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sur 146 notes
Bluffant!
Dix petits nègres, nouvelle version.
Fan inconditionnelle d'Agatha Christie dans ma jeunesse, c'est avec quelques préjugés que j'ai ouvert ce livre car on ne touche pas aux chefs- d'oeuvre.
Contredire Agatha Christie, décortiquer son célèbre roman afin d' en exposer les failles, démontrer que l'assassin de l'île du Nègre ne peut être celui désigné et en proposer un autre, il fallait oser!
Sauf que Pierre Bayard par son intelligence et sa perspicacité, son art de l'analyse et de la démonstration, son esprit critique et déductif aiguisé le fait fichtrement bien et convainc à la fois du bien-fondé de sa démarche et de la crédibilité de sa version plus cartésienne.
Le narrateur est le véritable assassin, astucieusement parvenu à brouiller les pistes et s'échapper de l'île en toute impunité.
Après avoir fait un captivant résumé de « dix petits nègres » il propose une contre-enquête minutieuse avant de dévoiler son identité et son ingénieuse façon de procéder.

Mais ce n'est pas qu'un roman policier, l'auteur étaye son propos par une évocation des techniques « d'aveuglement » du lecteur, analysant succinctement les mécanismes psychiques, cognitifs ou perceptifs en jeu, pouvant empêcher de discerner les invraisemblances.
Il ajoute une analyse comparative avec d'autres oeuvres du genre s'appuyant sur le rationalisme et fait réfléchir à la fois sur la genèse du genre policier et sur notre perception en tant que lecteur.
Il dissèque les énigmes d'espaces clos en relevant les types de procédés utilisés par certains maîtres du suspens (comme le génial John Dickson Carr) pour rendre possible un crime qui ne l'est pas.
Son écriture est fluide et claire, son récit efficace et captivant.
Bien sûr on a parfois envie de rappeler à Pierre Bayard que c'est une fiction, que toute oeuvre est critiquable (même la sienne) et que l'art d'Agatha Christie est justement de nous aveugler sans que l'on se focalise sur les incohérences même si certains détails peu crédibles nous interpellent.
Il n'en reste pas moins qu'on est tenu en haleine et très curieux de connaître l'identité de l'assassin et son modus operandi.
A lire !





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Je commencerai cette chronique par une mise en garde : si vous n'avez pas lu "Dix petits nègres" et qu'il est dans votre pal, ou si vous désirez le relire un jour, passez votre chemin car Pierre Bayard, pour les besoins de son écrit, a été obligé de spoiler.

Cet essai est intelligent et bien argumenté ! L'auteur commence, après un exposé sur les personnages et les meurtres, par apporter une notion essentielle sans laquelle son écrit ne pourrait voir le jour tel qu'il nous est proposé, même si cette notion peut paraître délirante : les lecteurs se scindent en deux groupes :
le premier groupe ce sont les ségrégationnistes : lecteurs qui pensent que les personnages de la littérature romanesque n'ont pas d'existence propre ni d'autonomie, ils sont pure création de l'écrivain qui les a façonné, ils n'existent parce que le lecteur leur donnent vie et leur existence prend fin quand se referme le livre. Il n'ont comme liberté d'action que ce que l'auteur veut bien leur donner.
Le deuxième groupe, ce sont les intégrationnistes qui pensent au contraire, que les personnages ont une part de décision, une autonomie et peuvent agir suivant des plans élaborés par eux-même ils peuvent donc prendre des décisions différentes de celles de leur auteur... Bien-sûr, Pierre Bayard se réclame du second groupe puisque dès le début, il affirme être le véritable assassin des dix personnes qui séjourne sur l'île du nègre.

Il va donc affirmer qu'il est l'auteur de la sombre machination orchestrée sur cette île, sans se dévoiler, les adjectifs sont écrits avec les deux accords possibles, et pas une fois jusqu'au bout de sa démonstration, il ne laissera la possibilité au lecteur de faire des hypothèses.


