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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
De toutes les auteures françaises actuelles, Emmanuelle Bayamack-Tam alias Rebecca Lighieri est à mes yeux la plus fascinante et la plus audacieuse.
Fascinante et audacieuse par sa langue, capable de mêler dans une même harmonie un vocabulaire recherché aux termes les plus crus et les plus triviaux. Je ne vois pas un seul écrivain aujourd'hui qui entrelace avec un si évident talent les circonvolutions de la langue classique aux fulgurances de l'argot, un argot qui, sous sa plume, loin d'apparaître plaqué ou artificiel, insuffle une vitalité et une authenticité inouïes au récit. Elle me fait penser au compositeur de musique électronique Thylacine, qui mixe avec aisance les rythmes syncopés de la techno avec les symphonies lyriques de Verdi ou de Beethoven. La musique est d'ailleurs omniprésente dans l'oeuvre de Bayamack-Tam, où sans surprise, l'opéra dialogue avec le rock n'roll et la pop music. Mais ce qui traverse toute son oeuvre, plus encore que la musique, c'est la poésie et son équivalent populaire : la chanson.

La poésie est bien davantage qu'un agréable passe-temps pour les personnages de ses romans, elle est ce qui les aide à vivre, ce qui leur permet de supporter la laideur ordinaire du monde. Dans Si tout n'a pas péri avec mon innocence, la jeune Kim tente, en vain, de partager son amour naissant pour la poésie, en particulier pour Baudelaire, avec son obtuse famille. Dans Je viens, Charonne la mal-aimée trouve le salut dans sa rencontre ave le fantôme du poète héroïnomane Coco de Colchide. Et dans ce roman-ci, la poésie est placée au coeur de la théologie et de la liturgie de la secte de la Treizième Heure, qui termine chacune de ses célébrations par ce sonnet de Nerval :

« La Treizième revient… C'est encor la première;
Et c'est toujours la seule, ou c'est le seul moment ;
Car es-tu reine, ô toi! la première ou dernière ?
Es-tu roi, toi le seul ou le dernier amant ?… »

La beauté est ce qui confère au monde sa suprême valeur, la poésie est ce qui l'incarne le mieux, elle agit comme un guide spirituel, au même titre que la foi, dans l'existence de ceux qui ont la chance d'être touchés par elle :
« Tout est dit, tout est là, et il n'y a qu'à ouvrir Les Fleurs du mal pour trouver des façons d'exister. »

Mais si la beauté est une raison nécessaire, elle n'est pas une raison suffisante pour assurer le bonheur, ou, à défaut, une vie à peu près digne d'être vécue. Ce qui permet aux êtres de grandir et de s'épanouir vraiment, c'est l'amour. Or, l'amour est précisément ce qui fait gravement défaut aux familles disséquées de livre en livre par Bayamack-Tam. Les jeunes héros et héroïnes de ses romans sont le plus souvent en butte à une mère incapable d'aimer et à un père qui s'efforce tant bien que mal de pallier aux insuffisances maternelles. Ces enfants et adolescents en manque d'amour se heurtent de surcroît à l'indifférence ou au rejet de la part de leurs camarades d'école, quand ils ne sont pas harcelés, ou maltraités.

Parfois, ces enfants mal-aimés grandissent, puis tombent follement amoureux. Et c'est à la fois ce qui les perd et ce qui les sauve. L'amour chez Bayamack-Tam est incandescent, absolu et indissociablement lié à la sexualité, une sexualité décomplexée et solaire, qu'elle décrit comme tout le reste, de cette façon incomparable qui fait entrer en résonance l'image et la métaphore avec le vocabulaire le plus cru :

« Je ne verrais aucun inconvénient à baiser Nelly tout en pensant à Hind, à la fleur ouverte de ses aisselles, au renflement de ses seins, à sa cambrure duveteuse, à la perfection de ses fesses – et à sa verge grossissant dans ma bouche quand elle me laissait la sucer. »

