orchestre, cette voix fût-elle égale en puissance à celle de l’Océan. Enfin, un inconvénient des plus intéressants a été vérifié, c’est qu’un système de location qui permet de s’abonner à l’année crée une sorte d’aristocratie, laquelle peut, à un moment donné, pour un motif ou un intérêt quelconque, exclure le vaste public de toute participation au jugement d’une œuvre. Qu’on adopte dans d’autres théâtres, à la Comédie-Française, par exemple, ce même système de location, et nous verrons bientôt, là aussi, se produire les mêmes dangers et les mêmes scandales. Une société restreinte pourra enlever au public immense de Paris le droit d’apprécier un ouvrage dont le jugement appartient à tous.
Les gens qui se croient débarrassés de Wagner se sont réjouis beaucoup trop vite ; nous pouvons le leur affirmer. Je les engage vivement à célébrer moins haut un triomphe qui n’est pas des plus honorables d’ailleurs, et même à se munir de résignation pour l’avenir. En vérité, ils ne comprennent guère le jeu de bascule des affaires humaines, le flux et le reflux des passions. Ils ignorent aussi de quelle patience et de quelle opiniâtreté la Providence a toujours doué ceux qu’elle investit d’une fonction. Aujourd’hui la réaction est commencée ; elle a pris naissance le jour même où la malveillance, la sottise, la routine et l’envie coalisées ont essayé d’enterrer l’ouvrage. L’immensité de l’injustice a engendré mille sympathies, qui maintenant se montrent de tous côtés.
Aux personnes éloignées de Paris, que fascine et intimide cet amas monstrueux d’hommes et de pierres, l’aventure inattendue du drame de Tannhäuser doit apparaître comme une énigme. Il serait facile de l’expliquer par la coïncidence malheureuse de plusieurs causes, dont quelques-unes sont étrangères à l’art. Avouons tout de suite la raison principale, dominante : l’opéra de Wagner est un ouvrage sérieux, demandant une attention soutenue ; on conçoit tout ce que cette condition implique de chances défavorables dans un pays où l’ancienne tragédie réussissait surtout par les facilités qu’elle offrait à la distraction. En Italie, on prend des sorbets et l’on fait des cancans dans les intervalles du drame où la mode ne commande pas les applaudissements ; en France, on joue aux cartes. « Vous êtes un impertinent, vous qui voulez me contraindre à prêter à votre œuvre une attention continue, s’écrie l’abonné récalcitrant, « je veux que vous me fournissiez un plaisir digestif plutôt qu’une occasion d’exercer mon intelligence. » À cette cause principale, il faut en ajouter d’autres qui sont aujourd’hui connues de tout le monde, à Paris du moins. L’ordre impérial, qui fait tant d’honneur au prince, et dont on peut le remercier sincèrement, je crois, sans être accusé de courtisanerie, a ameuté contre l’artiste beaucoup d’envieux et beaucoup de ces badauds qui croient toujours faire acte d’indépendance en aboyant à l’unisson. Le décret qui venait de rendre quelques libertés au journal et à la parole ouvrait carrière à une turbulence naturelle, longtemps comprimée, qui s’est jetée, comme un animal fou, sur le premier passant venu. Ce passant, c’était le Tannhäuser, autorisé par le chef de l’État et protégé ouvertement par la femme d’un ambassadeur étranger. Quelle admirable occasion ! Toute une salle française s’est amusée pendant plusieurs heures de la douleur de cette femme, et, chose moins connue, Mme Wagner elle-même a été insultée pendant une des représentations. Prodigieux triomphe !
