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EAN : 9782707316530
169 pages
Editions de Minuit (01/10/1998)
3.89/5   136 notes
Résumé :
Même s'ils n'ont pas lu le chef-d’œuvre d'Agatha Christie, Le Meurtre de Roger Ackroyd, de nombreux lecteurs, surtout parmi les amateurs de romans policiers, connaissent le procédé qui l'a rendu célèbre et croient pouvoir affirmer : l'assassin est le narrateur. Mais est-ce si sûr ? Comment se fier à un texte où les contradictions abondent et qui s'organise autour d'un récit unique, celui du prétendu criminel ? Et qui peut dire qu'Hercule Poirot, dans son euphorie in... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (31) Voir plus Ajouter une critique
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Aujourd'hui, 15 août, journée de relâche pour tout le monde, j'en profite pour vous évoquer un livre que je trouve vraiment très intéressant. Je n'ai pourtant pas lu au préalable le fameux livre dont il ne fait que parler, le Meurtre de Roger Ackroyd de l'inévitable Agatha Christie. Toutefois, malgré cette lacune, aucun problème pour suivre ce livre et je dirais même, un très vif intérêt.

Bien évidemment, pour ceux qui ne jurent que par la compréhension de l'énigme originale, je vous conseille vivement de lire d'abord le livre avant de vous plonger dans cette " enquête sur l'enquête ". Car c'est ni plus ni moins à cela que Pierre Bayard nous convie.

Le livre se divise en quatre parties. Dans la première, l'auteur nous présente le déroulé de l'histoire effective du roman d'Agatha Christie et son dénouement. Ce faisant, il souligne un certain nombre d'entorses plus ou moins grandes faites au " canon " du genre ainsi que de pointer un certain nombres d'incohérences relevées dans la résolution de l'énigme proposée par Hercule Poirot.

Dans la deuxième partie, l'auteur nous invite à reprendre avec lui l'enquête, notamment en la comparant à quelques autres ouvrages de l'écrivaine britannique qui présente avec l'oeuvre en question des parallélismes troublants.

La troisième partie de l'ouvrage est de loin celle qui m'a le moins intéressée. L'auteur s'y lance dans une analyse un peu théorique et technique sur ce qu'est un délire du point de vue psychanalytique. Même s'il démontre l'intérêt de cette digression pour la suite de son propos, je m'y suis ennuyée et c'est ce qui fait que je ne hisse pas l'ouvrage dans son entier jusqu'aux graal suprême des 5 étoiles.

Enfin, la dernière partie, forte de ces enseignements sur ce que l'on nomme effectivement " délire d'interprétation ", nous amène à comprendre que dans une enquête policière de ce type, le romancier sème un nombre incalculable de fausses pistes ou de soupçons raisonnables. Il choisit, presque arbitrairement, de privilégier une des inférences possibles au détriment de beaucoup d'autres qui auraient été au moins aussi plausibles.

Ce faisant, il démontre, de manière selon moi très convaincante, que la solution retenue par Poirot ne semble pas la plus crédible ni la plus parcimonieuse. Au moins deux autres pistes semblent plus probantes, dont l'une qui a sa préférence, eu égard aussi à certains commentaires ultérieurs d'Agatha Christie à propos d'un personnage en particulier de ce roman.

Donc, une analyse littéraire vraiment captivante, menée exactement comme une enquête policière et aussi intéressante à lire, si ce n'est la faiblesse sus-mentionnée de la troisième partie. En tout cas, un livre qui ravira les amateurs de romans policiers d'enquête en leur en dévoilant certains des secrets de fabrication. Idéal donc pour les vacances, mais, comme toujours, précision doit être rappelée qu'il ne s'agit que de mon avis sur la chose, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Avec ce petit essai, le spécialiste de littérature Pierre Bayard se livre à un exercice aussi original que divertissant : proposer une contre-enquête à celle réalisée par Hercule Poirot dans le roman d'Agatha Christiele meurtre de Roger Ackroyd. Cette enquête, l'une des plus célèbres de la reine du crime, a fait plus largement date dans le genre étant donné l'originalité de sa construction, puisque la narration est confiée au docteur Sheppard qui finit par être démasqué par Poirot comme l'assassin.

