Enfin, la véritable fascination que le créateur du Radeau de la Méduse a exercée sur quelques artistes, dont certains furent ses élèves, a entraîné un nombre considérable de copies qu'il est parfois - surtout quand il s'agit de chevaux - difficile de distinguer des originaux, tant les copistes ont réussi à s'assimiler la technique du maître! Il est en effet beaucoup plus aisé de s'approprier les procédés de Géricault, qui est et se veut un peintre «objectif», que ceux de Delacroix dont la facture est plus «artiste». Le «coup de patte» de ce dernier est inimitable. Cependant, après plusieurs années, on finit par acquérir une certaine familiarité avec le maniement de la brosse du peintre des Fous.
A ces circonstances déjà fâcheuses s'est ajouté un effet du «scandale» des amours de Géricault avec sa propre tante, qui a amené une famille à en anéantir les traces, détruisant particulièrement la correspondance de l'artiste. Il a fallu la trouvaille fortuite par un conservateur en chef des Archives de France de la succession de son fils naturel pour dévoiler ce mystère. Quand écrit Clément, plus de quarante ans après la mort de l'artiste, cet historien, qui connaît le secret, se garde bien de le livrer au public, il caviarde les quelques lettres qu'il cite et qui pourraient nous ouvrir des lueurs sur la vie intime de l'artiste et sur ses pensées profondes.
Les catalogues de vente, rédigés sans aucun soin par les experts et les commissaires-priseurs, ne sont que de misérables listes où les titres même des tableaux sont approximatifs, où les dimensions ne sont même pas indiquées! C'est seulement vers 1860 que les commissaires-priseurs se préoccuperont de ce «détail». Le catalogue de la vente après décès de Géricault est si mal fait qu'à part les trois tableaux du Salon, on peut y approcher l'identité de quatre ou cinq œuvres à peine.
Diverses circonstances ont contribué à obscurcir les données de la carrière et de l'oeuvre de Géricault. Il est mort jeune et dans un moment qui vit le creux de la vague du commerce d'art en France. Ce négoce, qui était remarquablement organisé au XVIIIe siècle, il a fallu plus d'un demi-siècle pour qu'il se remît du choc de la Révolution. Or, lorsqu'une oeuvre est un bien négociable, elle acquiert un état civil; elle a une vie propre qui laisse des traces écrites.
Germain Bazin L'époque impressionniste.