Il commence donc par démonter l'histoire d'Agatha Christie, en montrant par quels stratagèmes le lecteur est bluffé : omissions volontaires et non-dits, mise en doute de la signature du criminel, mise en doute de certaines actions des personnages que je ne pourrais citer. Je reconnais que deux actions m'ont posé question lors de ma lecture de dix petits nègres : j'avais pourtant affirmé n'avoir rien vu lors de ma relecture, mais tout de même, deux questions m'ont effleurée durant quelques secondes, je suppose que je les ai chassées par respect pour cette oeuvre littéraire et son auteure.

Il insiste sur les illusions créées chez le lecteur en expliquant que celui-ci est éloigné de l'essentiel parce qu'il est capté par certains aspects de l'histoire et éloigné de ce qui pourrait l'amener à se poser les bonnes questions, et parce qu'il est victime d'un phénomène d'aveuglement tant optique que cognitif bien détaillé dans cet essai.

Puis il explique comment, en tant que criminel officiel, il a organisé ce piège : il crée alors un autre scénario tout à fait plausible quoique certainement discutable sur certains points.

Qu'en ai-je retiré ? Que si on avait confié l'organisation du meurtre de dix personnes sur une île à quinze écrivains, on aurait eu quinze scénarios différents et discutables car ce genre de scénario n'est pas facile a imaginer, Agatha Christie l'avait affirmé elle-même.
Que j'ai envie de laisser les incohérences du roman de côté parce qu'elles n'empêchent aucunement la lecture, personnellement ce qui compte pour moi en premier lieu, c'est l'ambiance créée par Agatha Christie.