Après avoir brièvement résumé les faits et l'enquête tels qu'ils sont exposés dans le roman, Pierre Bayard éclaire la singularité de ce roman au prisme des principes qui régissent le roman policier d'énigme. En amatrice de ce genre, j'ai été très intéressée par la discussion de ces règles qui semblent effectivement de vigueur dans les nombreuses enquêtes que j'ai pu lire, mais auxquelles je n'avais jamais directement réfléchi. On comprend qu'il s'agit essentiellement, de placer la solution en évidence, accessible à travers des indices, mais tout en la dissimulant en mobilisant un ou plusieurs procédés de déguisement ou de détournement. Pierre Bayard explique tout cela de façon passionnante, en évoquant de multiples exemples du genre – autres romans d'Agatha Christie, mais aussi par exemple La lettre volée, d'Edgar Allan Poe. On comprend que la culpabilité du Dr Sheppard est dissimulée de différentes manières, dont la rupture avec la règle d'un narrateur fiable, au-dessus de tout soupçon et exposant honnêtement les faits – puisque Sheppard ment par omission et use dans sa narration de multiples doubles-sens.

Pierre Bayard montre ensuite avec brio comment « la beauté esthétique du procédé tend à éclipser l'énigme policière », le lecteur restant si abasourdi d'avoir été dupé par Agatha Christie qu'il en oublie de questionner la plausibilité de la solution défendue par Hercule Poirot. En outre, la narration pleine d'ambiguïtés et l'éventualité d'omissions supplémentaires par le Dr Sheppard laissent subsister la possibilité d'autres résolutions, à l'origine de problèmes d'interprétation considérables. Pierre Bayard entreprend donc une contre-enquête, pointant les incohérences et le caractère alambiqué de celle d'Hercule Poirot. Après un détour moins limpide de mon point de vue par la psychanalyse, mobilisée pour réfléchir au « délire d'interprétation » qui pèse sur toute lecture, l'auteur argumente de façon extrêmement convaincante en faveur d'une solution alternative.

Pierre Bayard invente ici un exercice intellectuel très stimulant, susceptible d'être appliqué aux innombrables enquêtes du genre – entreprise qu'il a d'ailleurs déjà poursuivie avec des essais sur d'autres références comme le chien des Baskerville d'Arthur Conan Doyle ou Dix Petits Nègres, d'Agatha Christie. Je me laisserai retenter avec plaisir !
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Le titre de l'ouvrage tend à laisser penser qu'il s'agit d'un exercice de style « ludique » dans lequel l'auteur s'amuse à proposer une autre solution à l'énigme policière posée par Agatha Christie dans un de ses romans les plus connus, le meurtre de Roger Ackroyd. Cet aspect-là est bien présent, mais ce n'est pas le seul, et ce n'est pas ce qui m'a le plus intéressé dans le livre.

Après nous avoir résumé le roman, Pierre Bayard, s'attaque aux principes de base qui permettent aux romans policiers de fonctionner. Son analyse n'est sans doute pas originale (elle s'inspire en particulier de van Dine), mais elle met en évidence, d'une manière synthétique et claire, ces principes. Il insiste en particulier sur la manière dont l'auteur de romans policiers dissimule la vérité au lecteur, tout en ayant l'air de la mettre devant ses yeux, en lui donnant l'illusion qu'il aurait pu trouver la solution. Agatha Christie y est, d'après lui, passée maître. Pour y arriver, différentes techniques existent. On peut déguiser la vérité ou un élément essentiel de cette vérité, c'est à dire la rendre méconnaissable. Par exemple en semblant ôter à l'assassin la possibilité d'avoir commis le meurtre, ou en le rendant insoupçonnable du fait de sa fonction, ou de quelques propos ambigus du détective.

Pour empêcher le lecteur de prêter attention aux éléments qui pourraient l'amener à la solution, l'auteur peut tenter d'attirer son intérêt sur des faits, des objets, ou des personnes qui semblent désigner un autre coupable, ou qui n'ont aucun intérêt pour l'enquête, c'est le détournement.

Pierre Bayard en arrive à conclure, qu'au final, la mécanique du roman policier vise à empêcher le lecteur de penser, de former des idées précises, en l'égarant. En le noyant sous des éléments nombreux et non pertinents, et en dissimulant d'une manière ou d'une autre les seuls qui sont vraiment essentiels. Une sorte de jeu entre l'auteur et le lecteur.

L'auteur dispose d'un puissant levier pour induire en erreur son lecteur : l'omission. Comme le docteur Sheppard, le narrateur du Meurtre de Roger Ackroyd, il n'est pas obligé de tout dire. Ce procédé reste toutefois délicat à manipuler : il faut que l'omission passe inaperçue, ou qu'elle ait une raison valable, sinon le lecteur risque de trouver que l'auteur triche. Dans le cas où c'est le narrateur qui s'avère être le meurtrier, elle devient justifiée : il est normal que l'assassin cache des choses.