Mais d'autres fois, ces enfants mal-aimés trop doux, trop tendres pour survivre à la cruauté de notre monde, meurent dans la fleur de l'âge. Ce sont toujours les garçons qui meurent. Les filles, elles, développent une force intérieure inexpugnable qui leur confère une aura hors du commun, aidées en cela par l'amour qu'elles savent dénicher là où on ne l'attend pas : chez de très vieilles dames retirées du monde, dans un camp de gitans où l'on vit d'expédients, ou encore dans une secte qui célèbre l'amour tout en récitant du Ronsard.
La secte fait pour la première fois son apparition dans l'oeuvre de Bayamack-Tam avec Arcadie. Elle offre à Farah, jeune adolescente intersexuée, un cocon hyper protecteur dans lequel l'amour règne sans partage, mais duquel elle doit s'extraire pour mener une vie autonome et adulte. Dans La Treizième Heure, nous retrouvons une adolescente hermaphrodite du nom de Farah, placée dans un contexte différent. Élevée par son père, Lenny, qui prépare sa communauté de croyants à l'imminence de la fin du monde, elle est issue d'une filiation extrêmement embrouillée. Sa mère, Hind, l'a abandonnée à sa naissance, mais qui est cette femme, au fond? Est-elle bien sa mère? D'ailleurs qui est la mère, à une époque où le concept de mère est brouillé par l'évolution des pratiques culturelles et scientifiques? Et Lenny, cet homme qui l'aime plus que tout et prend soin d'elle depuis sa naissance, est-il bien son père? Car dans ce roman plus que dans tout autre roman de Bayamack-Tam, les êtres ne sont pas clairement assignés à un genre.

En questionnant, à travers le personnage de Farah ou de Hind, la transidentité, l'auteure perpétue un questionnement qui traverse, me semble-t-il, toute son oeuvre : qu'est-ce que la normalité ? En mettant en scène des personnages qui, par certaines de leurs caractéristiques physiques — handicap, obésité, extrême vieillesse, vulve ou bite atrophiées… — raciales ou autres — beurs, gitans, gays, lesbiennes, queer, trans…— n'entrent pas dans le cadre normé communément admis, elle nous amène à penser à rebours de la pensée dominante. Sous sa plume, l'anormal a l'air d'être la norme ou plutôt, apparaît plus aimable et désirable que la norme, la transgression nous sauve de la normalité morose et du conformisme sclérosant.

Au fil de son oeuvre, tour à tour solaire et crépusculaire, Emmanuelle Bayamack-Tam alias Rebecca Lighieri, « soignant ses images et serrant de près le sens dans le langage » , nous adresse encore et toujours le même message : cultivez vos singularités, tâchez d'être un esprit libre, même si le prix à payer est la solitude. Cependant, même si son énergie, sa force de conviction m'ont paru intactes dans La Treizième Heure, j'y ai décelé, affleurant ça et là, un profond découragement.

« Qui sera là ? Personne. le désastre aura eu lieu. Et je ne parle ni des méga-feux, ni des cyclones, ni même des virus qui menacent de nous décimer, vague après vague, variant après variant. Non, je parle du saccage de l'innocence, je parle du programme de destruction massive de la pensée, je parle de la persécution à grande échelle de tout ce qui est beau, sauvage et libre. »

Aussi, lisons cette auteure étonnante au message profondément humaniste qui sait si ardemment nommer les choses, et célébrons avec elle tout ce qui est beau, sauvage et libre.
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Ce roman est sacrément culotté ! (ou pas).

Ça commence doucement : une adolescente en quête d‘identité nous confie ses questionnements, et nous présente son décor : elle vit au sein d'une communauté millénariste, et son père en est le dieu vivant. L'historique, les caractéristiques des adeptes, tout cela est traité avec humour par cette ado passionnée de littérature, ce qui ne saurait nuire. le doute survient en fin de première partie lorsque Farah fait un état des lieux de la progression de sa puberté, et émet des doutes sur sa filiation .

C'est ensuite Lenny, le père, le gourou charismatique, qui va lever le voile sur la naissance de sa fille. Avec des révélations fracassantes que je me garderai bien de révéler !

