Que mange-t-on, alors, lorsqu'on vit avec un plus de 400 euros par mois, soit 100 euros par semaine? Comment nourrit-on sa famille?
Une raison majeure de l’oubli de ces dernières dans la rhétorique et les propositions de la gauche de gouvernement réside dans le fait que les partis en charge de la gestion gouvernementale ont essentiellement de mauvaises nouvelles à apporter aux catégories les plus modestes de leur pays : précarisation de l’emploi, stagnation du pouvoir d’achat, augmentation de l’âge de départ à la retraire, avenir peu brillant promis aux jeunes générations, etc. Même des mesures qui s’offrent d’abord comme conquêtes sociales – la réduction hebdomadaire du temps de travail par exemple – trouvent leurs limites et des contreparties dures pour les plus défavorisés : flexibilité accrue, contrainte d’horaires irréguliers, stress aggravé.
Henri Rey, Des classes populaires (presque) invisibles, p. 557
Gars du coin, entretien avec Nicolas Renahy, p. 186
Il existe une forme de crise de la masculinité. Elle s’ancre souvent dans le fait que d’avoir eu un père au chômage, ou de l’avoir vu « soumis » à l’usine du coin, pose, pour des jeunes garçons, problème dans l’image de l’homme. Mais cette domination sociale a des répercussions intimes douloureuses. Elle se manifeste chez beaucoup de jeunes hommes qui ont du mal à avoir du succès auprès des filles. Parce qu’ils espéraient mieux et que leur horizon s’est réduit ou parce qu’ils incarnent trop un mode ancien de conjugalité. Concrètement certains ne savent pas cuisiner, s’occuper de leur linge, et, comme me disait une des filles que j’ai rencontrées : « Mon mec, il a trente ans de retard… » Ceux-là demeurent enfermés dans des logiques de bandes, postadolescentes, parce que c’est rassurant. Au sein du petit groupe, parfois le même que celui du collège, on n’a pas de choses à prouver. Ceux-là intériorisent un manque de confiance terrible qui les annihile pour arriver à séduire.
La construction lente du système de protection s’est constamment organisée autour de la tension entre les partisans d’une version libérale fondée sur la responsabilité individuelle et les tenants d’une conception de la solidarité fondée notamment sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793, qui affirme dans son article 21 : « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler. » (Le Malaise du travail social, p. 604)