Ce jeu de pistes nombreuses dont beaucoup sont fausses, d'omissions, d'éléments pertinents présentés de manière à ce qu'ils passent inaperçus, provoque chez le lecteur une tentative de donner du sens, même si l'auteur essai de l'empêcher de penser efficacement, autrement dit à interpréter les données fournies par l'auteur pour résoudre l'énigme. Au point de pouvoir aboutir à des interprétations délirantes. Psychanalyste, en plus d'être professeur de littérature, Pierre Bayard développe cet aspect des choses, et en arrive à accuser Poirot de finir par fournir ce type d'interprétations. La question est délicate et dépasse le cadre du roman policier. A un moment, on en vient à se poser la questions du caractère délirant des interprétations littéraires elles-mêmes (sans oublier l'interprétation délirante qui pourrait être consubstantielle à la psychanalyse). L'auteur tente de ramener la raison, et trouve un point d'appui chez Tzvetan Todorov, qui distingue deux sens au mot « vérité » : la vérité-adéquation, qui fonctionne en tout ou rien, et la vérité-dévoilement, qui fonctionne en plus ou moins. Une grande partie de textes littéraires, et de leurs interprétations relèveraient de la vérité-dévoilement. D'une certaine manière on pourrait dire que ce qui serait délirant, ce serait de considérer la majorité des contenus littéraires ainsi que leurs interprétations comme des vérités-adéquations.

Ce qui autorise, d'une certaine manière, l'auteur, à fournir sa propre résolution du meurtre de Roger Ackroyd, différente de celle d'Agatha Christie. Qui, à mon avis, est encore plus problématique que celle de la reine du crime, même si Pierre Bayard pointe quelques faiblesses indéniables dans la raisonnement de Poirot à la fin du roman. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment sur les procédés des romans policiers, ces faiblesses sont inévitables : enchevêtrements des pistes, les subterfuges pour ne pas permettre au lecteur de soupçonner le vrai coupable, finissent par produire des éléments qui ne colleront finalement pas complètement dans le tableau final. Même si à mon sens, Agatha Christie est peut-être l'écrivain qui réussit à produire les textes les plus cohérents et les plus solides. Les plus convaincants en tous les cas pour un « vrai » lecteur, qui cherche dans sa lecture, un distraction, un plaisir avant tout.

En réalité, ce qu'un lecteur de romans policier cherche, ce n'est pas à mettre en déroute et à démasquer un meurtrier. Car celui-ci n'existe que dans le cerveau et le texte rédigé par l'auteur. Non, je crois que le lecteur se mesure à ce dernier, et essaie de trouver avant le moment choisi par le romancier pour révéler « la vérité », à trouver la solution de l'énigme imaginée par l'écrivain. A démasquer sa logique, à écarter les pistes trompeuses, à repérer malgré toutes les astuces pour qu'on ne les voit pas, les éléments signifiants. A être plus malin, non pas que le meurtrier, mais que l'auteur-démiurge dont il est une créature. C'est pour cela que l'on pourrait considérer que la tentative de Pierre Bayard de donner une interprétation alternative du crime de Roger Ackroyd, est un essai de prendre la place de l'auteur, un acte symboliquement très fort.