Une mise en scène plus qu’insuffisante, faite par un ancien vaudevilliste (vous figurez-vous les Burgraves mis en scène par M. Clairville ?) ; une exécution molle et incorrecte de la part de l’orchestre ; un ténor allemand, sur qui on fondait les principales espérances, et qui se met à chanter faux avec une assiduité déplorable ; une Vénus endormie, habillée d’un paquet de chiffons blancs, et qui n’avait pas plus l’air de descendre de l’Olympe que d’être née de l’imagination chatoyante d’un artiste du moyen âge ; toutes les places livrées, pour deux représentations, à une foule de personnes hostiles ou, du moins, indifférentes à toute aspiration idéale, toutes ces choses doivent être également prises en considération. Seuls (et l’occasion naturelle s’offre ici de les remercier), Mlle Sax et Morelli ont fait tête à l’orage. Il ne serait pas convenable de ne louer que leur talent ; il faut aussi vanter leur bravoure. Ils ont résisté à la déroute ; ils sont restés, sans broncher un instant, fidèles au compositeur. Morelli, avec l’admirable souplesse italienne, s’est conformé humblement au style et au goût de l’auteur, et les personnes qui ont eu souvent le loisir de l’étudier disent que cette docilité lui a profité, et qu’il n’a jamais paru dans un aussi beau jour que sous le personnage de Wolfram. Mais que dirons-nous de M. Niemann, de ses faiblesses, de ses pâmoisons, de ses mauvaises humeurs d’enfant gâté, nous qui avons assisté à des tempêtes théâtrales, où des hommes tels que Frédérick et Rouvière, et Bignon lui-même, quoique moins autorisé par la célébrité, bravaient ouvertement l’erreur du public, jouaient avec d’autant plus de zèle qu’il se montrait plus injuste, et faisaient constamment cause commune avec l’auteur ? - Enfin, la question du ballet, élevée à la hauteur d’une question vitale et agitée pendant plusieurs mois, n’a pas peu contribué à l’émeute. « Un opéra sans ballet ! qu’est-ce que cela ? » disait la routine. « Qu’est-ce que cela ? » disaient les entreteneurs de filles. « Prenez garde ! » disait lui-même à l’auteur le ministre alarmé. On a fait manœuvrer sur la scène, en manière de consolation, des régiments prussiens en jupes courtes, avec les gestes mécaniques d’une école militaire ; et une partie du public disait, voyant toutes ces jambes et illusionné par une mauvaise mise en scène : « Voilà un mauvais ballet et une musique qui n’est pas faite pour la danse. » Le bon sens répondait : « Ce n’est pas un ballet ; mais ce devrait être une bacchanale, une orgie, comme l’indique la musique, et comme ont su quelquefois en représenter la Porte-Saint-Martin, l’Ambigu, l’Odéon, et même des théâtres inférieurs, mais comme n’en peut pas figurer l’Opéra, qui ne sait rien faire du tout. » Ainsi, ce n’est pas une raison littéraire, mais simplement l’inhabileté des machinistes, qui a nécessité la suppression de tout un tableau (la nouvelle apparition de Vénus).
Que les hommes qui peuvent se donner le luxe d’une maîtresse parmi les danseuses de l’Opéra, désirent qu’on mette le plus souvent possible en lumière les talents et les beautés de leur emplette, c’est là certes un sentiment presque paternel que tout le monde comprend et excuse facilement ; mais que ces mêmes hommes, sans se soucier de la curiosité publique et des plaisirs d’autrui, rendent impossible l’exécution d’un ouvrage qui leur déplaît parce qu’il ne satisfait pas aux exigences de leur protectorat, voilà ce qui est intolérable. Gardez votre harem et conservez-en religieusement les traditions ; mais faites-nous donner un théâtre où ceux qui ne pensent pas comme vous pourront trouver d’autres plaisirs mieux accommodés à leur goût. Ainsi nous serons débarrassés de vous et vous de nous, et chacun sera content.
