Noémi Duchemin vit à proximité de
la décharge publique avec ses parents et sa fratrie. La famille, repliée sur elle-même à cause de son exclusion sociale, mène
une vie que certains qualifieraient de marginale, au point même qu'il faut bien l'impulsion initiée par un membre extérieur à la famille pour que
Noémi Duchemin prenne conscience du caractère inhabituel de sa résidence. Sous l'oeil sévère mais bien intentionné de son institutrice, Noémi entreprend de décrire son existence. Son esprit impétueux transparaît à l'écrit lorsque la je
une fille digresse et s'indigne -mais jamais à propos de
la décharge-, tout comme la maladresse de son esprit se fait ressentir lorsqu'elle essaie d'exprimer son émotion -mais jamais à propos de
la décharge ! Et c'est bien cette indifférence à l'égard de sa misère qui chagrine l'institutrice. Lorsque Noémi se fraie
une voie originale dans la narration et s'enivre de savoir comment l'Immaculée Conception a pu être possible, ou pourquoi la beauté des légumes n'est jamais été reconnue à l'égal du charme des fleurs, l'institutrice surgit pour couper court aux digressions. Noémi quitte alors son récit et entre en conversation avec son mentor pour justifier ses choix avec
une mauvaise foi amusée et
une vivacité qui titille l'austérité docile de son interlocutrice. Et le récit repart, lui aussi discipliné par l'échange, jusqu'à ce que la prose débridée reprenne ses droits. Et le texte progresse, voulant nous faire croire que le plus sordide de toute cette histoire, c'est l'existence recluse menée par cette famille à proximité d'
une décharge. Mais
Béatrix Beck nous attend au tournant...
Un jour, l'institutrice meurt. Noémi croit ne plus pouvoir continuer à écrire, ainsi qu'elle le pense joliment : "Je suis
une pendule qui continue à marcher un moment après que celle qui l'a remontée a disparu".Marginale dans son mode de vie, elle continue à l'être dans ses affections, seule à suivre le cortège d'
une femme dont l'austérité et la sécheresse avaient fait fuir tous ses semblables.
Une telle proximité de coeur lui donnait bien le droit de recevoir en héritage, non seulement les livres préférés de son institutrice, mais aussi ses carnets personnels. Noémi découvre ainsi avec surprise et plaisir que sa professeure s'exerçait à
une discipline similaire à celle qu'elle lui imposait : elle racontait sa vie. Elle parlait de Noémi.
Le dialogue vif à deux voix se poursuit, cette fois sous la forme d'
une conversation par récits interposés. La prose légère et enjouée de Noémi, qui n'est pas sans partager certaines similitudes avec celle de
Romain Gary écrivant pour Momo dans
la Vie devant soi, est remplacée par celle plus ferme et rigoureuse, droite dans l'expression mais malgré quelques fantaisies strictement autorisées par l'inventivité littéraire, de l'institutrice. Puis revient le tour de Noémi. On espérait qu'elle n'aurait rien compris aux carnets de sa maîtresse -on avait fini par la croire véritablement naïve, pour ne pas dire stupide. C'est à ce moment-là que le titre de
la Décharge prend tout son sens. Vivre près des ordures, ramasser des immondices pour se nourrir, batifoler dans la crasse, ce n'est rien face aux décharges spirituelles qui peuplent nombre des consciences civilisées.
Béatrix Beck est éblouissante dans sa démonstration. Habile à se métamorphoser d'
une conscience à
une autre, pluriforme dans la voix et dans l'esprit, elle nous surprend autant que Noémi put être surprise par son institutrice. Si le début du récit peut laisser légèrement sceptique, ce n'est que pour mieux nous prendre à la gorge dès le premier tiers des pages gentiment englouti.
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