Un livre qui ouvre des pistes intéressantes, et qui est souvent assez amusant en plus. A conseiller aux amateurs des romans policiers certainement, mais en réalité à tous les amateurs de la littérature.
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Petit essai à ne surtout pas lire si on ne connaît pas la fin des romans le meurtre de Roger Ackroyd et La nuit qui ne finit pas (ainsi que La dernière énigme). D'autres romans d'Agatha Christie sont mentionnés dans cet ouvrage, mais ces deux-trois là sont vraiment analysés en détail. Car Pierre Bayard commence par nous raconter quasiment dans le détail le meurtre de Roger Ackroyd tout en soulignant les incohérences du récit (Mince, il a tout à fait raison, et je ne m'en étais même pas rendu compte en le lisant). Il souligne au passage les entorses de l'auteur aux règles du genre (ouf, ça, ça ne passe pas du tout inaperçu!) Ensuite il compare ce roman à quelques autres d'Agatha Christie utilisant quelques procédés identiques, mais jamais tous en même temps. Dans une troisième partie il se lance dans des considérations psychanalytiques qui m'ont paru quelque peu difficiles à suivre, le lien de départ avec le roman m'a quelque peu échappé même si j'arrive à comprendre où il veut en venir. Pour finir, ayant démontré que dans un bon polar l'auteur sème un nombre considérable de pistes et de soupçons, au point que le choix de la piste qui est la bonne est finalement arbitraire, il lance sa contre-enquête. Et de nous proposer, en tenant compte des invraisemblances relevées, deux autres solutions tout ce qu'il y a de plus crédibles, dont l'une a largement sa préférence (et la mienne aussi). Cet essai, en dehors de sa troisième partie, est aussi captivant qu'un roman policier. C'est amusant de comprendre les procédés utilisés et surtout comment le lecteur se fait piéger et n'y voit que du feu. Je me suis laissée entraîner avec beaucoup de plaisir dans cette contre-enquête. Et même s'il montre les incohérences du meurtre de Roger Ackroyd, il n'enlève rien au livre car il l'enrichit d'un second niveau de lecture en quelque sorte et montre au passage qu'il est impossible de reprendre le procédé utilisé par Agatha Christie sans que le lecteur ne repense à Roger Ackroyd. Je n'en dirais pas plus, ce serait divulgacher, mais cet ouvrage est vraiment un must pour amateur de polar (et si possible lecteurs de la reine du roman policier).
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Quand un universitaire s'empare de la reine du crime...Ca conduit d'abord à nous faire passer de la géniale fluidité stylistique d'Agatha Christie à des phrases du genre : "la monophonie du récit conduit en effet le narrateur à nous raconter les faits, mais également à nous transmettre ses sentiments"...monophonie, c'est mignon...
Il faut passer donc passer outre l'obstacle du style pesant et des mots grecs sans quoi l'universitaire de base se sentirait tout nu ...
Mais le propos est très amusant et relève d'une lecture très fine d'Agatha Christie et de ses multiples mystères...On connaît les ellipses dont elle est capable, dans sa vie comme dans ses écrits. Ainsi sa célèbre disparition lors de sa rupture avec Archibald Christie, dont elle ne souffle pas un mot dans son Autobiographie. Ou alors quand, dans cette même autobiographie, elle affirme ne pas se souvenir avoir écrit "L'Affaire Protheroe", quand même ! Ou que son activité littéraire, ma foi, c'était le cadet de ses soucis ...Mon oeil !
Donc Lady Mallowan, comme elle signait dans les hôtels, est certainement capable de toutes les facéties, y compris d'avoir fait un livre dont le coupable est : incroyable-les- bras- m'en- tombent- d'autant -plus- que- ce -n'est- pas- lui...D'autant plus aussi que lord Mountbatten se vantait de lui en avoir soufflé l'idée...Se serait-on moqué de lord Mountbatten ?
Pierre Bayard n'affirme jamais avoir découvert LA Vérité sur le meurtre de Roger Ackroyd, car il s'interroge pendant tout son essai, justement, sur la vérité d'un texte, son inconscient etc...Il met juste le lecteur, et surtout Poirot, face à des contradictions de sa déduction qui ne sont jamais résolues et offre une autre hypothèse de lecture qui balaie effectivement certaines de ces contradictions. L'idée est belle et elle effleure d'ailleurs, il me semble, la plupart des lecteurs du livre tant elle correspond à un fonctionnement psychologique entre deux personnages qui frappe dans l'intrigue.
Pour les amoureux d'Agatha Christie et du roman policier à énigme, c'est donc une lecture à recommander ! Mais attention, gros spoils dans l'essai sur des textes majeurs comme "La nuit qui ne finit pas", "Mort sur le Nil", "La dernière énigme", et d'autres encore...
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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
« Notre lecture, si elle présente des inconvénients, présente aussi des avantages. L’un d’eux est qu’elle est beaucoup plus simple que celle que propose le livre […]. Elle présente aussi une cohérence policière supérieure. Elle évite en effet de mettre le crime sur le dos de quelqu’un qui n’a pas intérêt à le commettre, qui n’en a pas les possibilités matérielles, qui ne dispose pas des capacités psychologiques adéquates et qui fait tout son possible pour se faire accuser. Elle n’est pas non plus – du moins l’espérons nous- dépourvue d’une forme de beauté, puisqu’elle revient à transformer une sordide histoire d’argent en une histoire d’amour. » P. 172
