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Citations sur Plats du jour : Sur l'idée de nouveauté en cuisine (38)

Cette prédominance de la cuisine française dans une certaine sphère sociale ne s'établit pas sans réticences quelquefois.
L'opposition peut, ainsi, être très forte en Angleterre et donner lieu à de véritables polémiques dès l'orée du XVIIIe siècle et pour longtemps. (...)

Ce que reprochent en général les Anglais à la cuisine française, c'est sa sophistication, voire sa complication. Mennell y voit l'influence directe du contexte politique et social : le système curial à la française, mis en place par Louis XIV, favorise cette culture de l'ostentation que ne connaît quasiment pas l'aristocratie anglaise vivant davantage sur ses terres et menant une vie moins oisive. Mais cette hostilité britannique prend volontiers aussi un tour politique

(...) Il n'empêche, la présence française outre-Manche se poursuit tout au long du XIXe siècle, débutant avec Carême, qui a été cuisinier du prince régent, futur George IV, et se terminant (si l'on peut dire) avec Escoffier qui installe à Londres son quartier général.
Entre-temps, les cuisines du Reform Club sont dirigées par Alexis Soyer, la reine Victoria se fait servir par Francatelli, d'origine anglaise mais formé sous les ordres de Carême ... le dîner du 21 septembre 1841 comptait quarante plats - ce qui signifie, d'ailleurs, qu'il était servi "à la française" -, et tous avec des dénominations françaises, sauf quatre en guise de "side board", c'est-à-dire en extra, concession au goût anglais ...

(...) Une autre remise en cause significative de l'hégémonie française est celle apportée à la fin du XIXe siècle en Italie par Pelegrino Artusi. En fait, comme le montrent Capatti et Montanari, il s'agit plutôt, après l'unification du pays, d'y permettre la circulation des recettes d'une région à l'autre en les dotant d'une langue commune, la terminologie culinaire française ou inspirée de celle-ci, faisant la part belle aux gallicismes ampoulés, n'ayant plus rien à faire ici.
Artusi meurt en 1911 mais après la Première Guerre Mondiale, son entreprise est récupérée par le régime fasciste.
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Esthétisme et gourmandise n'ont rien de contradictoire, a priori.

Certes, cette dernière ne peut être aujourd'hui celle du XIXe siècle, période que l'on cite toujours comme une sorte d'apothéose de la gastronomie ; cet idéal de la pléthore nous semble désormais bien étranger, mais, sans nul doute, d'autres modèles existent (...)

Il faut donc, non pas réinventer la gourmandise - ce n'est pas une chose qui se construit, mais qui, spontanée, surgit lorsqu'on ne l'attend pas ; dans laquelle, en tout cas, l'inconscient a une grande part - mais, certainement, la ranimer, la cultiver, entretenir un terrain qui lui soit propice, l'exercer, et puis la revendiquer et, quelquefois même, l'imposer.
Et, pour cela, avoir un désir ou/et un discours forts.

Dans cette perspective, l'esthétique a un rôle à jouer.
Non pas cet esthétisme tel qu'il s'exerce aujourd'hui et qui procède par intimidation, mais cette étude de notre sensibilité gustative à nous tous, gastronomes en puissance, qui nous permettrait, enfin, de porter un regard différent tout autant sur la création culinaire que sur notre propre gourmandise, et de faciliter, alors, ce dialogue dont il était question plus haut.

Autrement dit, cultivant notre goût (gustatif) personnel, éduquons notre (bon) goût qui ne peut être, lui, que social.
Envisageons la gourmandise comme méthode d'éveil à l'un et à l'autre, et non plus comme source d'un plaisir égoïste et solitaire.
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La première édition du Larousse gastronomique (1938) donne la définition suivante d'une sauce :
"Par ce mot, on entend, d'une façon générale, tout assaisonnement liquide des aliments.
On classe dans les sauces des apprêts très divers non seulement par leur saveur et leur apparence mais aussi par leur composition : jus des viandes rôties, vinaigrette et ses dérivés, hollandaise, mayonnaise, béarnaise, jus liés à la farine, à la fécule, au sang, etc."
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Dans une deuxième partie, la cuisine sera envisagée du point de vue de la conquête de son autonomie. La quête de nouveauté est sans doute l'un des facteurs principaux de cette dernière. Cette évolution se poursuit tout au long des trois siècles qui séparent Le Cuisinier françois de la Nouvelle Cuisine selon Gault et Millau. Si la création culinaire proprement dite est le déclencheur de cette transformation et l'accompagne, elle est soutenue au cours de celle-ci par un certain nombre de phénomènes qui lui sont intimement associés et relèvent, eux aussi, de ce désir de changement : une approche théorique originale de la cuisine, une démocratisation de cette dernière, la conquête par les cuisiniers de leur indépendance, enfin.

