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Critique de vagabondssolitaires


«Chez les Noirs, d'habitude, on réserve les lamentos pour les funérailles. J'ai vu des gosses se prendre sans moufter des coups de matraque, des pare-chocs et même des balles. Car seules deux occasions vous autorisent à verser une larme : manquer d'un seul petit numéro la grosse cagnotte du loto ou perdre un proche. Deux cas dans lesquels pleurer est acceptable, mais une fois et une fois seulement. Pas le temps de broyer du noir, parce que le lendemain, le nègre, y doit retourner marner.»

Et Gunnar Kaufman, broyer du noir c'est pas son truc (jeu de mots facile j'avoue). Messie-en-devenir, descendant d'une famille d'afro-opportunistes, basketteur-poète et doué d'une intelligence sans borne, Gunnar son truc, c'est plutôt de broyer les préjugés, la servitude et de renvoyer les manipulateurs de la "négritude" dans les champs de coton !
«Et l'Histoire a ajouté mon nom à la bande de messies déjantés qui répondent présent à l'appel de Satan: Jim Jones, David Koresh, Charles Manson et le général Westmoreland. Toute la bande et puis moi. Les pages qui suivent constituent mes mémoires.»

Ce «moi» c'est Gunnar Kaufman donc, enfant au «coeur en fer-blanc emballé dans un placage en cuivre bruni.» Sa condition de «noir cool» de la "white middle class" de Santa Monica ne plaisant guère à sa maternelle, celle-ci aura vite fait de le catapulter lui et ses deux soeurs, dans le ghetto de Los Angeles. Là, au milieu de consoeurs blacks, gangsters latinos et autres épiciers coréens, les premières raclées lui apprendront sans concession à devenir un nègre véritable et fier!

De cette prise de conscience sur sa condition de nègre, on assiste alors, dans une mélopée jazzy, à la naissance de cet American Prophet, un brin fêlé, guidant une ethnie perdue vers cette Terre tant Promise. Entre épisodes de préjugés racistes et réalité du ghetto, la poésie est à l'oeuvre. Non seulement parce que le personnage de Gunnar est un poète, mais surtout parce que Paul Beatty, l'auteur, est un slameur confirmé et sait, de ce fait, jouer avec les mots. On saute d'une phrase à l'autre d'un langage soutenu à un dialecte des rues pour le moins argotique. Et cette alliance, plus qu'alternance, est pure merveille !
(bravo donc à la traductrice Nathalie Bru qui a su retranscrire cela.)

«Picoti Picota tape le nègre et puis s'en va.»

Dans une fresque de personnages décalés qui accompagnent ce Luther-King-revu-et-corrigé, la prose se veut tour à tour cynique et optimiste, émouvante et violente, engagée et innocente. Paré de réflexions idéologiques sur la condition et le devenir de l'homme noir dans la société nord-américaine, le texte et truffé de références au Mouvement des droits civiques et à la culture afro-américaine notamment, dont un "lexique" d'une quinzaine de pages à la fin du livre s'avère particulièrement utile et éclairant.

Roman coup de poing de cette rentrée, American Prophet est un hymne à la tolérance où les préjugés, autant sur les petits blancs proprets que les blacks bagarreurs du ghetto prennent une sacrée dérouillée.

Et comment passer à côté du graphisme de la couverture, tout simplement superbe !
American Prophet de Paul Beatty, c'est sorti le 5 septembre, au Passage du Nord Ouest

«Comme le bon révérend King
"J'ai fait un rêve" moi aussi,
mais en me réveillant
je l'oublie et
je me souviens que je suis en retard au travail.»
Lien : http://vagabondssolitaires.w..
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