On espérait arracher à ces enragés leur victime en la présentant au public un dimanche, c’est-à-dire un jour où les abonnés et le Jockey-Club abandonnent volontiers la salle à une foule qui profite de la place libre et du loisir. Mais ils avaient fait ce raisonnement assez juste : « Si nous permettons que le succès ait lieu aujourd’hui, l’administration en tirera un prétexte suffisant pour nous imposer l’ouvrage pendant trente jours. » Et ils sont revenus à la charge, armés de toutes pièces, c’est-à-dire des instruments homicides confectionnés à l’avance. Le public, le public entier, a lutté pendant deux actes, et dans sa bienveillance, doublée par l’indignation, il applaudissait non seulement les beautés irrésistibles, mais même les passages qui l’étonnaient et le déroutaient, soit qu’ils fussent obscurcis par une exécution trouble, soit qu’ils eussent besoin, pour être appréciés, d’un impossible recueillement. Mais ces tempêtes de colère et d’enthousiasme amenaient immédiatement une réaction non moins violente et beaucoup moins fatigante pour les opposants. Alors ce même public, espérant que l’émeute lui saurait gré de sa mansuétude, se taisait, voulant avant toute chose connaître et juger. Mais les quelques sifflets ont courageusement persisté, sans motif et sans interruption ; l’admirable récit du voyage à Rome n’a pas été entendu (chanté même ? je n’en sais rien) et tout le troisième acte a été submergé dans le tumulte.
LA REINE DES FACULTÉS
Dans ces derniers temps nous avons entendu dire de mille manières différentes: « Copiez la nature ; ne copiez que la nature. Il n'y a pas de plus grande jouissance ni de plus beau triomphe qu'une copie excellente de la nature». Et cette doctrine, ennemie de l'art, prétendait être appliquée non seulement à la peinture, mais à tous les arts, même au roman, même à la poésie. A ces doctrinaires si satisfaits de la nature un homme imaginatif aurait certainement eu le droit de répondre : « Je trouve inutile et fastidieux de représenter ce qui est, parce que rien de ce qui est ne me satisfait. La nature est laide, et je préfère les monstres de ma fantaisie à la trivialité positive. » Cependant il eût été plus philosophique de demander aux doctrinaires en question, d'abord s'ils sont bien certains de l'existence de la nature extérieure, ou, si cette question eût paru trop bien faite pour réjouir leur causticité, s'ils sont bien sûrs de connaître toute la nature, tout ce qui est contenu dans la nature. Un oui eût été la plus fanfaronne et la plus extravagante des réponses. Autant que j'ai pu comprendre ces singulières et avilissantes divagations, la doctrine voulait dire, je lui fais l'honneur de croire qu'elle voulait dire : L'artiste, le vrai artiste, le vrai poète, ne doit peindre que selon qu'il voit et qu'il sent. Il doit être réellement fidèle à sa propre nature. Il doit éviter comme la mort d'emprunter les yeux et les sentiments d'un autre homme, si grand qu'il soit ; car alors les productions qu'il nous donnerait seraient, relativement à lui, des mensonges, et non des réalités. Or, si les pédants dont je parle (il y a de la pédanterie même dans la bassesse), et qui ont des représentants partout, cette théorie flattant également l'impuissance et la paresse, ne voulaient pas que la chose fût entendue ainsi, croyons simplement qu'ils voulaient dire : « Nous n'avons pas d'imagination, et nous décrétons que personne n'en aura.»
Mystérieuse faculté que cette reine des facultés ! Elle touche à toutes les autres ; elle les excite, elle les envoie au combat. Elle leur ressemble quelquefois au point de se confondre avec elles, et cependant elle est toujours bien elle-même, et les hommes qu'elle n'agite pas sont facilement reconnaissables à je ne sais quelle malédiction qui dessèche leurs productions comme le figuier de l'Évangile.