Le premier de ces phénomènes concerne la pensée réflexive : les premiers cuisiniers se revendiquant français, s'emparant du pouvoir, timidement d'abord, face aux maîtres d'hôtel alors tout-puissants, s'affirment en publiant des livres ; ce faisant, ils inscrivent leur pratique dans un registre intellectuel qui n'était pas le sien, et enclenchent un mouvement émancipatoire qui concerne aussi tous leurs confrères. Il s'agira donc de l'étudier tant du point de vue de celui qui pose ces nouvelles bases théoriques que de celui qui s'y trouve confronté.

D'autre part, en faisant de la cuisine un enjeu social, le système curial mis en place par Louis XIV suscite tout à la fois la naissance d'une "haute" cuisine et un engouement pour la table qui ne se dément plus, même aux heures les plus sombres de l'histoire nationale, poussant d'ailleurs tout ce que le pays compte de têtes pensantes à s'interroger sur le contenu des casseroles.
Cette deuxième voie est celle de la démocratisation : si cette nouvelle cuisine française naît à la Cour, le fait qu'elle soit dès son origine un élément du paraître social et qu'elle ait son pendant à la Ville, en particulier dans une classe bourgeoise qui détient le pouvoir économique, l'inscrit dans le mouvement général vers une démocratisation toujours plus grande (suivant, d'ailleurs, en cela un chemin strictement parallèle à celui de la mode).

Cette démocratisation se traduit de différentes façons : simplifications successives, institutions telles que le restaurant ou la critique gastronomique, assurant une médiation entre grand public et grande cuisine, et pour finir une médiatisation généralisée.

La troisième voie de la conquête de son autonomie par la cuisine est celle de l'indépendance des cuisiniers : du statut de domestique, c'est-à-dire jusqu'à récemment pas grand-chose, voire celui de citoyen au rabais, le cuisinier devient peu à peu auteur et créateur.
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Dans un premier temps, il nous semble donc pertinent d'étudier ce phénomène de l'innovation culinaire sous l'angle d'une certaine parenté avec celui de la mode. Auguste Escoffier, le grand cuisinier réformateur de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, soulignait d'ailleurs cette parenté dans l'une des préfaces de son Guide culinaire : "Alors que tout se modifie et se transforme, il serait absurde de prétendre fixer les destinées d'un art qui relève par tant de côtés de la mode, et est instable comme elle."

Comment donc, dans l'univers de la gourmandise, s'est mise en place et développée une demande de renouvellement de plus en plus exigeante, et en quoi celle-ci induit des réactions similaires dans un domaine comme dans l'autre de la part de leurs acteurs respectifs.

Si un grand nombre des recettes encore présentes aujourd'hui dans les livres de cuisine ont été mises au point, à très peu près, dès la deuxième moitié du XVIIe siècle, innovations techniques, innovations formelles se sont cependant succédé à un rythme soutenu, bouleversant en profondeur la cuisine elle-même, de la même façon que le vêtement a connu des transformations radicales alors que certaines de ses pièces, les gants par exemple, ont traversé les siècles quasiment sans modification.
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Dans une histoire de la mode parue au début des années 1980, Bruno du Roselle faisait la distinction entre l'histoire de celle-ci proprement dite et celle du costume.

Le même distinguo peut avoir cours ici, si ce n'est que l'on se retrouve confronté à la polysémie de certains mots dans la langue française, particulièrement frappante d'ailleurs dans le domaine du goût : alors qu'en anglais il existe différents mots pour parler de cuisine (food, cooking, cuisine ... sans parler de kitchen), en français nous n'avons que celui-là ou alors d'autres trop particuliers, tels que recettes, techniques, etc.

On aurait ainsi une histoire des recettes et de la technique culinaire, et une autre qui serait plutôt celle des ruptures, des prises de conscience et des regards portés sur cet "art".
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Le rôle prépondérant joué sur la scène internationale par la cuisine française pendant plus de deux siècles et jusqu'à récemment justifie la place qui lui est accordée dans une bonne partie de ce qui va suivre. En aucun cas, cependant, cette prééminence ne doit être mise sur le compte d'un quelconque chauvinisme : au contraire, on y verra comment, au cours des trois dernières décennies, se sont constituées différentes hautes cuisines nationales - de l'Italie aux Etats-Unis, de l'Espagne à l'Australie, en passant par la Grande-Bretagne, les pays scandinaves ou la Slovénie - et comment celles-ci ont, à leur tour, conquis leur autonomie.

Le rapport à la nouveauté, dans les cultures non occidentales, est extrêmement différent du nôtre, aussi cette question de l'innovation culinaire n'apparaît pas de la même façon - quoique, depuis quelques années, elle s'y fasse jour aussi, dans des termes qui s'en rapprochent.

