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"Tous les hommes sont mortels...". Tout le monde connaît la suite...Simone de Beauvoir dans son roman prend exactement le contre-pied de la conclusion de ce célèbre syllogisme et imagine un personnage Fosca qui après avoir bu volontairement un élixir de vie va devenir immortel et promener son existence dans une temporalité qui ira du XIIIe au XVIIIe siècle dans son récit et même jusqu'au XXe siècle dans les deux parties qui encadrent sa narration. Mais là où de nombreux auteurs ont choisi le conte philosophique ou la forme théâtrale pour évoquer ce thème de l'immortalité, Simone de Beauvoir embarque sa lectrice ou son lecteur dans un roman à dominante historique sans grand attrait pour moi, car très axé sur l'événementiel -surtout dans la période qui court du XIVe au XVIIe siècle- et je me suis un peu perdue dans le jeu des alliances et des mésententes entre les forces régnantes de ces époques tourmentées. J'ai aussi perdu de vue le héros principal Fosca que je n'ai pas vraiment senti exister en tant que personnage. Dès la première partie, on voit bien sur quel terrain veut nous emmener l'auteure : "l'immortalité est une malédiction". Mais il a été pour moi difficile d'entrer en empathie avec le vécu de notre héros.Bien sûr, sont évoqués la solitude, la perte identitaire liées à la mort des êtres aimés, le sentiment de vide qui en découle, la tentation aussi à certains moments de se perdre dans le vertige de l'instant qui annihile la temporalité, celle aussi de jouer les démiurges et de défier un dieu qui pour finir n'existe pas. Mais tous ces états d'âme sont peints de façon beaucoup trop distanciée et à aucun moment je n'ai vraiment partagé le vécu douloureux du personnage. Deuxième point qui m'a étonnée et dérangée c'est le point de vue foncièrement pessimiste de la conception de l'Histoire qui émane du roman. Fléaux naturels, guerres, massacres, pillages, tortures émaillent littéralement le récit de Fosca. Même les fêtes et les rituels collectifs de célébration d'une victoire portent en germe d'autres conflits tout aussi tragiques que les précédents. L'Histoire est circulaire, elle n'est qu'un éternel recommencement et tous ceux qui meurent sont morts pour rien. C'est en tout cas le triste constat de notre héros qui va alors se réfugier dans une indifférence très posturale, apparemment le seul moyen pour lui de moins souffrir. Il ne faut bien entendu pas calquer le point de vue de Simone de Beauvoir sur celui de son héros. Mais alors pourquoi n'existe-t-il dans le roman aucun contrepoint significatif à cette conception très sombre de l'Histoire et de l'existence humaine ? Comme on est loin des credo existentialistes et de la responsabilité de l'homme dans la conduite de sa vie ! Le fait que ce roman ait été publié en 1946 apporte sans doute un élément de réponse. Comment oublier si vite les traumatismes liés à la Seconde guerre mondiale ! Mais il reste pour moi une forte ambiguïté liée à l'interprétation du roman. + Lire la suite |