J'ai beaucoup aimé cet essai de Pierre Bayard, et je ne manquerai pas de lire d'autres écrits émanant de sa plume raffinée, intelligente qui m'a beaucoup appris. J'ai beaucoup aimé cette histoire de ségrégationnistes et intégrationniste, j'ai d'ailleurs tendance à me rapprocher du second groupe, ce qui me permettrait d' accorder à Jeanne Eyre, à Winston Smith, à Esméralda la liberté qui leur permettrait de revisiter leur roman d'appartenance.
Lien : http://1001ptitgateau.blogsp..
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Entre Pierre Bayard et moi, c'est une longue histoire d'amour. Et qu'il ne soit pas au courant n'y change rien. Il était encore inconnu et abscons que j'avais déjà succombé à ses études sur Laclos ou Maupassant (et pourtant, fallait s'accrocher). Depuis qu'il est devenu la star des lecteurs du Monde en rendant intellectuellement désirable la littérature de genre, je le partage avec plein de fans transis mais j'assume.
Je vais être claire : non, ce n'est pas son physique de bellâtre des amphis qui me fait craquer (quoique…) mais son goût immodéré pour l'analyse de textes qui est aussi, ça tombe bien, un de mes passe-temps favoris et pour laquelle il excelle, lui.
Pierre Bayard, c'est le Daniel Mesguisch du roman policier. Tandis qu'un metteur en scène vous colle sous les yeux une autre pièce que celle que vous avez lue et qui pourtant respecte le texte à la virgule, Bayard lui aussi se souvient qu'une oeuvre littéraire est un iceberg dont 80% de la masse est invisible : l'auteur ne pouvant tout dire, c'est au lecteur de reconstituer ce qui reste dans l'ombre (ou sous l'eau, vous aurez rectifié de vous-même).
Et, bien entendu, ce qui est tu est toujours plus intéressant que ce qui est dit. Comme dans Choderlos de Laclos : les lettres écrites par Merteuil et Valmont sont merveilleuses, mais cela ne nous dispense pas de réfléchir à ce qu'ils font quand ils n' écrivent pas, ni à ce qu'ils pensent qu'ils se gardent bien de dire.
Et c'est à cette enquête que nous convie Bayard, dont le génie est d'avoir réconcilié en nous tous nos modes de lecture. Nous alternons d'habitude la lecture distanciée et la lecture immersion, et se plonger dans un roman de la reine du crime est un redoutable lâcher-prise qui permet de suspendre tout sens critique pour entrer dans un univers parallèle. Or, si Bayard nous oblige à considérer un Agatha Christie comme un morceau de la réalité à étudier comme tel, en rationalisant notre lecture il nous raconte une nouvelle histoire aussi passionnante que celle d'origine, réconciliant cerveau gauche et cerveau droit.
Mais bon, vous savez ce qu'il en est des vieux couples : on finit par reprocher à l'autre ce qui justement nous fit fondre au tout début. Pierrot, tu m'avais déjà fait le coup du paradoxe du menteur et maintenant tu te cites toi-même (très mauvais signe, ça). Tu vis sur tes acquis, ça sent un peu le réchauffé. Bien sûr que tu lui fais encore ton numéro, à cette bonne vieille Agatha, mais franchement… les illusions d'optique, le biais cognitif… Tu m'as habituée à mieux.
Heureusement, j'ai bien vu ton appel du pied et je me suis précipitée sur le site intercripol, où, sous ton égide, des experts traquent les « personnages criminels qui croyaient, jusque là, avoir échappé aux foudres divines de la justice. » http://intercripol.org/fr/qui-et-quoi/qui-sommes-nous.html
Cette « plateforme collaborative, ouverte à tous les citoyen(ne)s de bonne volonté désireux d'oeuvrer à un monde fictionnel plus juste » est, me semble-t-il, pleine de pépites. le temps de repasser ma cape et de défroisser mon loup vénitien, c'est sûr : j'en suis !
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Grande fan d'Agatha Christie, j'avais noté depuis quelque temps cet ouvrage dans un coin de ma tête. Il est assez facile et rapide d'en exposer le propos : le personnage que tout le monde croit coupable à la fin du roman n'est… pas le bon ! le vrai coupable – évidemment connu d'Agatha Christie qui laisse des indices au fil de son récit – prend la plume pour rétablir la vérité ! Mais avant de connaître l'identité de celui qui a berné un nombre incalculable de lecteurs depuis 1939, le lecteur a droit à un résumé des Dix petits nègres (rebaptisé depuis Ils étaient dix). Bien sûr quiconque a lu ce roman policier ne peut en oublier la fin, mais le rappel de la trame narrative est inévitable pour le bon déroulement de cette contre-enquête proposée par Pierre Bayard. Cependant, il ne saurait être question de s'en tenir aux Dix petits nègres. L'auteur – toujours par l'intermédiaire du vrai coupable – se livre à un véritable exposé sur la littérature policière et ses motifs : le passage sur les énigmes liées à un espace clos est passionnant, de même que l'évocation des techniques d'aveuglement du lecteur. Enfin, la vérité nous est dévoilée : le lecteur est invité à adopter un nouvel angle de vue, en utilisant les indices disséminés et en contrant les invraisemblances. C'est indéniablement une belle démonstration. Mais. Parce qu'il y a un mais. Où est-ce que cela doit-il nous conduire ? Doit-on reconsidérer ce que l'on croyait être la vérité depuis des années ? Faut-il simplement le prendre comme un bel hommage à la reine du crime et envisager la solution de Pierre Bayard comme une solution possible mais peut-être également imparfaite ? Pour ma part, j'ai un avis bien tranché sur la question, qui fait qu'en définitive mon sentiment sur l'ouvrage de Pierre Bayard est partagé : j'aime la fin proposée par Agatha Christie, je l'ai toujours aimée, je lui trouve beaucoup de panache et je ne veux considérer que cette fin-là.