Le clou du numéro arrive avec la dernière narratrice, Hind, mère de Farah, qui fait un come-back remarqué dans ce foyer qu'elle avait quitté avec perte et fracas quelques jours après la naissance de sa fille. Cette fois c'est la révolution, l'inversion de l'ordre des choses, les retournements de situation (sic), déstabilisants, pour une fin en feu d'artifice.

Dans cette histoire, ce ne sont pas tant les particularités de chaque personnage qui étonnent, mais leur coexistence. Ce qui permet à l'autrice de faire un point documenté autour de la problématique de l'identité sexuelle.

Sans oublier le ton humoristique qui allège le propos et qui permet aussi de faire passer des scènes explicites et crues sans choquer.

Surprise par le sujet, la façon de le traiter et l'univers très différent du roman Il est des hommes qui se perdront toujours, j'ai vraiment beaucoup apprécié !

512 pages POL 18 août 2022
Sélection Landerneau 2022

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Ce roman est un véritable coup de coeur.

J'ai trouvé le début très lent, tellement lent. Les 100 premières pages, je n'ai pas accroché. Cette histoire de secte m'a rebuté. Mais ensuite, je n'ai pas pu décrocher.

J'ai aimé chacun des personnages et leur sensibilité. J'ai apprécié pouvoir connaître leur version des faits et leurs sentiments.

Un récit qui parle de la construction d'un être et de l'identité sexuelle. Un roman d'apprentissage, mais aussi un roman sur la tolérance et la différence.

Un roman bouleversant, que je vais longtemps garder en mémoire.
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C'est avec une certaine appréhension que j'ai commencé la lecture de LA TREIZIEME HEURE..... Farah, une secte , son gourou , voilà qui me rappelait ARCADIE le précédent roman de Emmanuelle Bayamack-Tam dont je n'avais pas apprécié l'atmosphère .

Ici, pas vraiment de secte, plutôt « une confrérie » dont le message est « peu ou prou celui de Jésus , en plus écologiste, en plus féministe et en plus queer »
De sexe, il en est question, mais sous l'angle de « l'ambiguïté anatomique », du « désordre organique », de la transidentité et de la filiation ( assez compliquée, ici ).
Questions abordées au travers de trois récits complémentaires : celui de Farah, adolescente à la recherche d'une mère « qui s'est volatilisée » peu de temps après sa naissance , de Lenny, qui l'élevée : son père pour l'état civil et non son géniteur, enfin celui de Hing, sa mère d'intention. Il y manque celui de la mère porteuse, mais elle apparaît seulement comme un personnage des deux autres récits .

Certes, le roman présente des longueurs,, mais qui sont liées au contenu de chacun des récits
Celui de Farah est l'enquête que l' adolescente , qui telle un détective, mène sur l'identité de sa mère, n'ayant de cesse de chercher à d'obtenir des indices sur son identité.
Celui de Lenny est une sorte de plaidoyer dans lequel il explique les circonstances de la rencontre avec la mère, la montée du désir d'enfant et les moyens de le mettre en oeuvre .
Enfin celui de Hing est une confession , un mea culpa , un acte de contrition.
De plus la question de l'ambiguïté anatomique impose des passages de commentaire médical qui n'ont rien de romanesque .

Mais cela n'a pas suffit à altérer mon plaisir de lecture.
J'ai d'abord apprécié la manière dont l'auteure a su aborder le sujet délicat de la transidentité, avec tact et délicatesse, en nous faisant partager le vécu intérieur de chaque personnage face à sa singuralité .

Mais ce qui , pour moi, a fait de la lecture de ce livre une véritable gourmandise, c'est la récurrence des références à la littérature en général et en particulier à la poésie. S' y ajoutent des références au cinéma, à la chanson et enfin dans les pages 276 à 279, au pouvoir magique du chant d'opéra.
Le roman est régulièrement ponctué d'extraits de poèmes qui s'intègrent parfaitement à la narration en prose, comme si Lenny « vampirisé » dès son enfance par la poésie classique, et dont les prêches étaient ponctués de ses « obsessions lyriques », avait contaminé le discours de sa fille et de sa compagne.
Quel plaisir de retrouver, parfaitement intégrés à la prose, des extraits de poèmes de Hugo, Baudelaire, Rimbaud , Nerval et de bien d'autres dont la liste complète figure en dernière page !
C'est comme un hommage à de grands noms de la littérature qui continuent au travers des siècles à alimenter notre imaginaire .