Elle est l'analyse, elle est la synthèse ; et cependant des hommes habiles dans l'analyse et suffisamment aptes à faire un résumé peuvent être privés d'imagination. Elle est cela, et elle n'est pas tout à fait cela. Elle est la sensibilité, et pourtant il y a des personnes très sensibles, trop sensibles peut-être, qui en sont privées. C'est l'imagination qui a enseigné à l'homme le sens moral de la couleur, du contour, du son et du parfum. Elle a créé, au commencement du monde, l'analogie et la métaphore. Elle décompose toute la création, et, avec les matériaux amassés et disposés suivant des règles dont on ne peut trouver l'origine que dans le plus profond de l'âme, elle crée un monde nouveau, elle produit la sensation du neuf. Comme elle a créé le monde (on peut bien dire cela, je crois, même dans un sens religieux), il est juste qu'elle le gouverne. Que dit-on d'un guerrier sans imagination ? Qu'il peut faire un excellent soldat, mais que, s'il commande des armées, il ne fera pas de conquêtes. Le cas peut se comparer à celui d'un poète ou d'un romancier qui enlèverait à l'imagination le commandement des facultés pour le donner, par exemple, à la connaissance de la langue ou à l'observation des faits. Que dit-on d'un diplomate sans imagination ? Qu'il peut très bien connaître l'histoire des traités et des alliances dans le passé, mais qu'il ne devinera pas les traités et les alliances contenus dans l'avenir. D'un savant sans imagination ? Qu'il a appris tout ce qui, ayant été enseigné, pouvait être appris, mais qu'il ne trouvera pas les lois non encore devinées. L'imagination est la reine du vrai, et le possible est une des provinces du vrai. Elle est positivement apparentée avec l'infini.
Sans elle, toutes les facultés, si solides ou si aiguisées qu'elles soient, sont comme si elles n'étaient pas, tandis que la faiblesse de quelques facultés secondaires, excitées par une imagination vigoureuse, est un malheur secondaire. Aucune ne peut se passer d'elle, et elle peut suppléer quelques-unes. Souvent ce que celles-ci cherchent et ne trouvent qu'après les essais successifs de plusieurs méthodes non adaptées à la nature des choses, fièrement et simplement elle le devine. Enfin elle joue un rôle puissant même dans la morale ; car, permettez-moi d'aller jusque-là, qu'est-ce que la vertu sans imagination ? Autant dire la vertu sans la pitié, la vertu sans le ciel ; quelque chose de dur, de cruel, de stérilisant, qui, dans certains pays, est devenu la bigoterie, et dans certains autres le protestantisme.
Malgré tous les magnifiques privilèges que j'attribue à l'imagination, je ne ferai pas à vos lecteurs l'injure de leur expliquer que mieux elle est secourue et plus elle est puissante, et, que ce qu'il y a de plus fort dans les batailles avec l'idéal, c'est une belle imagination disposant d'un immense magasin d'observations. Cependant, pour revenir à ce que je disais tout à l'heure relativement à cette permission de suppléer que doit l'imagination à son origine divine, je veux vous citer un exemple, un tout petit exemple, dont vous ne ferez pas mépris, je l'espère. Croyez-vous que l'auteur d'Antony, du Comte Hermann, de Monte-Cristo, soit un savant? Non, n'est-ce pas ? Croyez-vous qu'il soit versé dans la pratique des arts, qu'il en ait fait une étude patiente ? Pas davantage. Cela serait même, je crois, antipathique à sa nature. Eh bien, il est un exemple qui prouve que l'imagination, quoique non servie par la pratique et la connaissance des termes techniques, ne peut pas proférer de sottises hérétiques en une matière qui est, pour la plus grande partie, de son ressort. Récemment je me trouvais dans un wagon, et je rêvais à l'article que j'écris présentement ; je rêvais surtout à ce singulier renversement des choses qui a permis, dans un siècle, il est vrai, où, pour le châtiment de l'homme, tout lui a été permis, de mépriser la plus honorable et la plus utile des facultés morales, quand je vis, traînant sur un coussin voisin, un