Lien : http://aperto-libro.over-blo..
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Il y a un mois j'ai découvert Pierre Bayard en lisant Qui a tué Roger Ackroyd ? juste après avoir lu le meurtre de Roger Ackroyd. du coup, impossible de ne pas lire La vérité sur « Ils étaient dix » juste après avoir relu Ils étaient dix. J'avais beaucoup apprécié Qui a tué Roger Ackroyd ? mais cette fois rien ne vient ralentir la lecture (pas de grandes digressions psychanalytiques!), le lecteur est accroché presque autant qu'avec le livre original d'Agatha Christie. C'est prenant d'un bout à l'autre. Et ça se tient incroyablement bien. Il analyse finement les mécanismes des romans policiers, en particulier de ceux dans lesquels il y a un huis-clos, ainsi que l'utilisation des illusions d'optique et des biais cognitifs pour aveugler le lecteur. La lecture est fluide, la construction magistrale, on le suit avec plaisir, c'est sérieux et en même temps le texte regorge d'humour. le lecteur se prend à chercher lui aussi quel est le véritable assassin. Quelle belle idée d'avoir tout écrit à la première personne, le narrateur étant le personnage du roman qui est le vrai assassin et qui près d'un siècle après souhaite rétablir la vérité et montrer qu'Agatha Christie s'est plantée (rien que ça!) et que des millions de lecteurs n'y ont vu que du feu. Il fallait oser ! Pierre Bayard étaie son raisonnement avec érudition mais cela se lit avec une grande facilité, et c'est un livre que l'on a du mal à lâcher avant d'arriver à la dernière ligne. C'est brillant, un délice pour tout amateur de roman policier, et je crois que je suis en train de devenir une fan de Pierre Bayard.
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C'est toujours avec délectation que je me plonge dans un livre de Pierre Bayard. C'est la quatrième fois qu'il nous refait le coup de déconstruire une énigme célèbre de la littérature (après "Le chien des Baskerville", "Hamlet" et, déjà avec Agatha Christie, "Le meurtre de Roger Ackroyd") et de nous prouver par A+B que l'auteur, bien naïf ou bien pour le moins inattentif, s'est trompé de meurtrier, entrainant des millions de lecteurs dans le même aveuglement que lui. On n'imaginait pas que ce put être le cas pour ce monument incontesté de la littérature policière qu'est "Dix petits nègres". Et pourtant...

A chaque fois, P. Bayard en profite pour nous parler de littérature, et des mécanismes qui sont en jeu quand un lecteur entre en interaction avec une oeuvre littéraire, je veux dire quand il l'a lit, ou lorsqu'il en parle – sans forcément l'avoir lue, d'ailleurs. Dans ce nouvel opus, l'auteur nous parle des différents types d'illusion qui permettent à un lecteur de voir autre chose que ce qui est pourtant sous son nez. Bien-sûr la force de l'illusion est encore plus spectaculaire quand le romancier en est lui-même victime !

C'est donc la deuxième fois que Pierre Bayard nous démontre qu'Agatha Christie, dans deux de ses plus fameux romans qui plus est, est passée côté de l'identification du véritable meurtrier, désignant à sa place un autre personnage qui, selon tous les codes du roman policier, ne pouvait décemment pas être le coupable. Mieux encore, P. Bayard nous apprend que dans un autre roman, publié deux ans après "Dix petits nègres", A. Christie, en démasquant cette fois le véritable meurtrier, donnait toutes les clés qui aurait dû la conduire (ainsi que ses lecteurs) à découvrir le/la véritable meurtrier(ère) de l'île du Nègre.

Agatha Christie nous aurait-elle sciemment induits en erreur, riant sous cape de voir ses lecteurs gober comme un seul homme la désignation d'un faux coupable dans ses deux plus célèbres romans ? Je vous laisse découvrir, si le coeur vous en dit, ce qu'en pense le malicieux Pierre Bayard.
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Voilà longtemps que je n'avais pas lu un livre aussi jubilatoire !
Pierre Bayard nous propose ici avec brio un décorticage en règle d'un des livres les plus connus de la littérature policière, « Dix petits nègres ».

On connait tous l'histoire de ces dix personnes bloquées sur une île et assassinées les unes après les autres.
La confession finale de l'assassin, envoyée à la police, explique le déroulement de ces dix crimes en huis clos.
Mais Pierre Bayard se sert de ce livre pour une démonstration brillante de notre crédulité en tant que lecteur.
En effet dès le début le véritable assassin s'étonne que les lecteurs aient été assez naïfs pour croire sur parole Agatha Christie.
Celle-ci aurait fait très fort en bernant tout le monde depuis tout ce temps !