Mais, en définitive, qu'est-ce donc que la nouveauté en cuisine ?
La réponse n'est pas univoque ...
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Le dernier grand cuisinier du (17e) siècle, Massialot, publie "Le Cuisinier Roïal et Bourgeois" en 1691. Dans sa préface, il met l'accent sur l'imitation des contemporains, évidemment prestigieux : "C'est un Cuisinier qui ose se qualifier de Royal, et ce n'est pas sans raison, puisque les Repas qu'il décrit pour les différents temps de l'année ont tous été servis depuis peu à la Cour, ou chez des Princes et des Personnes de premier ordre." Cela ne l'empêche pas de glisser cependant une remarque quant à l'actualité de ses recettes : "depuis peu" ...

Sont en jeu, tout à la fois, le prestige social et l'actualité : en donnant accès à ces modèles contemporains, le cuisinier renforce chez le lecteur le sentiment d'être au plus près du pouvoir central. Massialot alimente ainsi la "machine à imiter" qu'est devenue la société française.

Mais le plus grand intérêt de son livre réside, peut-être, dans son organisation : il s'agit du premier où les recettes sont présentées par ordre alphabétique, ce qui témoigne d'un souci de méthode nouveau et différent.
La Varenne esquisse déjà une mise en ordre du contenu, soulignant les articulations techniques, Massialot met l'accent sur l'approche "intellectuelle" - quoi de plus abstrait que l'alphabet ? Comme l'architecture, la cuisine se fonde donc en nature et raison.
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Certaines (recettes) ont, d'ailleurs, traversé les siècles jusqu'à nos jours, celle du "Bœuf à la mode", par exemple. Surtout, La Varenne aborde la cuisine de manière bien différente de ce qui pouvait se faire auparavant.

Une véritable réflexion théorique et technique se fait jour, qui va permettre à la cuisine de se développer et de produire ainsi de la nouveauté : il n'est déjà plus question d'empiler, mais d'assembler, ce qui ouvre la voie à l'esthétisation.

Beatrice Fink (historienne) utilise pour la cuisine de La Varenne le terme de "modulaire" : la cuisine est conçue non plus comme une compilation de recettes sans lien entre elles, mais comme une sorte de jeu de construction.
Apparaissent ainsi en tête de chaque chapitre les recettes de base qui servent tout au long de celui-ci, des préparations préfigurant les futurs fonds qui jouent un rôle primordial dans la cuisine française classique.

Barbara Ketcham Wheaton remarque : "Le métier de cuisinier est difficile, mais il a des satisfactions. Inventer quotidiennement des plats avec une pléthore d'ingrédients doit tenir un peu du rêve, dans une société où la famine est, pour la plupart des gens, une menace omniprésente. Lorsque l'habileté et l'invention exigées des cuisiniers se conjuguent à la somptueuse hospitalité prodiguée par les classes privilégiées qui doivent étaler ostensiblement leurs richesses pour préserver leur rang, l'art culinaire prend véritablement son essor."
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Lorsqu'on parle de nouveauté en cuisine, on imagine spontanément un plat qui n'a jamais existé, qui n'a été goûté par quiconque auparavant. Comme le dit encore Revel à propos du rapport entre patrons et cuisiniers au XVIIIe siècle : "Un cuisinier c'est un homme capable d'inventer ce que l'on n'a pas encore mangé chez les autres."

Or la cuisine dispose de quatre leviers pour aboutir à cela, qui correspondent à ses quatre actions fondamentales - choisir, cuire, assaisonner, assembler -, et chacun à son tour peut être facteur de nouveauté et conférer ce caractère à un plat : choisir et assaisonner, en introduisant des produits inconnus ou inusités jusqu'alors, cuire et assembler, en le faisant avec de nouvelles techniques, tandis qu'assaisonner et assembler, en traduisant le génie propre du cuisinier.

Pendant des décennies d'ailleurs, la nouveauté culinaire s'est le plus souvent cantonnée à ce dernier type d'innovation : les produits inconnus, les techniques révolutionnaires n'étant pas si fréquents, l'innovation était surtout combinatoire.

Mais reportons-nous presque deux siècles en arrière : ce même plat, servi à la française ou à la russe, à la table d'un prince ou dans un restaurant, n'était plus le même, le service à la russe, c'est-à-dire suivant un ordre successif, et non plus simultané, sa présence sur une carte lui apportait une dimension nouvelle avant même de le modifier d'un point de vue technique (ce qui n'a pas manqué d'arriver d'ailleurs). On le voit donc, un plat peut être véritablement innovant, mais la manière de l'offrir ou de le consommer peut l'être tout autant, lui conférant une dimension inédite, celle de la relation qui s'établit entre le cuisinier et son - faut-il l'appeler ainsi ? - "public".
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