Tout en étant un roman d'aujourd'hui par son thème central, par son appel à l'acceptation de la différence, c'est aussi une oeuvre qui par ses emprunts au patrimoine littéraire relie le présent au passé .
Emmanuelle Bayamack-Tam a bien mérité du Prix Landerneau des Lecteurs 2022 qui vient de lui être décerné .
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Ah ! préférons cette chimère
À leur froide moralité
Après Arcadie, l'auteur continue de creuser le sillon de la transsexualité dans La Treizième Heure, et par la fiction elle nous offre l'oeil de l'arbitre sur un court de tennis où le troisième joueur attendrait d'entrer dans le jeu pour affronter le gagnant du premier simple.
Dans cette communauté queer et millénariste Farah raconte son parcours, récit auquel Lenny, le père donnera sa version ainsi que Hind sa mère. Raccourci volontaire car les liens de ce trio sont beaucoup plus complexes.
Lenny se nourrit de poésie et le premier acte d'indépendance de Farah est de lire le plus de romans possible.
« Moi qui bois ses paroles et obéis à toutes ses injonctions, je me suis pourtant promis de lire tous les romans, et tant pis si c'est mission impossible : je sens bien qu'il faut que je me gagne un espace de liberté — car l'inconvénient d'avoir un père extraordinaire, c'est qu'il est à la fois omniprésent, insurpassable, et tyrannique à son corps défendant. »
Dans cette communauté on y célèbre la différence, les familles composites et tout ce qui diffère de la sacro-sainte norme.
Farah est aussi fascinante que dans Arcadie mais en même temps elle est plus sombre, sa quête est portée sur ses origines plus que sur son identité, car elle s'assume et finalement cette communauté l'enrichit, elle approfondit et oscille en permanence entre mauvais esprit et lucidité, ce qui met l'accent sur la complexité ou la simplicité à accepter la différence.
L'auteur par la profondeur et l'humour qu'elle met dans ses romans, nous offre une multiplicité de regards et offre une formidable fenêtre sur un monde qui change sans que nous puissions arrêter ce mouvement perpétuel.
Les bouleversements du monde nous pouvons les accompagner ou les rejeter, mais ils se feront.
Cela signifie-t-il la fin du monde ?
Peut-être seulement un monde plus juste s'il intègre la diversité.
C'est aussi un livre qui rend un merveilleux hommage à la littérature :
« Car l'humanité peut bien allée à sa perte, tant que j'aurais mes livres, je m'en soucierai somme toute assez peu. »
Je me suis posé une question qui reste sans réponse à ce jour, le nom de cette communauté est-il un clin d'oeil au titre du quatrième volume des mémoires d'Élisabeth de Gramont ?
Je trouve le travail d'Emmanuelle Bayamack-Tam remarquable car elle réussit à mettre en scène des personnages forts avec une somme de connaissances sur le sujet sans lasser, la lecture se fait avec un intérêt soutenu. Impression qui s'est confirmée alors que je pensais que ce n'était pas un sujet pour moi, ma génération.
L'écriture est belle car elle joue sur plusieurs registres, la poésie, l'identité des protagonistes, la culture et l'humour, notamment dans le titre des chapitres.
Faire ressortir la force sans masquer les faiblesses, mettre au jour la multiplicité des êtres dans le monde mais dans aussi la multiplicité dans l'unicité.
Lu dans le cadre du Prix Landerneau 2022.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2022/10/08/la-treizieme-heure/