Grâce à un raisonnement brillant, il mène une contre-enquête où se mêlent des références littéraires (les autres cas d'espaces clos dans les romans policiers de Poe ou Leroux)), les techniques d'aveuglement (on voit ce que l'on nous dit de regarder), les indices, les failles, les illusions, les raccourcis…

C'est drôle, brillant, haletant même, (bon, qui est le véritable assassin…) et c'est un bel hommage à Agatha Christie, car on ne peut pas imaginer Hercule Poirot berné par l'ultime confession de l'assassin.
La reine du crime sème des indices qu'elle a déjà utilisés dans d'autres romans et c'est une vraie pirouette qu'elle nous proposerait en nous donnant sur un plateau un assassin…trop parfait pour être vrai !
Le raisonnement de Pierre Bayard n'est pas forcément à prendre au pied de la lettre, mais que c'est brillant et bien mené !
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En voici un livre très intéressant. Un personnage de fiction s'extraie d'un roman pour démontrer que l'autrice d'un des romans à énigmes les plus célèbres du monde a trompé des millions de lecteurs. le pari est relevé par Pierre Bayard mais il est osé face à l'icône « Agatha Christie » et au monument « Ils étaient dix » (Dix petits nègres). Ce roman, lu il y a déjà quelques années est aussi un pari de la part d'Agatha Christie, comment 10 personnes sont assassinées sur une île coupée du continent sans que le meurtrier ne puisse l'atteindre ni en partir. L'auteur en fait une démonstration brillante et détonante, ce qui m'a poussé à acheter un autre de ses ouvrages.

Cet essai de Pierre Bayard se présente comme le décorticage du roman d'Agatha Christie réalisé par un des dix qui souhaite révéler la vérité, différente de celle de l'auteur. En étudiant point par point les personnages, les informations et les faits, le narrateur expose les erreurs d'interprétation d'Agatha Christie et donc des enquêteurs. Il en conclut à un aveuglement collectif qui conduit à des biais et des illusions de réalité. On s'embarque rapidement dans cette contre-enquête à la conclusion étonnante.

❓Appréciez-vous les romans à énigmes ?

Lien : https://jmgruissan.wixsite.c..
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Mes tirades enflammées à la gloire de "Dix Petits Nègres" amusaient toujours l'un de mes amis qui -grand amateur et connaisseur des romans d'Agatha Christie lui-aussi- finit un jour par me parler des ouvrages de Pierre Bayard, professeur de littérature française et psychanalyste en me disant que la prose de ce dernier changerait à jamais ma perception des "Dix Petits Nègres" et qu'en outre, ce serait si passionnant, que j'en demanderais encore et que je finirais par me procurer également "Qui a tué Roger Ackroyd?".
Pour être honnête, je n'avais aucun doute sur l'intelligence du propos et j'aime l'audace... mais je n'avais pas vraiment envie de lire un livre qui déboulonnerait l'un de mes romans policiers favoris. C'est que je suis une lectrice de mauvaise foi, une lectrice qui s'attache...
Il m'a fallu des années, mais je me suis laissée convaincre et j'en connais un qui doit se délecter de ma reddition...

Dans son essai "La Vérité sur les Dix Petits Nègres" Pierre Bayard entreprend de démontrer à ses lecteurs que l'assassin de l'île du Nègre ne peut pas être celui que désigne le roman dans son grand final, mais qu'il est un tout autre personnage. Gonflé le gars! Gonflé et bluffant, parce que sa solution est diablement convaincante, j'en ai peur.

Se glissant dans la peau d'une véritable meurtrier qui, tout personnage qu'il soit, invective le lecteur, Pierre Bayard met au service de la vérité sa logique, son esprit critique et déductif pour faire la lumière sur l'affaire des dix cadavres dont nous frissonnons encore.
C'est ainsi que notre narrateur-assassin (fort sympathique au demeurant) nous livre sa version de l'histoire. Commençant par nous résumer brillamment le roman d'Agatha Christie, il poursuit son oeuvre en se lançant dans une minutieuse contre-enquête avant de nous dévoiler son identité.

L'ouvrage ne pourrait être qu'un roman policier mais il se double d'une réflexion pointue et absolument passionnante sur le statut de lecteur, sur celui de la fiction et des personnages. On est en pleine théorie littéraire et j'ai adoré! Dans cette visée ainsi que dans le but de comprendre comment la solution initiale a pu passer si finalement pendant tant d'années malgré son invraisemblance, il accorde une place importante aux mécanismes psychiques, cognitifs ou perceptifs en jeu chez le lecteur en pleine action, ces mécanismes qui tendent à l'aveugler et l'empêchent de s'arrêter sur les invraisemblances. Ajoutez ça et là des comparaison avec d'autres romans policiers en lieux clos et vous obtenez en plus une réflexion intéressante sur la création du roman policier en tant que genre. Moi qui suit une fanatique des énigmes à base d'espaces clos justement, j'ai apprécié la dévoilement des procédés utilisés par les auteurs -ces charlatans- pour arriver à leurs fins!

