Vous avez du temps ? Vous cherchez un livre qui va vous poser des tonnes de questions ? le genre de questions qui ne trouveront pas de réponses claires… qui aboutiront sur des questions encore plus nombreuses… vous en voulez ?
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(Je m'excuse d'avance du nombre de points d'interrogation nécessaire à cette chronique)
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(…et je précise également que le lecteur n'est pas du tout obligé de se bouffer les petites peaux autour des ongles (les envies) comme je l'ai fait, et apprécier ce livre pour ce qu'il est simplement : la première parution d'un mythe de la littérature française…)
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Elle est un mythe. Tout a probablement déjà été dit sur elle, sur ses écrits, ce qu'elle a fait, ce que certains auraient aimé qu'elle fasse, etc. Elle s'est avant tout servie de sa propre existence pour écrire, obligeant tout commentaire ou réflexion de s'affranchir de la frontière vie privée / vie publique. Mise à nue, littéralement, ce qui n'empêche de nombreuses zones d'ombres et d'appréciations diverses selon sa grille de lecture de la société…
J'ai ressenti le besoin d'en faire le tour, car ce livre… et bien je l'ai détesté… sans à aucun moment avoir eu envie de le lâcher… sa qualité première venant sans doute de toutes ces questions qu'il m'a posé…
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Commençons par le plus évident, le critique de l'intrigue, et de son déroulement.
Une auto-fiction, nourrie d'une expérience vécue, largement commentée, comme manifeste social et moral, ce ménage à trois formé par
De Beauvoir et
Sartre avec la jeune Olga Kosakiewicz, à qui ce livre est dédié — Ce seul fait, au regard de ce qui suit, est déjà terriblement questionnant, brouillant d'autant plus la perception que l'on peut avoir de cette élève rouennaise, d'origine ukraino-polonaise — où l'on va sans cesse se poser (ou non) la question du vrai, du ressenti de l'auteur, de l'omis, de l'interprété et du librement romancé…
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Renommée Xavière dans le roman — question torve : vengeance personnelle ? Ou vision anachronique du lecteur ? (demandez autour de vous, ou bien à Googol… Tibéri devrait sortir en premier…) pourquoi ne pas lui avoir attribué un jolie prénom à consonance slave, Natasha, par exemple ? Je m'égare déjà ? — elle est introduite dans l'histoire, comme presque tous les personnages, sans aucune contextualisation, à part qu'elle vient de Rouen… Jamais Françoise (
S. de Beauvoir) ne nous expliquera pour quelles raisons s'est-elle attachée, ou sentie responsable, du destin de cette étrange jeune personne… Il faut s'en référer (volonté ?) à l'histoire réelle pour comprendre que Xavière/Olga était l'élève (mineure…) de Françoise/Simone, mais sans saisir davantage pourquoi la professeure tenait tant à l'« aider »…
Xavière est toxique… elle est chiante… pour un psy, elle serait une « perverse-narcissique ». On a beau se forcer, on a juste envie de l'abandonner sur une aire d'autoroute. On ne lui cherche pas d'excuses… même s'il en existait… Est-ce pour cela que Françoise et Pierre (
Jean-Paul Sartre) s'y attachent, au risque de s'y brûler ? Notion de sacrifice ? Expérience existentialiste ? Simple attirance magnétique et physique ? Ou humanisme désintéressé ? Pas de réponses claires… Et puis que risque-t-elle tant à Rouen ? « Gâcher sa vie » comme le craint Françoise, pourquoi ? Reflet d'un parisianisme bourgeois-élitiste ? Ou simple constat des écarts de moeurs entre la Capitale et la Province ? Idem, pas d'explications… ni même d'insinuations…
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Simone de Beauvoir invente une soeur à Pierre/
Sartre, Elisabeth, artiste-peintre en manque de confiance en elle, mélancolique, voir désespérée. Elle assume un rôle paradoxal, permettant une vision extérieure au trio; imprégnée d'une forme de jalousie informe sur ce qui l'entoure, elle est constamment rejetée malgré ses appels à l'aide… Elle accentue cette sensation que tous les rapports humains, en dehors du couple, sont constitués de veuleries et de détestations…
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Formé d'une part importante de dialogues, ce roman se lit assez rapidement. L'auteure nous perd parfois dans ses retranscriptions, à revenir à ligne avec un nouveau tiret, alors que c'est toujours la même personne qui parle (sans doute pour marquer une interruption).. pas très habile…
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L'épilogue, que certains ici divulgachent honteusement, fait exploser le compteur de points d'interrogation, tout en donnant une saveur particulière à l'ensemble.
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Une foule de questions donc… certaines dynamisées par les débats actuels… des jugements sur une oeuvre à la lumière de la vie privée de son auteur (coucou les autres); des appréciations totémiques d'une majorité n'ayant jamais rien lu d'elle, aux récriminations d'activistes aux quêtes incertaines, la pensée
De Beauvoir est difficile à cerner, et c'est assurément tant mieux…
Certains n'hésitent pas, quand il s'agit de la salir, à en attribuer une grande partie à
Jean-Paul Sartre, dont la personnalité équivoque ne peut être ignorée, alimentant cette théorie auto-destructrice du patriarcat comme source quasi-unique de tous nos maux. Un chargeur de balles dans le pied pour toutes les femmes de l'Histoire, qui malgré l'indéniable oppression subie plus ou moins selon les sociétés, n'en ont pas moins prise une part importante, impossible à mesurer clairement par ailleurs (à quoi bon ?).
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Ce que l'on peut retenir en premier (et c'est bien ce qu'il en reste dans
l'imaginaire collectif) : l'influence considérable et positive de ses livres, « le Deuxième Sexe » en premier, sur nos sociétés occidentales.
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S'affranchir de certaines contingences grâce à une société en surconsommation énergétique, et des conséquences sur l'organisation sociale, voilà un thème qui mériterait davantage d'attention… (passer son temps au restaurant, c'est sûr que ça libère beaucoup d'espace… le Dôme s'en souvient encore…), si vous me permettez cette digression conceptuelle anachronique…
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J'arrête là…Je n'alourdirai pas davantage cette critique en faisant celle de l'existentialisme, ni en développant sur les critiques récentes des « études de genre », et malgré cette note, vous encourage à vous plonger dans ce drame psychologique bourgeois que j'ai beaucoup aimé détester.