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Dès les premières lignes j'ai été captivée et séduite par l'écriture d'Emmanuelle Bayamack Tam. Il s'agit ici d'une famille atypique qui s'exprime sous forme d'un roman choral. Farah, Lenny, Hind, des personnages d'une consistance telle qu'on arrive sans peine à les visualiser, prennent la parole à tour de rôle. Il y est question d'à peu près tout ce qui nous occupe actuellement, de nombreux sujets d'actualité sont balayés, avec humour, émotion et énergie. C'est vivant et lumineux, grâce à la poésie qui prend toute sa place ici, ainsi que la musique. Une très belle découverte pour moi et une auteure que je suivrai de près. Ce roman est en lice pour le Prix Landerneau des Lecteurs 2022.
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Ceux qui ont lu « Arcadie », le précédent roman d'Émmanuelle Bayamack-Tam, retrouveront une certaine Farah que, cette fois-ci l'autrice a glissée dans une tout autre aventure. Un point commun lie néanmoins les homonymes : un genre indéterminé.
C'est par la voix de Farah que s'ouvre ce récit choral qui se déroule au coeur d'une communauté créée par Lenny, son père adoré, sous le nom d'Église de la Treizième Heure, sorte d'association de Dépressifs Anonymes que le fondateur entend bien sortir de la neurasthénie à coups de poèmes, armes destinées à révéler la beauté et la joie.
Malgré un « prosélytisme acharné », la congrégation peine à recruter. Parce que tout le monde se fiche de la joie, et encore plus de la beauté, se désole Farah.
En pleine adolescence, cette amatrice de littérature romanesque un brin misanthrope s'interroge sur son identité de genre. Normal quand on a un corps à la pilosité abondante, un clitoris qui ressemble à un micropénis, une poitrine à peine bourgeonnante, un vagin en cul-de-sac et que tout le monde vous appelle « jeune homme ». Et, à seize ans, elle n'a toujours pas ses règles. À sa naissance, les médecins ont hésité sur la « malformation » dont elle était atteinte : hyperplasie congénitale des surrénales, insensibilité aux androgènes, hypoplasie vaginale. Bref, elle est ce qu'on appelle, pour faire simple, intersexuée. « Je suis rien, en fait » constate-t-elle.
Mais c'est surtout le mystère de ses origines qui la perturbe. Sa mère ayant disparu une semaine après sa naissance, elle n'a de cesse de la retrouver et assaille son père de questions. Les réponses seront évasives, voire mensongères, et Farah n'a que le prénom Hind pour entamer ses recherches. L'indice est bien mince mais la gamine ne se décourage pas. Lorsqu'elle est la trouve enfin, la surprise sera totale et elle tombera sous le charme de cette femme, sorte de miroir inversé d'elle-même.
Lenny, deuxième voix de « La Treizième heure », est un homme foncièrement bon, ouvert d'esprit, charismatique et destiné à être un martyr. Pour protéger sa « fille », il préfère mentir par omission sur le secret qui entoure la naissance de celle-ci et sur son amour inconditionnel pour sa « mère », dont le départ a généré une grande souffrance et une dépression que seule la vitalité de Farah lui a permis de surmonter.
La troisième voix du récit n'est autre qu'Hind, une sublime transsexuelle née dans un corps de garçon. C'est elle, avec son ambivalence, qui est la véritable héroïne du récit. Personnage libre en apparence, extravertie, égocentrique, superficielle, colérique, inconstante, volage, brûlant la chandelle par les deux bouts, elle dissimule, par son excentricité, son langage cash, une joie de vivre communicative, un je-m'en-foutisme porté en étendard, des fêlures venues d'une enfance en Algérie toujours bien présentes, ravivées dans le regard de ceux qui condamnent ses choix et sa désinvolture. Au mitan de sa vie, elle en fait un bilan bien sombre et veut rattraper le temps perdu.
Tout est trans, et surtout transgressif, dans cette histoire jubilatoire qui dynamite la famille traditionnelle et brouille les frontières entre le sexe assigné à la naissance et le genre dans lequel on se reconnaît qui peut différer du premier.
Variation sur l'amour comme champ de tous les possibles, éloge de l'altérité, « La Treizième heure », avec son écriture virevoltante, ses saillies drolatiques et sa folle imagination, s'empare de sujets sociétaux graves sur le ton de la farce. Et c'est cet humour libérateur qui fait du dernier livre d'Émmanuelle Bayamack-Tam un modèle de tolérance, de fantaisie et un plaidoyer pour la cause des queers plus efficace que bien des essais sur la question parce qu'il est incarné par des personnages qui émeuvent et bousculent nos certitudes. C'est le la magie et le privilège de la littérature.