Une lecture agréable et prenante, rendue d'autant plus fluide que Pierre Bayard écrit avec beaucoup de clarté et de fluidité, une démonstration bluffante dont l'intelligence m'a confondue et pourtant, mon enthousiasme est loin d'être à la hauteur de la beauté de la démonstration.
Parce que pour moi, il n'y aura décidément qu'une seule version, et c'est celle de ma chère Agatha, que j'y ai cru et que j'y crois encore (je suis une lectrice heureuse d'être aveuglée). C'est une question d'affection... et de magie et je suis comme les enfants, je n'aime pas vraiment qu'on me dévoile les "trucs" du magicien.

Néanmoins, je ne regrette pas cette lecture qui m'a tenue en haleine et, en tant qu'agathienne, je la trouve extrêmement enrichissante tant elle offre une perspective inédite. Je me dis d'ailleurs que la créatrice d'Hercule Poirot elle-même aurait pris plaisir à cette démonstration!


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En prenant connaissance de cet essai, j'étais très curieux de connaitre ses tenants et ses aboutissants. Mais pas évident tout de même lorsque vous êtes un fan d'Agatha Christie et lorsqu'il s'agit des "dix petits nègres", un de mes livres préférés que j'emmènerai dans une île déserte.

A la lecture de cet essai-roman, j'ai été attiré et bien surpris par les arguments donnés et la pertinence de cette contre-enquête, menée intelligement par Pierre Bayard, l'auteur et professeur de littérature française.

Je n'ai pas été déçu. Loin de là ! le lecteur entre vite dans le vif du sujet car le roman est bien structuré. Une bonne "table des matières" présentant le déroulement de son essai. C'est rigoureux et efficace. Une contre-enquête détaillée, factuelle, bien minutieuse avec des exemples, des rappels de faits puis aussi des contradictions du roman d'origine.
Au-delà de l'enquête elle-même, Pierre Bayard s'appuie sur les effets de la psychologie et des croyances humaines où comment les illusions optiques, les biais cognitifs et les fantasmes peuvent duper des millions de lecteurs depuis plus d'un siècle. Et c'est une réalité.
Sa thèse et ainsi "son vrai coupable" sont plausibles même si quelques éléments de son enquête restent discutables. Par contre, pas du tout d'accord avec lui, sur le fait que l'assassin, à l'origine, ne pensait pas tuer les dix personnes au pretexte que la subite tempête l'aurait poussé à faire autrement. Tuer les dix participants, c'est l'essence même du roman.

En revanche, j'ai trouvé que les arguments de l'auteur sont parfois un peu trop insistants. Il en vient même à spoiler le roman "ABC contre Poirot" et "les vacances d'Hercule Poirot" (non lus !) ou "le meurte de Roger Ackroyd" (ouf lu !) afin de convaincre absolument et d'être crédible dans sa propre vérité. Dommage car nul besoin de pousser le lecteur dans son avis.
Cela vient en partie dénaturer son travail et c'est paradoxal pour quelqu'un qui qualifie, lui-même son livre de "chef-d'oeuvre de la subtilité"...

Pour ma part, je ne pense pas qu'il y ait des incohérences et erreurs d'Agatha Christie. Il faut resituer le contexte et l'époque où elle a écrit se roman. Au contraire, la thèse d'un juge fou et justicier est plus que pausible pour moi. Ces dernières années, on a bien eu en série TV "Dexter" ; vous savez ce flic à la tête d'ange, allant tuer des meurtiers impunis.
Après du comment, le juge s'est réellement suicidé... C'est bien de rappeler à Pierre Bayard, que tout cela reste bien sûr de la pure science-ficition.

Cet essai reste un bon moment de lecteur. A celles et ceux, qui ont lus les romans cités plus haut et bien sûr les dix petits nègres, je vous conseille ce livre pour votre curiosité et laisser faire votre libre arbitre.


Pioche dans ma PAL de janvier 2020 - livre choisi par Fuyating
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