numéro égaré de l'Indépendance belge. Alexandre Dumas s'était chargé d'y faire le compte rendu des ouvrages du Salon. La circonstance me commandait la curiosité. Vous pouvez deviner quelle fut ma joie quand je vis mes rêveries pleinement vérifiées par un exemple que me fournissait le hasard. Que cet homme, qui a l'air de représenter la vitalité universelle, louât magnifiquement une époque qui fut pleine de vie, que le créateur du drame romantique chantât, sur un ton qui ne manquait pas de grandeur, je vous assure, le temps heureux où, à côté de la nouvelle école littéraire, florissait la nouvelle école de peinture :Delacroix, les Devéria, Boulanger, Poterlet, Bonington, etc., le beau sujet d'étonnement ! direz-vous. C'est bien là son affaire ! Laudator temporis acti ! Mais qu'il louât spirituellement Delacroix, qu'il expliquât nettement le genre de folie de ses adversaires, et qu'il allât plus loin même, jusqu'à montrer en quoi péchaient les plus forts parmi les peintres de la plus récente célébrité ; que lui, Alexandre Dumas, si abandonné, si coulant, montrât si bien, par exemple, que Troyon n'a pas de génie et ce qui lui manque même pour simuler le génie, dites-moi, mon cher ami, trouvez-vous cela aussi simple ? Tout cela, sans doute, était écrit avec ce lâché dramatique dont il a pris l'habitude en causant avec son innombrable auditoire ; mais cependant que de grâce et de soudaineté dans l'expression du vrai ! Vous avez fait déjà ma conclusion : Si Alexandre Dumas, qui n'est pas un savant, ne possédait pas heureusement une riche imagination, il n'aurait dit que des sottises ; il a dit des choses sensées et les a bien dites, parce que... (il faut bien achever) parce que l'imagination, grâce à sa nature suppléante, contient l'esprit critique.
Il reste, cependant, à mes contradicteurs une ressource, c'est d'affirmer qu'Alexandre Dumas n'est pas l'auteur de son Salon. Mais cette insulte est si vieille et cette ressource si banale qu'il faut l'abandonner aux amateurs de friperie, aux faiseurs de courriers et de chroniques. S'ils ne l'ont pas déjà ramassée, ils la ramasseront.
Nous allons entrer plus intimement dans l'examen des fonctions de cette faculté cardinale (sa richesse ne rappelle-t-elle pas des idées de pourpre?). Je vous raconterai simplement ce que j'ai appris de la bouche d'un maître homme, et, de même qu'à cette époque je vérifiais, avec la joie d'un homme qui s'instruit, ses préceptes si simples sur toutes les peintures qui tombaient sous mon regard, nous pourrons les appliquer successivement, comme une pierre de touche, sur quelques-uns de nos peintres.
III/2
Je tiens seulement à faire observer, à la grande louange de Wagner que, malgré l’importance très-juste qu’il donne au poème dramatique, l’ouverture de Tannhäuser, comme celle de Lohengrin, est parfaitement intelligible, même à celui qui ne connaîtrait pas le livret ; et ensuite, que cette ouverture contient non seulement l’idée mère, la dualité psychique constituant le drame, mais encore les formules principales, nettement accentuées, destinées à peindre les sentiments généraux exprimés dans la suite de l’œuvre, ainsi que le démontrent les retours forcés de la mélodie diaboliquement voluptueuse et du motif religieux ou Chant des pèlerins, toutes les fois que l’action le demande. Quant à la grande marche du second acte, elle a conquis depuis longtemps le suffrage des esprits les plus rebelles, et l’on peut lui appliquer le même éloge qu’aux deux ouvertures dont j’ai parlé, à savoir d’exprimer de la manière la plus visible, la plus colorée, la plus représentative, ce qu’elle veut exprimer. Qui donc, en entendant ces accents si riches et si fiers, ce rhythme pompeux élégamment cadencé, ces fanfares royales, pourrait se figurer autre chose qu’une pompe féodale, une défilade d’hommes héroïques, dans des vêtements éclatants, tous de haute stature, tous de grande volonté et de foi naïve, aussi magnifiques dans leurs plaisirs que terribles dans leurs guerres ?
