L'auteur ayant réchappé d'un long coma, évoque la souffrance, l'absence, la mort, la famille et Dieu, se laisse aller au gré de ses souvenirs, convie sa défunte mère, ses chiens, ses frères et soeurs à l'accompagner dans la maladie.
Même si la langue est belle et assez poétique, j'ai beaucoup de mal à accrocher à ce que j'ai reçu comme des divagations, des états d'âmes.
Il reste une réflexion sur la vie et une impression d'humanité, celle des sentiments ordinaires, celle des liens d'amitié, d'amour.
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Contrairement à « Turkana Boy » et « Le jour des corneilles », lus il y a quelque temps et dont le style littéraire ne me plaisait pas, avec cette trilogie, l’écriture tout en dentelles exprime une grande profondeur et sensibilité. C’est intimiste, quasi autobiographique, remplie d’une réflexion profonde sur le sens de la vie avec la mort comme dernier passage. Comme l’auteur l’indique dans le premier tome : « La fabrication de l’aube », il est entre la vie et la mort et l’essentiel, pour lui, prend forme par les gens qu’il aime. Sa famille devient son socle et sa mémoire, et par cette mémoire il consolide son existence tout en affirmant son athéisme. Par opposition, dans le deuxième tome : « Ceci est mon corps », il relate la vie de Jésus, comme s’il avait voulu donner deux points de vue sur le sens de la vie. Le dernier tome : « Cette année s’envole ma jeunesse » est un récit poétique qui relate sa jeunesse, mais surtout le souvenir de sa mère, personne la plus importante de sa vie qui le suit partout, comme si elle n’avait jamais cessé d’être vivante en lui
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Une maladie grave, un coma, six mois d'hospitalisation...cela aurait pu être plombant mais sous la belle plume de JF Beauchemin, c'est une réflexion sur la vie et la mort; sur l'importance de l'amour que sa famille lui a prodigué pendant cette longue période de souffrance. C'est de la lumière et de la joie comme d'habitude.
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Je songe à ma mère […] elle aurait voulu apprendre à conduire une auto. Les leçons de mon père, expéditives et consternantes d’anti-pédagogie, eurent cependant vite raison de ses ambitions. Assis en rang serré sur la banquette arrière de l’interminable Pontiac familiale, nous assistions, hilares et épouvantés, à ces brefs enseignements pilotés d’une main de fer par papa. Cela commençais invariablement de la même façon. Maman devait faire reculer l’engin de l’allée pour le mener, comme il se doit, dans la rue. Cette action simple devenait pour nous une sorte de roman d’anticipation assez terrible. D’abord, en raison de sa durée. Il se passait toujours un temps infini avant que nous sentions, sous nos fesses, les premiers ébranlements du moteur. C’est que mon père, crispé, le son ruineux d’une caisse enregistreuse lui résonnant déjà dans le cerveau, prodiguait à son épouse, avant même que la clé ne soit insérée dans le contact, d’abondantes consignes. Cependant, nous lisions sur les traits et la nuque raide de papa que toutes les consignes du monde n’arriveraient jamais à lui rendre son sang-froid. Sa terreur nous parvenait : massive. Et déjà, alors que la Pontiac roulait ses premiers centimètres à reculons, le tapis ras du plancher était couvert de nos rognures d’ongles. C’est en cela surtout que nous nous sentions en plein roman. Dès la fin de la première page de cette histoire qui nous promettait d’être rebondissante, nous redoutions ce que la suivante nous réservait. Derrière les vitres, le décor commençait à bouger. Nous attendions, haletants, nos cheveux coupés en brosse hérissé sur le crâne. S’ensuivait une série de manœuvres chaotiques, évoquant pour nous la valse-hésitation d’un cheval perplexe. Notre première angoisse passée, nous pouvions ensuite nous taper les cuisses et