EXTRAITS
L'inconvénient d'avoir un père extraordinaire, c'est qu'il est à la fois omniprésente, insurpassable, et tyrannique à son coeur défendant.
C'est ma nouvelle grande idée : personne n'aime personne – et je défie quiconque de me prouver le contraire.
Le doute est permis et le doute est mon royaume.
Que peut la philanthropie contre le ravage méthodique de la beauté et la persécution de l'innocence ?
On vit très bien avec un gros clito et un petit vagin, vous savez.
On ne peut pas préjuger de l'identité profonde de Farah, mais élevée comme une fille par une mère trans, ça m'étonnerait qu'elle devienne un petit macho homophobe.
Être une femme à bite, ça n'a rien de problématique quand personne ne s'en étonne ou ne s'en insurge ; quand personne ne vous l'envoie à la figure comme s'il s'agissait de la pire des insultes.

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Le livre s'ouvre sur la voix de Farah. Elle se raconte, jeune fille de 16 ans, n'a jamais connu sa mère. Son père, Lenny, a monté une Église inclusive et queer qui recueille les âmes meurtries : l'église de la Treizième Heure. Il y est question de conférence « Proof of Heaven », de psaumes à base de Baudelaire et Naval et de deparasitage psychique. le désarroi présent des disciples doit se muer en confiance en soi au fil du temps. le mantra de l'Eglise contient les mots tolérance, acceptation de soi et de l'autre et à tendance à pourfendre les artifices. Ce père, Lenny, n'a jamais tissé de lien avec son propre père bien plus intéressé par l'aîné Kenny. Il est ainsi devenu le Père de son église.

Farah semble égarée dans ce monde où les romans lui permettent de s'extraire de la réalité, ou de mieux la comprendre ? Elle s'y noie aisément. Et puis un jour on lui dit que sa mère s'appelle Hind. C'est tout ce qu'elle sait d'elle, comme un phare dans la nuit, sa vie se mue en enquête digne de ses romans.

Hind, pareille a une chimère, donnera sa voix aussi sur le dernier tiers du livre pour raconter sa version, sa vie, pourquoi elle a fuit à la naissance de Farah. Comme pour conjurer le cercle familial qu'elle a subit elle même.

La Treizième Heure c'est une ode à la tolérance, à la liberté d'être ce que l'on souhaite, homme ou femme pourquoi vouloir s'insérer dans une case ? Surtout quand il est question d'intersexualité mais pas que. C'est une sorte de dichotomie ce livre : entre un cadre religieux à la congrégation plurielle et un langage soutenu parsemé de lâcher prise à base de « meuf ». Chaque page est truffée de références littéraires et poétiques. L'humour détient une place importante, se prendre au sérieux mais pas toujours… rire et chanter aussi!

Finalement il y est question de l'amour à tout va : s'aimer, être aimer, se sentir aimer. L'amour comme ciment d'une vie saine. L'apparence comme cocon pour soi et non les autres.
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Dans ce nouveau roman Emmanuelle Bayamack-Tam place Farah, son héroïne d'Arcadie, dans une nouvelle configuration familiale. Son père, Lenny, est le fondateur de l'Eglise de la Treizième heure, une congrégation millénariste qui se rassemble autour de messes poétiques. Lenny est un homme bienveillant, "champion du monde de la philanthropie", qui s'est donné pour objectif de répandre l'amour à travers le monde grâce à Nerval.
La Treizième heure, Eglise inclusive et queer, recueille "des âmes en peine, déracinées, persécutées". Une récente pandémie a contribué à grossir les rangs de la communauté, la centaine de membres, essentiellement des femmes, considèrent que la série de cataclysmes que connaît la planète est un signe avant-coureur du retour de Dieu parmi les hommes.

