AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de ahasverus


"En voyage le natif s'aperçoit avec scandale qu'il y a dans les pays voisins des natifs qui le regardent à son tour comme étranger.", écrivait Simone de Beauvoir. "Aucune collectivité ne se définit jamais comme Une sans immédiatement poser l'Autre en face de soi. Il suffit de trois voyageurs réunis par hasard dans un même compartiment pour que tout le reste des voyageurs deviennent des autres vaguement hostiles."

Or ce monde est un monde d'hommes : l'histoire, les statues, les tableaux, les films, la littérature, tout concourt à la glorification des grands hommes, et tout ou presque fut fait par eux. Les femmes ne sont majoritairement que d'ennuyeux seconds rôles, et dans cette circonstance, la femme est l'Autre, cet autre dont l'anthropologue Sonia Darthou écrivait récemment qu'il peut surgir et venir vous perturber, vous paniquer ou vous méduser ; cet Autre que les villageois du Rapport de Brodeck, suspicieux, avaient éliminé ; cet Autre qui sème le trouble dans le pensionnat de jeunes filles de Mrs Farnsworth chez Thomas Cullinan ; cet Autre dont l'intérieur reste toujours dans une pénombre un peu inquiétante, et qu'il faut au moins surveiller, au mieux contrôler.

Qu'est-ce qui a permis à l'homme d'imposer à l'Autre une telle souveraîneté universelle ?

Simone de Beauvoir répond au travers d'un essai philosophique dont le premier tome, d'environ 500 pages, fut écrit en 1948-1949. Parcourant l'histoire, les mythes, la biologie et l'éducation, elle date l'asservissement de la femme à son rôle de porteuse au sein du clan préhistorique, dans lequel l'homme devait avoir les mains libres pour défendre le groupe. La condition féminine serait le résultat de cette position secondaire, la consécration de l'existence humaine n'étant pas, au contraire de la vie animale, la reproduction mais la transcendance : dépasser la vie pour le bien de l'espèce. Et la femme, animée d'un même sens de la vie, "applaudit avec l'homme le chasseur qui meurt pour la tribu".

Sculptés durant des millénaires, à coups de religions, de morale, de mythes, d'outils culturels en tous genres, les stéréotypes de l'homme-guerrier et de la femme-vassale, sont devenus des modèles toujours enseignés. Servantes adorées, les princesses, auxquelles on ne demande que d'être belles et parées, attendent que des chevaliers, auxquels on ne réclame que d'être braves et armés, viennent les choisir, les délivrer, et illuminer leurs existences. de ce mensonge perpétuel sur lequel repose notre modèle social naît une constante et mutuelle déception dont l'homme reste cependant le principal usufruitier. Mais son tour de force a été que la femme elle-même se considère en tant qu'étrangère sur sa propre terre, et qu'ainsi elle adhère et concourt au maintien de sa position subordonnée et l'inculque à ses jeunes soeurs
.
Cet excellent essai philosophique, moderne, intéressant, accessible, trouvera sa fin dans un second volume qui nous entraîne "vers la libération". Sachant que Simone de Beauvoir estimait que "Lorsque deux catégories humaines se trouvent en présence, chacune veut imposer à l'autre sa souveraineté" et que "si l'une des deux est privilégiée, elle l'emporte sur l'autre et s'emploie à la maintenir dans l'oppression", il se pourrait que le chemin à parcourir soit bien plus long qu'il n'y paraît, voire même que nous soyons incapables d'y accéder.
Commenter  J’apprécie          2112



Ont apprécié cette critique (10)voir plus




{* *}