Que dirons-nous du récit de Tannhäuser, de son voyage à Rome, où la beauté littéraire est si admirablement complétée et soutenue par la mélopée, que les deux éléments ne font plus qu’un inséparable tout ? On craignait la longueur de ce morceau, et cependant le récit contient, comme on l’a vu, une puissance dramatique invincible. La tristesse, l’accablement du pécheur pendant son rude voyage, son allégresse en voyant le suprême pontife qui délie les péchés, son désespoir quand celui-ci lui montre le caractère irréparable de son crime, et enfin le sentiment presque ineffable, tant il est terrible, de la joie dans la damnation ; tout est dit, exprimé, traduit, par la parole et la musique, d’une manière si positive, qu’il est presque impossible de concevoir une autre manière de le dire. On comprend bien alors qu’un pareil malheur ne puisse être réparé que par un miracle et on excuse l’infortuné chevalier de chercher encore le sentier mystérieux qui conduit à la grotte, pour retrouver au moins les grâces de l’enfer auprès de sa diabolique épouse.
Le drame de Lohengrin porte, comme celui de Tannhäuser, le caractère sacré, mystérieux, et pourtant universellement intelligible de la légende. Une jeune princesse, accusée d’un crime abominable, du meurtre de son frère, ne possède aucun moyen de prouver son innocence. Sa cause sera jugée par le jugement de Dieu. Aucun chevalier présent ne descend pour elle sur le terrain ; mais elle a confiance dans une vision singulière : un guerrier inconnu est venu la visiter en rêve. C’est ce chevalier-là qui prendra sa défense. En effet, au moment suprême et comme chacun la juge coupable, une nacelle approche du rivage, tirée par un cygne attelé d’une chaîne d’or. Lohengrin, chevalier du Saint-Graal, protecteur des innocents, défenseur des faibles, a entendu l’invocation du fond de la retraite merveilleuse où est précieusement conservée cette coup divine, deux fois consacrée par la sainte Cène et par le sang de Notre-Seigneur, que Joseph d’Arimathie y recueillit tout ruisselant de sa plaie. Lohengrin, fils de Parcival, descend de la nacelle, revêtu d’une armure d’argent, le casque en tête, le bouclier sur l’épaule, une petite trompe d’or au côté, appuyé sur son épée. « Si je remporte pour toi la victoire, dit Lohengrin à Elsa, veux-tu que je sois ton époux ? … Elsa, si tu veux que je m’appelle ton époux…, il faut que tu me fasses une promesse : jamais tu ne m’interrogeras, jamais tu ne chercheras à savoir ni de quelles contrées j’arrive, ni quel est mon nom et ma nature. » Et Elsa : « Jamais, seigneur, tu n’entendras de moi cette question. » Et, comme Lohengrin répète solennellement la formule de la promesse, Elsa répond : « Mon bouclier, mon ange, mon sauveur ! toi qui crois fermement à mon innocence, pourrait-il y avoir un doute plus criminel que de n’avoir pas foi en toi ? Comme tu me défends dans ma détresse, de même je garderai fidèlement la loi que tu m’imposes. » Et Lohengrin, la serrant dans ses bras, s’écrie : « Elsa, je t’aime ! » Il y a là une beauté de dialogue comme il s’en trouve fréquemment dans les drames de Wagner, toute trempée de magie primitive, toute grandie par le sentiment idéal, et dont la solennité ne diminue en rien la grâce naturelle.