Après un an d'amour avec Lenny, la mère de Farah, Hind, s'est volatilisée une semaine après sa naissance laissant Lenny complètement dévasté. Depuis il élève seul leur fille au sein de la communauté qu'il a fondée peu de temps après le départ de la jeune femme. Arrivée à l'adolescence Farah interroge son père sur sa mère et sur son propre genre car elle est née intersexuée. Alors que son père a mis le mensonge au centre de son combat, Farah découvre à seize ans qu'il lui a menti et qu'elle n'a pas une mère mais deux, une mère d'intention Hind et une mère porteuse Sophie. Elle va mener son enquête comme les détectives des romans qu'elle affectionne tant et déclare la guerre à son père qui était jusqu'alors son héros, d'autant plus qu'un jour elle rencontre Hind et comprend que son père ne lui a pas encore tout dit car Hind est transexuelle.

Emmanuelle Bayamack-Tam nous livre ici un roman ultracontemporain dans lequel elle décortique la question de la transidentité, des nouvelles familles et des nouveaux modes de procréation car Farah est issue d'une GPA. La toile de fond est aussi très contemporaine avec la pandémie, le réchauffement climatique et les angoisses de fin du monde.
C'est un roman choral dans lequel les voix de Farah puis de Lenny puis de Hind nous font découvrir progressivement l'histoire de cette famille vue par chacun de ses protagonistes. La première partie est imprégnée de romanesque, la deuxième de poésie et la troisième de chansons et de danse, suivant les passions de chacun. Chacune de ces trois voix va apporter sa vérité et nous faire découvrir peu à peu les particularités de cette famille hors normes dans laquelle les rôles sont redistribués ainsi que l'histoire d'amour entre Lenny, un homme terne au physique ordinaire élevé par des parents dépressifs et Hind, une algérienne flamboyante, fantasque et compliquée. "Hind ne me rendait pas heureux, elle me rendait vivant."
Comme toujours, Emmanuelle Bayamack-Tam choisit des thèmes sociétaux graves et les traite de façon très vivante, distillant avec un humour vivifiant des passages savoureux sur la haine de Lenny pour le roman, sur la vieillesse, sur le désir... le délire de Lenny, complètement illuminé, est particulièrement bien restitué, la flamboyance et le franc parler de Hind enflamment la troisième partie du roman qui regorge de dialogues qui sonnent toujours très juste. Hind est incontestablement l'héroïne de ce roman. Excentrique, libre, égocentrique, solaire, inconstante elle émeut par ses excès et ses blessures d'enfance.
Un roman sur l'identité très audacieux, drôle et à la fois grave, qui sort des sentiers battus. Un plaidoyer pour la tolérance très réussi, mené sur un rythme virevoltant.
Lien : https://leslivresdejoelle.bl..
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Un livre tout en poésie, tout en musique et chanson, qui s'equilibre avec un language cru nécessaire.
Un livre qui nous raconte une une vie, des vies.
Un livre dont j'aime la construction est telle que celles que j'aime. Trois personnages principaux qui vont se relayés pour nous raconter leur histoire de vie. Farah, qui n'ait de la rencontre amoureuse de, Lenny, et de Hind. Ça paraît simple mais ça ne l'est pas. Hind est une femme a bite (désolé, faudra vous y habituer). Ce n'est donc pas elle qui va mettre Farah au monde. Hind restera une trans non opérée.
Farah est un fille. Ou plutôt une intersexuée.
Qui dira après cela que c'est une histoire simple.
Après la naissance sa fille, Hind quitte Lenny qui enlèvera sa fille.
Que vient faire cette treizième heure dans cette histoire ?
Lenny devient le guide de son Église de le la Treizième heure. Les adeptes eux, peuvent être qualifiés d' illuminés de la Premiêre heure.

Pour résumer, transexualité, secte. Un langage très cru. Une histoire dans laquelle j'ai eu du mal à entrer. Trop lente à démarrer. Mais des qu'elle le fait, impossible de l'arrêter. Et j'ai enquillé page après page sans relache
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