Une politique culturelle de plus en plus privée
Cela constituera sans doute un symbole du tournant que prend, peu à peu, la politique culturelle française : deux des plus grands musées new-yorkais, le MoMA et le Whitney Museum of American Art, exposeront à la rentrée une partie de leurs collections à Paris, respectivement à la fondation Louis Vuitton et à la fondation Dina Vierny (musée Maillol). Déjà, l’an passé, la fondation Louis Vuitton, en présentant les chefs-d’oeuvre de la collection Chtchoukine, prêtés par les musées de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg, et Pouchkine, à Moscou, avait sidéré les institutions françaises, toutes dans l’impossibilité de financer un tel projet. Et, si le MoMA et le Whitney prêtent régulièrement des oeuvres au Centre Pompidou, la probabilité est forte, au vu des coûts d’assurance et de transport, que le musée parisien, dont on fête les 40 ans, n’ait pas eu davantage les moyens financiers d’accueillir cette exposition des trésors du MoMA. Ironie de l’histoire, il faut aussi rappeler que ces deux musées new-yorkais sont également des fondations privées. Le MoMA a été créé en 1929 par la mécène
Abby Aldrich Rockefeller, en réaction aux musées publics américains, qu’elle jugeait trop conservateurs. Le Whitney est né, quant à lui, en 1930, afin de valoriser l’art américain des XIXe et Xxe siècles, selon le souhait de la sculptrice et mécène Gertrude Vanderbilt Whitney.
Enfin, face à la multiplication des initiatives privées en France, il convient de noter que pour la première fois dans l’histoire de la Ve République la nouvelle ministre de la Culture, Françoise Nysssen, est une ancienne chef d’entreprise (elle codirigeait les éditions Actes Sud). Si on ne peut que louer le développement de cette culture du privé profitant à tous, au public comme à l'image de la France, on doit toutefois s’interroger sur les dangers représentés par la réduction croissante des moyens financiers des institutions publiques, de plus en plus fragilisées et à la peine pour mener une politique culturelle autonome, capable de faire contrepoids au marché de l’art et au secteur privé.
La réduction annoncée du budget du ministère de la Culture, après les baisses réalisées sous la présidence de François Hollande, ne laisse rien augurer de bon. Il faut tout faire pour favoriser une politique culturelle mixte, alliant un secteur privé dynamique et des institutions fortes.
L’arbre, aux racines de L’art
Laissé à l’abandon, L’arbre en aluminium émaillé d’Ugo Rondinone est mélancolique et décharné.
Celui d’Henrique Oliveira, constitué de déchets de bois, devient une forme organique invasive prête à avaler le spectateur. Eva Jospin a, quant à elle, travaillé à partir de cartons glanés dans la rue, pour créer une forêt qui nous replonge en enfance, dans un monde à la fois onirique et angoissant. Et puis il y a l’arbre de Gloria Friedmann, réduit à des balles de journaux, sur lesquelles un cerf pousse un brame désespéré face à l’inconscience des hommes. Fabuleuses, douloureuses, troublantes, les histoires d’arbres que nous content les artistes ici réunis résonnent avec les grands enjeux écologiques et politiques de notre monde contemporain.
Ar(t)bre & art contemporain par Martine Francillon éd. La Manufacture de l’image • 256 p. • 38 €
C’est un choc de titans qui a lieu au domaine de Chantilly. Pour la première fois, la vénérable institution abritant la collection du duc d’Aumale s’ouvre à l’art moderne et contemporain. Et confronte l’un de ses chefs-d’œuvre, le Massacre des Innocents de Nicolas Poussin, maître absolu du XVIIe siècle français, à deux géants du siècle dernier : Pablo Picasso et Francis Bacon. Tous deux furent marqués par le traitement radical de leur aîné qui réduisit le célèbre épisode du Nouveau Testament à quelques personnages figés dans une attitude théâtrale dramatique. Le parcours revient sur la genèse de
l’œuvre, le rôle qu’elle a joué dans l’élaboration de Guernica ou de la série des Têtes peintes par Bacon en 1948, et les relectures qu’en ont données des contemporains tels qu’Annette Messager ou Ernest Pignon-Ernest.
Il est étonnamment et injustement méconnu du public. Qui sait encore mettre un nom d’auteur sur l’Angélus, icône reproduite jusqu’à l’écoeurement sur les boîtes de camembert ou les calendriers ? Et pour cause : l’essentiel de l’oeuvre de Jean-François Millet (1814-1875), à l’exception fort heureuse de cet Angélus - qui faillit toutefois être raflé par les Américains en 1889- ou des non moins célèbres Glaneuses, a été exporté aux États-Unis, où il fascina des générations d’artistes. En France, alors qu’il suscita l’admiration de Gauguin et de Van Gogh, la rudesse de sa peinture sociale paysanne passa rapidement de mode, subissant le même sort que les tableaux des frères Le Nain un siècle et demi auparavant.
Le meilleur de l’impressionnisme :
Une prouesse. En deux ans seulement, de 1916 à 1918, le Danois Wilhelm Hansen réussit un exploit : constituer l’une des plus belles collections impressionnistes au monde. Avec une technique imparable : l’achat en bloc, organisé en consortium avec quelques autres amateurs fortunés. En cette période de guerre, les grands marchands du temps furent aussi ses pourvoyeurs pour un résultat remarquable, encore visible aujourd’hui à Copenhague dans le très intimiste musée Ordrupgaard, regroupant sa collection léguée à l’État danois.