L’innocence d’Elsa est proclamée par la victoire de Lohengrin ; la magicienne Ortrude et Frédéric, deux méchants intéressés à la condamnation d’Elsa, parviennent à exciter en elle la curiosité féminine, à flétrir sa joie par le doute, et l’obsèdent maintenant jusqu’à ce qu’elle viole son serment et exige de son époux l’aveu de son origine. Le doute a tué la foi, et la foi disparue emporte avec elle le bonheur. Lohengrin punit par la mort Frédéric d’un guet-apens que celui-ci lui a tendu, et devant le roi, les guerriers et le peuple assemblés, déclare enfin sa véritable origine : « … Quiconque est choisi pour servir le Graal est aussitôt revêtu d’une puissance surnaturelle ; même celui qui est envoyé par lui dans une terre lointaine, chargé de la mission de défendre le droit de la vertu, n’est pas dépouillé de sa force sacrée autant que reste inconnue sa qualité de chevalier du Graal ; mais telle est la nature de cette vertu du Saint-Graal, que, dévoilée, elle fuit aussitôt les regards profanes ; c’est pourquoi vous ne devez concevoir nul doute sur son chevalier ; s’il est reconnu par vous, il lui faut vous quitter sur-le-champ. Ecoutez maintenant comment il récompense la question interdite ! Je vous ai été envoyé par le Graal ; mon père, Parcival, porte sa couronne ; moi, son chevalier, j’ai nom Lohengrin. » Le cygne reparaît sur la rive pour remmener le chevalier vers sa miraculeuse patrie. La magicienne, dans l’infatuation de sa haine, dévoile que le cygne n’est autre que le frère d’Elsa, emprisonné par elle dans un enchantement. Lohengrin monte dans la nacelle après avoir adressé au Saint-Graal une fervente prière. Une colombe prend la place du cygne, et Godefroi, duc de Brabant, reparaît. Le chevalier est retourné vers le mont Salvat. Elsa qui a douté, Elsa qui a voulu savoir, examiner, contrôler, Elsa a perdu son bonheur. L’idéal est envolé.
Le lecteur a sans doute remarqué dans cette légende une frappante analogie avec le mythe de la Psyché antique, qui, elle aussi, fut victime de la démoniaque curiosité, et, ne voulant pas respecter l’incognito de son divin époux, perdit, en pénétrant le mystère, toute sa félicité. Elsa prête l’oreille à Ortrude, comme Eve au serpent. L’Eve éternelle tombe dans l’éternel piège. Les nations et les races se transmettent-elles des fables, comme les hommes se lèguent des héritages, des patrimoines ou des secrets scientifiques ? On serait tenté de le croire, tant est frappante l’analogie morale qui marque les mythes et les légendes éclos dans différentes contrées. Mais cette explication est trop simple pour séduire longtemps un esprit philosophique. L’allégorie créée par le peuple ne peut pas être comparée à ces semences qu’un cultivateur communique fraternellement à un autre qui les veut acclimater dans son pays. Rien de ce qui est éternel et universel n’a besoin d’être acclimaté. Cette analogie morale dont je parlais est comme l’estampille divine de toutes les fables populaires. Ce sera bien, si l’on veut, le signe d’une origine unique, la preuve d’une parenté irréfragable, mais à la condition que l’on ne cherche cette origine que dans le principe absolu et l’origine commune de tous les êtres. Tel mythe peut être considéré comme frère d’un autre, de la même façon que le nègre est dit le frère du blanc. Je ne nie pas, en de certains cas, la fraternité ni la filiation ; je crois seulement que dans beaucoup d’autres l’esprit pourrait être induit en erreur par la ressemblance des surfaces ou même par l’analogie morale, et que, pour reprendre notre métaphore végétale, le mythe est un arbre qui croît partout en tout climat, sous tout soleil, spontanément et sans boutures. Les religions et les poésies des quatre parties du monde nous fournissent sur ce sujet des preuves surabondantes. Comme le péché est partout, la rédemption est partout ; le mythe partout. Rien de plus cosmopolite que l’Eternel. Qu’on veuille bien me pardonner cette digression qui s’est ouverte devant moi avec une attraction irrésistible. Je reviens à l’auteur de Lohengrin.
Voici le spot radio qui accompagnera le lancement de Crénom, Baudelaire ! adapté du roman de Jean Teulé par Dominique et Tino Gelli.
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