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Critique de Bloglitterairedecalliope


» En tant que dernière réserve naturelle de désir sans fin et de plaisir gratuit, nous contrevenons à la marche du monde vers les abysses technologiques. En tant que dernière représentante de l'espèce humaine, nous faisons tache dans la grande parade post-humaniste ».

L'Arcadie dans la mythologie grecque est la patrie du dieu Pan. Représentée dans les siècles ultérieurs comme le pays du bonheur, le pays idéal, elle est le point de départ de l'utopie décrite ici par Emmanuelle Bayamak Tam. Farah, la jeune narratrice, est arrivée à l'âge de trois ans à Liberty House, une communauté libertaire située dans une zone blanche où se réfugient ses parents qui fuient la pollution électromagnétique.Elle y découvre une vie proche d'une nature préservée et harmonieuse, une sorte d'Eden, « un paradis avant la chute », où elle grandit au milieu de vergers en fleurs, de genêts et de grands pins où virevoltent les mésanges et les geais.A Liberty House, tout le monde « baigne dans l'amour ». Arcady, le chef, s'y comporte en »bon berger menant paître son troupeau ingénu ». Cette existence pastorale pourrait faire oublier le fonctionnement sectaire de ce lieu hors norme où on n'a aucun scrupule à dépouiller de vieilles femmes richissimes – il faut bien remplir les caisses vides- et où l'initiation sexuelle passe aussi par le gourou des lieux. Mais la drôlerie et l'humour tordent le cou à l'esprit de sérieux: Farah a une grand-mère LGBT, naturiste qui se promène nue à longueur de journée tandis que l'adolescente ne pense qu'à perdre sa virginité et qu'une brochette d'originaux occupe l'espace romanesque. Ainsi le lecteur se trouve-t'il déstabilisé, ne sachant que penser de ce drôle de lieu. Et lorsque la jeune fille se découvre atteinte du syndrome de Rokitanski qui la transforme en un être intersexué, ni fille ni garçon, c'est avec une force, une énergie folle et une drôlerie communicative qu'elle va transformer ce qui pourrait être une catastrophe en un atout étonnant. L'arrivée de migrants dans cette région transfrontalière va bouleverser l'équilibre de la communauté. Farah déçue par Arcady dont la mesquinerie finit par s'étaler au grand jour fuira- t'elle la communauté ou inventera-t'elle une utopie nouvelle?

Le roman instable passe constamment de l'utopie à la dystopie. Fin du monde et apocalypse cohabitent en effet avec les forces de vie et l'éloge du désir. En Arcadie la norme laisse place à la liberté, avec cette idée que la beauté est multiple, même celle qui est monstrueuse. Ce roman d'apprentissage à bien des égards fait figure d'ovni dans le paysage littéraire. Avec une grande liberté, Emmanuelle Bayamak Tam donne le sentiment d'avoir lâché la bride sur le cou de son personnage qui lui échappe peu à peu pour laisser libre cours à sa fantaisie.

» Rien ne résistera à cette convergence, à cette grande marche des fiertés, à cette vague migratoire d'un genre nouveau, aussi fluide que bigarré, aussi déviant que radical. Mon héritage est là aussi, dans la certitude que l'infraction doit primer sur la norme, dans la conviction qu'il ne peut y avoir de vie qu'irrégulière et de beauté que monstrueuse. »
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