commenter bruyamment le style de conduite de maman. Cela jaillissait de nos jeunes cervelles, puis sortait de nos bouches comme une fête; une sorte de chansons à boire. D’un seul coup, la banquette arrière était transformée en taverne, dont nous étions les clients assoiffés et viveurs. Je ne sais pas ce que maman, concentrée extrêmement sur le volant, pensait de ce remue-ménage. Je n’ai pas de souvenir précis d’une quelconque réaction de sa part. Peut-être parce que celle de papa était tellement plus spectaculaire. Car alors, lorsque, courroucé au possible, mon père en avait assez de nos cris, de nos rires et de nos prières d’hérétiques, il nous administrait ce que mon frère Jacques a baptisé, bien plus tard : la claque inversée. Cela consistait pour lui, tout en gardant son regard fixé sur le pare-brise, le torse aussi bien assuré dans le même axe, à allonger le bras par-dessus la banquette avant et, du revers de la main, à nous expédier en rafale, six mornifles dupliqués mais, rendant, assez inexplicablement, le son d’une seule. Tout se jouait en une seconde ou deux. Il nous laissait moins corrigés que stupéfaits. Presque admiratif tant l’opération avait due exiger de lui une gymnastique et un sens du synchronisme dont nous le savions bien incapable en temps normal. Nous apprenions ainsi deux choses. Il fallait, pour que papa sorte de ses gonds avec autant de savoir-faire, d’une part, l’outrageuse supériorité de la Pontiac sur maman et, d’autre part, le petit carnaval dont nous accouchions sur la banquette arrière. Le pire était qu’aucun coup de semonce n’annonçait cette raclé sommaire, mais impétueuse. Un moment, nous nous vautrions dans notre fricassé de clameurs, et le moment d’après, réduit au silence, le sourcil bas, nous nous frottions la joue et testions nos mâchoires.
Au bout de six mois, je m'attendais de la part de ma chienne Clara à une démonstration de joie sans précédent. Mais l'animal qui m'a accueilli à ma descente de voiture, bien que ressemblant en tout point à ma chienne, n'était pas du tout ma chienne. Où était la Clara noceuse que j'avais connue? Elle me tournait autour, me regardait, timorée et confuse, comme pour dire:" Mais où étais-tu donc, bougre d'humain? Tous les jours, je t'ai attendu. J'ai imploré à chaque heure le dieu des chiens pour que tu pousses à la fin la porte de cette maison. Et c'est maintenant seulement que tu reviens? Où étais-tu, petit humain oublieux?
Mais, bien sûr, je n'avais pas oublié. C'est que je rentrais d'une longue nuit, de celles qui logent au coeur des pierres avant qu'une main amoureuse n'en casse l'horizon.
C'est de ma mère que j'ai appris à vivre lentement. Les matins d'été, à la maison familiale, elle venait souvent s'asseoir sur la balcon. Je l'y rejoignais, elle me disait : "écoute cet oiseau dans l'orme ; c'est le même que j'ai entendu hier, et avant-hier encore. Il a ses habitudes". J'avais dix, douze ans. Je tendais l'oreille sur le monde, et le monde me renvoyait sa rumeur chantée. C'était avant que je ne perçoive le fracas venu du fond de la terre, charriant avec lui la colère des peuples entrechoqués, le bruit de la bêtise faite homme
Celui qui souffre plus que le permet la décence, que ce soit dans son corps ou dans son âme, n'a déjà plus autant accès à la grande et haute famille humaine. Il en est pour l'essentiel exclu, en ce que la dignité qui lui était donnée avec la paix de la chair et de l'esprit est à présent niée.
Il y a dans cette mise en terre de la chair qui nous inventa bien plus qu'une ablation: il y a la négation de notre propre commencement, autrement dit le rappel brutal de notre appartenance au néant. En devenant orphelin, nous devenions donc fils et fille de la mort, et peut-être la tristesse tranquille qui parfois vient se mêler à nos rires s'abreuve-t-elle à cette eau trouble.
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