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Toute la littérature théorique sur le roman policier d'énigme est dominée par un principe de dissimulation qu'Agatha Christie semble avoir porté à sa perfection, principe que se décompose en deux règles. La première est que la vérité doit être cachée pendant l'ensemble du livre. Le roman policier n'a de sens que si la vérité n'est pas révélée avant la fin du texte et, si possible, avant les toutes dernières pages. Cette dimension ludique est essentielle à la constitution même de l'aveuglement, qui prend d'autant plus de force qu'il est tardivement dissipé.
Second aspect du même principe : tout en étant cachée, cette vérité doit être accessible au lecteur, et même placée en évidence.
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Attentive à de tels actes manqués textuels, la psychanalyse permet aussi de ne pas lire exclusivement les créatures de fiction à partir de la seule catégorie du personnage, et de prendre en compte des entités qui les transcendent ou les dépassent, des forces psychiques en action dans l'œuvre. Les mécanismes du déplacement et de la condensation peuvent ainsi faire surgir, à partir des personnages établis, des couples fantasmatiques, voire des figures composites, inimaginables autrement. Cette géométrie psychique permet notamment de mieux percevoir les relations entre les trois pointes du triangle formé par Poirot, Sheppard et sa sœur.
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Mais surtout, le monde que produit le texte littéraire est un monde incomplet, même si certaines œuvres proposent des mondes plus complets que d'autres. Il serait plus juste de parler de fragments de mondes, constitués de parties de personnages et de dialogues, où des pans entiers de la réalité font défaut. Et, point essentiel, ces défaillances du monde de l’œuvre ne tiennent pas à un défaut d'information que le travail de recherche, comme en histoire, peut espérer combler un jour, mais à un défaut de structure, à savoir que ce monde ne souffre pas d'une complétude perdue, faute d'avoir jamais été complet. De ce fait, le texte n'est pas lisible si le lecteur ne lui donne pas sa forme ultime, par exemple en imaginant, consciemment ou inconsciemment, une multitude de détails qui ne lui sont pas directement fournis. Pour toutes ces raisons, il n'existe pas de texte littéraire indépendant de la subjectivité de celui qui le lit.
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Qui s'est jamais interrogé sérieusement, par exemple, sur les étranges épidémies de décès qui frappent les héros des fables de La Fontaine ? Est-on si assuré que la dame aux camélias soit morte de mort naturelle ? Est-il exclu que Madame Bovary ait été assassinée ? Et que sait-on au juste du décès de Bergotte ?
Indépendamment du problème des morts suspectes, de multiples faits littéraires gagneraient de toute manière à être remis en perspective ou éclairés différemment. Peut-être est-il temps ainsi de se demander ce qu'il est advenu de Madame de Merteuil après sa fuite en Hollande, quelle est l'identité véritable du prétendu colonel Chabert et qui a déclenché, parmi tous les ouvriers suspects de la mine, la catastrophe de Germinal.
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Nancy Murzilli invite Pierre Bayard & Yves Citton
Dans l'essai de Nancy Murzilli, la fiction est analysée sous le prisme d'une expérience de pensée. Raconter des histoires, jouer au pirate, interpréter un personnage de théâtre ou un rôle social, faire des projets, mentir, rêver, parler aux fantômes ou aux anges, communiquer avec le règne animal, lire l'avenir dans les tarots ou dans les astres, jeter des sorts, écrire des romans… Souvent perçues comme des échappatoires au réel, ces opérations mentales nous permettent de « savoir » et d'« agir » sans utiliser les moyens ordinaires d'information.
En avril et avec la complicité de la comédienne Anne-Laure Sanchez, Nancy Murzilli tirait les cartes à la Princesse de Clèves. Pour cette deuxième rencontre, elle invite deux « personnages » de son livre, Pierre Bayard et Yves Citton, chercheurs reconnus pour leurs travaux sur les fictions littéraires et sociales.
« Tout écrivain qui a discuté un peu longuement avec un lecteur attentif connaît cette expérience d'inquiétante étrangeté où il se rend compte de l'absence de correspondance entre ce qu'il a voulu faire et ce qui en a été compris. » Comment parler des livres que l'on a pas lus ?, Pierre Bayard
À lire – Nancy Murzilli, Changer la vie par nos fictions ordinaires, Premier parallèle, 2023 – Pierre Bayard, Et si les Beatles n'étaient pas nés ?, éd. de Minuit, 2022 – Yves Citton, Altermodernités des Lumières, Seuil, 2022 – Yves Citton, Faire avec. Conflits, coalitions, contagions, Les liens qui libèrent, 2021.
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